Homélie de la messe de minuit 25 décembre 2020 (Lc 2, 1-14)

Abbé Jean Glasson – Eglise St-Pierre-aux-Liens, Bulle

Nuit de la guerre ; nuit de la faim ; nuit de l’injustice et de la haine ; nuit de la maladie ; nuit du chômage ; nuit de la dépression ; nuit de la solitude… c’est malheureusement ce qu’expérimente un trop grand nombre d’êtres humains à travers le monde. Du plus profond de leur misère, un cri s’élève : pourquoi ? C’est le cri qui jaillira du cœur du Christ sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Dieu voit la misère de son peuple

Mystérieusement ce cri ouvre à un dialogue. C’est dans la douloureuse expérience de sa finitude que l’être humain supplie Dieu, afin qu’il vienne le libérer de la souffrance et de la mort, mais surtout de l’esclavage du péché qui en est la source. Tout au long du Premier Testament, Dieu révèle qu’il voit la misère de son peuple et lui promet la venue d’un Sauveur. Nous imaginerions un héros, un homme providentiel muni de super pouvoirs pour éradiquer le mal.

La réponse de Dieu est déconcertante

La réponse de Dieu est radicalement autre : « Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »

Un bébé pour faire face aux ténèbres qui nous oppressent ? La réponse de Dieu est déconcertante, avouons-le… Néanmoins celui ou celle qui s’ouvre humblement à cette réponse comprend toujours mieux que la fragilité de cet enfant est sa force : elle est celle de l’amour. En 1961, l’abbé Maurice Zundel, prêtre mystique de notre diocèse, prend l’exemple de la conversion de l’écrivain Paul Claudel pour montrer comment la fragilité de Dieu conquiert les cœurs : « C’est précisément parce que Dieu est pure générosité, parce qu’il est tout amour, parce qu’il n’est qu’un cœur, parce qu’il ne peut qu’aimer, qu’il est un Dieu fragile, un Dieu désarmé. Claudel l’a reconnu, à Notre-Dame de Paris le jour de Noël 1886, en entendant chanter les vêpres de la fête. Il a perçu dans une lumière irrésistible « l’innocence déchirante et l’éternelle enfance de Dieu ». Et c’est ce Dieu désarmé qui l’a vaincu. »

Un Dieu désarmé

Cela est bouleversant de vérité lorsque nous contemplons une crèche. Au centre : l’enfant Jésus fragile et dépouillé ; tout autour de lui convergent des bergers, des mages, des anges, des animaux, puis toute une foule de santons représentant les âges de la vie et les diverses activités humaines. Tous les visages sont tournés vers l’enfant qui, par sa fragilité et sa pauvreté révèle le Dieu-Amour. Ouvrant l’humanité à une filiation renouvelée, il l’ouvre ainsi à une fraternité renouvelée. C’est cette fraternité universelle que le pape François appelle de ses vœux dans sa dernière encyclique Fratelli tutti.

Une vraie fraternité

Accueillir le Christ, suivre le chemin d’humilité que nous indique l’Evangile, vivre vraiment en enfants de Dieu et voir en chaque être humain un frère et une sœur, voilà le grand cadeau que les chrétiens sont appelés à offrir au monde qui ploie sous le poids du fardeau. Alors la lumière du Sauveur touchera tous les cœurs et l’humanité, liée par une vraie fraternité, attendra joyeusement le retour glorieux de son Seigneur même si les forces du mal se déchaînent encore pour un peu de temps. En effet, là où est l’amour, « la ténèbre n’est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière » (psaume 138 (139), 12) !

LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Lectures bibliques : Isaïe 9, 1-6; Psaume 95, 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc; Tite 2, 11-14; Luc 2, 1-14

Homélie du 20 décembre 2020 (Lc 1, 26-38)

Père Jacques-Benoît Rauscher, OP – Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac, FR

Souvent, dans l’Evangile de l’Annonciation que nous entendons ce dimanche, c’est la dernière phrase de la Vierge Marie qui retient le plus l’attention : « voici la servante du Seigneur ». En un sens, c’est bien normal. En effet, ce sont ces mots qui engagent Marie et, avec elle, toute l’humanité : c’est parce que Marie accepte d’être la servante du Seigneur que nous pourrons fêter Noël d’ici quelques jours. Pourtant, cette acceptation de Marie risque de nous faire oublier un peu vite qu’elle a d’abord posé une question: « comment cela va-t-il se faire ? ». Et c’est précisément sur cette phrase, sur cette question, que je voudrais méditer avec vous en ce dernier dimanche de l’Avent. Une question peut avoir deux dimensions. Elle peut être une interpellation ; mais elle peut être aussi une demande d’éclaircissement. La question de Marie conjugue ces deux dimensions… et cela n’est pas sans conséquences très concrètes pour notre vie de foi aujourd’hui.

