Homélie du 25 octobre 2020 (Mt 22, 34-40)

Mgr Alain de Raemy – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Chers amies et amis, j’ai juste trois choses à signaler.

  1. Jésus a fermé la bouche aux Saducéens, on vient de l’entendre. Ce n’est pas pour autant qu’il les a convaincus. Ils sont bien restés bouche fermée, mais pas bouche bée. Puissions-nous rester bouche bée ! Nous verrons comment.
  2. On demande à Jésus un commandement, le grand commandement, mais voilà qu’il en donne deux… Peut-être une piste pour savoir pratiquer notre religion, même en confinement. On va voir ça.
  3. Et ces deux commandements sont au futur, pas au présent : il est dit « tu aimeras » et non pas « aime » … C’est comme un délai accordé à notre pesanteur pécheresse, tu as le temps… mais en même temps un sacré défi toujours devant.
  • Oui, Jésus a cloué le bec aux Saducéens, ils sont restés bouche fermée.

Ceux-ci voulaient mettre en doute la possibilité de la résurrection des morts. Ils présentent à Jésus l’exemple d’une femme qui a épousé tour à tour sept frères pour leur assurer une descendance…Duquel sera-t-elle alors l’épouse, si les morts ressuscitent ? Et Jésus de dire que nous ne vivrons plus comme ici, nous ne prendrons ni femme ni mari, nous serons comme les anges dans une intensité d’amour incomparable, qui inclut tout le monde sans rien enlever aux relations qui étaient ici-bas privilégiées : le couple ne sera pas moins couple tout en n’étant plus du tout exclusif, mais au contraire totalement inclusif, ouvert à un même amour à tous et pour tous…

En entendant cela les Saducéens se taisent, mais on ne sait pas trop ce qu’ils en pensent, ni ce qu’ils ont vraiment compris… C’est plus par résignation que par conviction. Bouche fermée mais pas bouche bée.

Eh bien, ce qu’il y a de beau quand on a la foi, c’est que ces choses incroyables, ces belles mais surprenantes annonces de l’au-delà, de notre épanouissement éternel, de ce que nous deviendrons après la mort, en notre âme mais aussi en notre corps, ces choses extraordinaires, surnaturelles, eh bien, avec la foi, quand on les entend, elles ne nous ferment pas la bouche ! Au contraire, elles nous laissent la bouche ouverte, bouche bée : ça parait tellement énorme, mais en même temps, ça correspond si profond à notre soif d’accomplissement. Alors on en est abasourdi, on est bouleversé devant une telle perspective d’amour absolu partagé par tous, oui, ébahi, mais on n’en reste pas bouche fermée, on reste bouche bée, épaté ! Et on a envie de l’annoncer !

  • Et nous voici aux deux commandements dans leur rapport au confinement.

Car suite à cette discussion de Jésus avec les Saducéens sur l’inimaginable  résurrection, ce sont alors les Pharisiens qui s’imaginent plus malins. Ils posent à Jésus la question du plus grand commandement. Le piège, c’est que dans la tradition de l’époque, c’était le troisième commandement qui était considéré le plus grand, celui qui impose le repos du sabbat. Pourquoi ? Parce que Dieu lui-même l’avait observé, le septième jour, il se reposa… Et on sait les libertés que Jésus prenait avec les normes du sabbat. Alors les pharisiens en profitent pour l’interroger : « Dis-nous donc Jésus, quel est le plus grand commandement ? » Et voilà que Jésus, plus malin, va répondre sans citer aucun des dix commandements ! Mais il avance cette formule : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » Et il ajoute : « Voilà le grand, le premier commandement. »

Mais il ne s’arrête pas là. Il ajoute un second, mais qui serait le même, tout en étant différent : « et le second lui est semblable », dit-il : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et de conclure : « de ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Permettez-moi d’y voir comme une leçon pour nous, qui risquons à nouveau d’être privés de célébrations communes dans nos églises, comme en Valais où c’est déjà limité à 10 personnes.

