Homélie du 21 février 2021 (Mc 1, 12-15)

Abbé Laurent Ndambi – Eglise St-Nicolas de Myre, Hérémence, VS

En route vers Pâques

Depuis le mercredi des cendres, nous sommes en carême. Ce mot carême, vient du latin « quadragesima » qui veut dire « 40ème » parce qu’il commence le quarantième jour avant Pâques. Dans la Bible, le chiffre 40 a une valeur symbolique : 40 jours de Jésus au désert comme un temps d’épreuve et de ressourcement (Mt 4,2) avant de commencer son ministère public. Il symbolise aussi les 40 ans du séjour des Hébreux au désert durant l’Exode. Quarante, est donc un chiffre symbolique du temps donné aux hommes de la Bible pour marcher à la rencontre de leur Dieu, pour ajuster leur volonté à la sienne et entrer dans son Alliance.

La Bible nous en évoque quelques exemples remarquables, à savoir les 40 jours de Moïse sur la montagne en présence de Dieu (Exode 24,18), les 40 jours de la marche d’Elie vers la montagne de Dieu (1 R 19,8), les 40 jours de déluge où la terre est recouverte par les eaux (Genèse 7,4), les 40 jours de pénitence de Ninive sur les injonctions de Jonas (Jonas 3,4), les 40 ans de l’Exil des juifs à Babylone. 40 ans c’est donc le temps (à l’époque biblique) d’une vie humaine, d’une génération.

Le Christ en réitère l’expérience en passant 40 jours au désert comme un symbole de toute une vie. A cet effet, si les Évangélistes ont choisi de nous raconter son séjour de 40 jours au désert où il fut tenté, c’est pour signifier qu’il a été assailli toute sa vie par toute sorte de tentations : tentation d’imposer sa force par des miracles, tentation de prendre ou d’accepter le pouvoir politique, tentation d’échapper à sa passion, ou encore par la tentation de montrer qu’il était Dieu en refusant d’être un homme.

Temps d’évaluation de notre vie chrétienne

Mais, pour nous chrétiens, quel est le sens que le carême évoque pour nous ? Si pour tous, le carême peut évoquer un temps de jeûne, de prière et de partage en préparation de la fête pascale, ce temps est surtout celui de ressourcement et de « révision » des bases de notre foi, un temps de bilan, un temps d’évaluation de notre vie chrétienne, je dirai de notre relation avec le Christ pour qu’avec lui nous puissions mourir en nous-mêmes afin de redécouvrir ce qu’Il a fait au désert, c’est-à-dire, résister comme lui, aux tentations en reprenant en mains le contrôle de sa vie et en conséquence de notre vie chrétienne.

Contrairement aux évangélistes Matthieu et Luc, Marc que nous venons d’entendre ne raconte pas en détail les tentations que le Christ a connu du désert. Il s’en tient à l’événement, faisant surtout jaillir de son récit très bref, l’idée d’une nouvelle création, d’un paradis retrouvé où le nouvel Adam se meut au milieu des bêtes sauvages et en compagnie des anges. Après avoir passé 40 jours dans le désert et après avoir résister aux tentations du diable, le Christ se retrouve en Galilée considérée comme carrefour des nations, comme une terre des ténèbres. C’est là, comme par un défi, qu’il va en priorité proclamer la Bonne Nouvelle, guérir les malades, annonçant que les temps sont accomplis et que le Règne de Dieu est tout proche. Nouveauté à laquelle il faut se convertir, pour la redécouvrir et l’accueillir. Comment allons-nous ajuster notre vie pendant ces quarante jours ?

Faire alliance avec le Seigneur et les frères

En référence à la première lecture, accueillons ces quarante jours du carême comme temps qui nous est donné pour faire ou refaire alliance avec le Seigneur et nos frères humains. Ce temps de carême, c’est un temps de discernement entre ce qui, dans notre vie actuellement est voué au naufrage et qui nous fait couler, et ce qui est porteur d’espérance, d’amour et de vie. Là où le péché nous submerge, le Christ nous tend aujourd’hui la main pour nous en sortir.

En route vers Pâques, trois recommandations nous sont proposées à chaque entrée de carême le mercredi des cendres, à savoir : le jeûne, le partage et la prière (voir Mt 6, 1-18).

1) Le jeûne, consiste en une sorte de privation, de ce par quoi nous pouvons montrer que nous sommes libres par rapport aux dépendances matérielles de la vie. Dans toutes les religions, il s’agit d’un exercice qui favorise l’intériorité.