Un cri lancé vers Dieu

« Comment cela va-t-il se faire ? ». Si une actrice était appelée à jouer le rôle de Marie dans une représentation du mystère de l’Annonciation, elle pourrait choisir de prononcer cette phrase un peu comme un cri ; un cri qui ferait écho à l’effroi qui saisit la Vierge quand elle voit l’Ange entrer chez elle. Lancer une question quand nous vivons quelque chose de grand est une expérience que nous faisons tous, à notre niveau : « comment cela est-il possible ? Qu’ai-je fait pour que cela m’arrive, à moi ? » Ces interrogations nous pouvons les prononcer devant un évènement très heureux, mais aussi devant un grave malheur qui nous accable. Elles sont le cri d’une personne dépassée. Ces questions n’attendent pas d’abord une réponse. Elles cherchent avant tout à être accueillies. D’ailleurs, l’Ange ne répond pas à Marie en lui présentant une explication détaillée. Il accueille sa question et lui redit l’essentiel : « l’Esprit-Saint viendra sur toi. La puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. ». Dieu nous prend toujours sous son ombre quand nous osons, comme Marie, jeter vers le Ciel les situations qui nous dépassent.

Ne pas rester statiques sur notre chemin de foi

« Comment cela va-t-il se faire ? » Il y a une seconde manière de comprendre la question de Marie. Il s’agirait moins de voir cette question comme un cri lancé vers Dieu que comme une volonté de mieux comprendre ce que Dieu réalise. Il nous est dit plusieurs fois dans l’Evangile que Marie ne « comprenait pas » ce que Jésus disait (Lc 2,50). Mais il est aussi indiqué qu’elle méditait toutes choses dans son cœur (Lc 2,19 et Lc 2,51). Ce qui caractérise Marie est qu’elle est en chemin, qu’elle cherche à progresser dans sa foi. Si Marie, la Vierge immaculée, comblée de grâces, choisie de toute éternité, ne comprend pas et doit progresser dans son chemin de foi, il ne nous faudrait jamais désespérer de ne pas comprendre immédiatement tout le contenu de notre foi. La première phrase que l’Evangile retient de Marie est une question, un « comment ». Il y a là pour nous une invitation à ne pas délaisser les questions que nous nous posons sur la foi, mais à toujours plus chercher à les approfondir, quels que soient notre âge ou notre niveau d’études. Dieu nous demande de ne pas rester statiques sur notre chemin de foi en prétextant trop vite qu’il y a des mystères qu’il ne faut pas explorer. Comme Marie, il faut nous mettre en route et toujours avancer en prenant le risque de nous interroger, d’approfondir les points qui nous semblent obscurs dans la foi que nous confessons.

Marie assume pleinement son humanité

Frères et sœurs, parfois, nous mettons Marie à une place si élevée que nous en oublierions presque qu’elle est humaine. « Comment cela va-t-il se faire ? ». La question de l’Evangile de ce dimanche nous montre que Marie assume pleinement une humanité dont le propre est d’être déboussolée mais aussi de grandir, pas à pas, dans la connaissance de son Seigneur. C’est précisément parce qu’elle n’a pas peur de se comporter de manière humaine que Marie peut accueillir Dieu qui se fait homme.

A quelques jours de Noël, prions pour avoir, nous aussi, l’audace d’interpeller Dieu face aux évènements qui nous dépassent ou aux situations qui nous révoltent. Prions pour avoir le courage de creuser les points de la foi qui nous interrogent. C’est seulement de cette manière que nous pourrons, comme Marie, servir le Seigneur en toute vérité et Le voir naître dans toute l’épaisseur – très humaine, mais authentique – de notre vie.

4e DIMANCHE DE L’AVENT
Lectures bibliques : 2 Samuel 7, 1-5.8b-12.14a.16; Psaume 88 (89), 2-3, 4-5, 27.29; Romains 16, 25-27; Luc 1, 26-38