2) Le partage, ou l’aumône. Si le jeûne nous permet de vivre en hommes libres, le partage nous invite à vivre en frères. Lié au jeûne, le partage indique le sens de nos privations. Il ne s’agit pas de se priver pour le plaisir (ou plutôt pour la douleur), mais bien pour s’ouvrir aux autres. Le partage autour d’une soupe de carême nous permettra d’être attentifs et solidaires envers les pauvres comme le Pape François nous y invite.

3) La prière est la troisième recommandation de la pratique du Carême. Si par le jeûne, on se « désencombre » de soi, si par le partage on comble l’autre de notre richesse, par la prière on se remplit de la présence de Dieu, ou plutôt on laisse Dieu nous remplir de sa présence.

Puisse ce temps de carême, à travers la qualité de notre prière, de notre solidarité et de nos partages, être à la fois un chemin d’accueil de la bonté de Dieu, mais aussi un chemin d’ajustement, de victoire et d’amour à l’exemple de celui qui a « livré son corps pour nous » et qui a aussi « versé son sang pour une l’alliance nouvelle et éternelle ». Allons-nous faire cela en prenant un tel chemin, et en rendre témoignage en « mémoire de lui » ? Amen.

1er DIMANCHE DE CARÊME
Lectures bibliques : Genèse 9, 8-15; Psaume 24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9; 1 Pierre 3, 18-22; Marc 1, 12-15

Homélie du 14 février 2021 (Mc 1, 40-45)

Abbé Pascal Lukadi – Chapelle de Glace, Leysin, VD

Comment nous guérir de nos lèpres
« Si tu le veux, tu peux me purifier ». On peut admirer l’audace et le courage qui habitent cet homme en cet instant pour oser s’approcher de Jésus et lui faire cette demande. Compte tenu de ce qu’il est : un lépreux
De la lèpre, Raoul Follereau disait : « le lépreux souffre, en général, de deux maladies : d’une part, il a la lèpre, c’est-à-dire que son corps est malade, et d’autre part, il est lépreux, c’est-à-dire que ses relations avec autrui sont altérées ».

Désir d’être rétabli dans son humanité

Comme tous les récits de guérison, celui-ci commence par une demande. À vrai dire, le lépreux ne demande pas une guérison, mais une purification. Importante précision, car il ne s’agit pas seulement de guérir un corps malade, mais aussi de rendre cet homme apte à des relations sociales normales dont la maladie l’avait privé. Jésus exauce cette demande. Oui, cet homme, exclu de la société en raison de son impureté, désire de tout son cœur être rétabli dans son humanité. Nous pouvons comprendre son désir immense, si nous avons eu à subir une chimiothérapie qui nous a privés de nos cheveux et attiré sur nous des regards apitoyés et curieux. Notre seul souhait, peut-être l’un des plus importants pour notre guérison, est d’être rétablis dans des relations humaines normales. Le lépreux de cet évangile choisit de ne plus raser les murs pour devenir invisible : il se jette aux pieds de Jésus, bravant ainsi tous les interdits relatifs à sa maladie. Alors, pour guérir cet homme de son exclusion, Jésus n’hésite pas à entrer en relation avec lui. Bien plus, dépassant en cela toutes les conventions, la purification se fait par une parole de Jésus, accompagnée d’un toucher sur lequel l’évangéliste insiste par le recours à deux verbes : « Jésus étendit la main et le toucha ». Il ne craint pas le contact avec l’impur, l’impureté étant impuissante à le souiller, tandis que sa sainteté est contagieuse et peut guérir. À peine le lépreux est-il guéri que Jésus « avec fermeté le renvoie », peut-être parce qu’il ne veut pas d’un attachement servile de cet homme, mais veut surtout qu’il retrouve sa place dans le circuit des relations sociales. Pour cela, il doit se montrer au prêtre pour une reconnaissance institutionnelle de sa guérison. Cependant, Jésus ne veut aucune publicité en dehors de celle indispensable pour l’avenir social de cet homme qui ne respecte pas la consigne de garder le silence que Jésus lui avait donnée. Mais c’est l’immense manifestation de tendresse, reprise par saint François d’Assise, qui a dû inonder de bonheur et de gratitude le cœur blessé du lépreux. On comprend dès lors qu’il n’ait pas résisté à la joie de partager cet événement de salut, malgré la demande de Jésus de n’en rien dire !

La grandeur de Dieu source d’émerveillement, de gratitude

L’homme est trop fragile pensait-on, trop petit devant la toute-puissance de Dieu. Dans l’Ancien Testament, on pensait que pour s’approcher de Dieu, il était nécessaire d’accomplir des rites de purification. Il fallait aussi éviter tout contact avec ce qui, à l’époque, était considéré comme sale et impur : ne pas manger certains aliments par exemple ou ne pas toucher une personne dont la maladie pourrait nous souiller. L’éloignement était considéré comme une mesure sanitaire sans doute… mais aussi religieuse. La seconde lecture est le prolongement d’une explication de saint Paul sur les aliments considérés impurs par les Juifs. Pour les anciens, seul le respect strict de ces règles de pureté permettait d’entrer en contact avec Dieu. Ces pratiques peuvent nous paraître dépassées et bien éloignées de notre culture. Elles évoquent cependant un sentiment que nous avons un peu perdu aujourd’hui, celui d’une présence qui nous dépasse infiniment et devant laquelle nous pouvons nous sentir si petits et si fragiles. Nous rappeler la grandeur de Dieu est source d’émerveillement, de reconnaissance, de gratitude : Dieu si grand nous connaît, Dieu si puissant se soucie de nous, il veut même faire alliance avec nous ! Ne devrions-nous pas être bouleversés par une telle réalité ! On peut comprendre la crainte des anciens et leur volonté de rechercher des rites de purification pour atténuer un peu ce que cette rencontre a d’incongru et de totalement surprenant. Dans l’évangile, on assiste à une transgression délibérée de la règle de pureté. Le lépreux ne s’enfuit pas devant Jésus, mais au contraire il se jette à ses genoux. Et Jésus n’a pas peur de toucher le malade. Le Christ nous révèle en effet que toute personne est accueillie par Dieu. Il ne considère aucune personne comme impure, indigne ou trop éloignée de lui. Alors plus besoin de rites de purification ; car sur la croix, Jésus s’est même identifié aux plus méprisables des hommes. Il ne nous est donc plus nécessaire de nous mettre sur la pointe des pieds pour nous élever ou nous revêtir de nos plus beaux habits pour oser espérer que Dieu nous accueille. C’est Dieu lui-même, en Christ, qui vient nous rejoindre dans nos pauvretés et nos fragilités, aussi grandes soient-elles. Tout homme, quel qu’il soit, peut, comme ce lépreux, se jeter au pied de Jésus, se laisser toucher et relever par lui. Nous connaissons des virus insidieux qui peuvent contaminer par simple contact. Dans l’évangile, le Christ ne craint pas de se laisser approcher par l’homme impur. C’est au contraire lui qui inocule dans la vie de cet homme la grâce qui va le relever. Dans la seconde lecture, après avoir dit aux disciples que l’interdiction de manger des aliments dits impurs ne signifiait plus rien, saint Paul rappelle cependant à ses interlocuteurs qu’en toute chose, il faut veiller à ne pas blesser ceux qui pourraient ne pas comprendre, ceux dont la foi est la plus fragile. Il invite également à imiter le Christ. Osons, comme lui, accueillir sans condition. Osons « toucher » ceux qui se considèrent encore aujourd’hui « intouchables », car méprisés et rejetés. Devenons capables, nous aussi, de franchir certaines barrières quand nous avons la conviction que l’amour véritable est à ce prix.

Dieu ce « Tout autre » que le Christ nous donne la grâce de connaître


Pour les anciens, Dieu est si grand qu’il nous est interdit d’aller à sa rencontre sans respecter des règles strictes de purification. Dieu se fait proche et pourtant il est ce « Tout-autre ». Qu’est-ce qui révèle aujourd’hui la grandeur de Dieu ? Dieu est-il pour moi source d’émerveillement ? Comment comprendre aujourd’hui que Dieu est ce « Tout autre » que le Christ nous donne la grâce de connaître et d’approcher ? Qui sont les lépreux d’aujourd’hui, ceux que l’on considère comme impurs, des personnes à éviter ? Comment leur manifester la présence du Christ qui relève et les réintégrer dans la communauté ? Ai-je moi aussi besoin d’être purifié ? Ai-je déjà fait l’expérience d’être purifié et relevé par le Christ ? Comment en témoigner ? qu’est-ce qui sort du dedans de moi ? d’ailleurs, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. » Et Jésus de préciser que ce qui sort de la bouche vient du cœur ! (Mt 15, 18).

« Ce sera pour les gens un témoignage » (Marc 1, 44) En ordonnant au lépreux de ne pas faire de publicité autour de sa guérison, Jésus insiste sur un regard de foi personnelle et préfère la puissance silencieuse des actes plutôt que la séduction et le bruit des mots. Alors résonne la phrase de saint Jean (3, 18) : « N’aimons pas par des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité ». Dans le même esprit, fait écho un ouvrage au titre évocateur de Pascal Gourrier : « Ne parlez pas de la miséricorde, vivez-la ». C’est notre temps de Carême qui commence ce mercredi ! je nous le souhaite bon ! Donnons sans nous souvenir, tout en recevant sans oublier. Amen !

6e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Lévitique 13, 1-2.45-46; Psaume 31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11;1 Corinthiens 10, 31 – 11, 1; Marc 1, 40-45