Pourquoi ces deux commandements qui n’en font qu’un peuvent-ils nous aider ? Parce que si ces deux commandements n’en font qu’un, aimer Dieu et aimer son prochain, la privation de culte public, la privation de l’Eucharistie célébrée tous ensemble, jeunes et vieux, malades et bien-portants (comme c’est si beau à Lourdes par exemple), la privation d’expression liturgique adressée ensemble directement au Seigneur notre Dieu, cette privation en quelque sorte de célébration du premier commandement en public, en fait elle peut nous plonger à fond dans le même commandement, par le deuxième, celui qui  est donc semblable au premier, son inséparable jumeau : c’est-à-dire l’amour de Dieu vécu en amour du prochain dans plein d’initiatives inédites qui auront le prochain comme sujet. Et une chose est alors sûre : Dieu en sera tout autant le premier sujet concerné, touché, aimé ! Car quand le prochain est aimé, comme soi-même, Dieu est aimé comme lui-même. Et ne serait-ce pas une belle manière d’aimer son prochain dans l’amour de Dieu, que de prendre l’initiative de petits groupes de prière et de solidarité, le dimanche ou le samedi soir, là où je suis, dans mon quartier, Bible ouverte, ouverte à toutes vos méditations partagées ? Et pourquoi l’Eucharistie n’y serait-elle pas aussi amenée, adorée, communiée ?

  • Et enfin, ces deux commandements égaux le Christ ne les formule pas au présent mais il les conjugue au futur. Qu’est-ce à dire ? Non pas : aime ! Mais : tu aimeras. Il y a là de jolies nuances cachées.

Le verbe « aimer » au futur

Car dire « tu aimeras », c’est comme m’en donner le temps. Tu n’es peut-être pas encore capable d’aimer, comme cela, sur commande, tout de suite. Alors, c’est comme si Jésus nous disait : prends ton temps, tu y arriveras, de petit pas en petit pas, de chute en relèvement. Ne désespère pas. Je suis là avec toi. Tu n’aimes pas ? Attends, on y arrivera, tu aimeras. Oui, ce « tu aimeras », c’est bien Dieu qui marche avec nous, à notre rythme. Afin que nous parvenions à aimer, petit à petit, avec des reculs et des avancées, mais à aimer quand même, à l’aimer lui et les autres, toujours mieux de nous-mêmes, comme des grands, comme des saints.

Et ce verbe aimer au futur, « tu aimeras », c’est aussi annoncer que c’est illimité, c’est entrer dans une sacrée aventure. Commencer à vraiment vouloir aimer ce sera ne jamais pouvoir s’arrêter. C’est apprendre que l’on pourra toujours plus, beaucoup plus, et un jour, au dernier jour, infiniment plus aimer.

Et nous revoici au début de cette méditation, avec l’épatant mystère de la résurrection : c’est-à-dire le seul véritable épanouissement de notre nature humaine, quand, au Ciel, elle sera enfin ce qu’elle est en-elle-même : image et ressemblance de Dieu, et alors pour l’éternité directement avec lui, avec tous, à jamais !

30e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Exode 22, 20-26; Psaume 17, 2-3, 4.20, 47.51ab; 1 Thessaloniciens 1, 5c-10; Matthieu 22, 34-40

Homélie du 18 octobre 2020 (Mt 22, 15-21)

Père Patrice Gasser – Chapelle St-Joseph, École des Missions, Bouveret/St-Gingolph

Chères sœurs, chers frères, chers amis,

Un Dieu qui est le seul Dieu ! c’est ce dont doutaient les hébreux exilés à Babylone. Nabuchodonosor leur avait enlevé leurs maisons, leur culture et leur force de vie. Quand ils ont vu Cyrus, ce roi étranger qui avait tant d’humanité, ils ont dû être bien surpris : pas de vol, pas de massacre, pas de travail d’esclave. Au contraire, il les aide à retourner à Jérusalem, il rend les biens volés et leur donne un peu d’argent pour reconstruire leurs maisons. Ils ont été touchés par sa clémence et son humanité, et Isaïe derrière lui, voit Dieu qui prend soin de son peuple. Ils respiraient : à travers ce roi perse, Dieu restait maître de l’histoire.

Dieu maître de l’histoire

Le psaume 95, lui, nous transporte à la fin du monde, il parle du frémissement de toutes les nations quand Dieu sera reconnu comme Dieu ; la création tressaillira : le psaume continue ainsi : les masses de la mer mugissent et les arbres des forêts dansent de joie. Même si les humains restent muets et aveugles et ne reconnaissent pas la bonté de Dieu, la création elle chantera sa gloire. Là encore Dieu reste maître de l’histoire humaine…

Dans ces derniers chapitres de Matthieu que nous avons lu, l’horizon de la passion se profile. Jésus n’a plus rien à perdre, il n’emploie pas de langue de bois : ces pharisiens qui le flattent alors qu’ils lui tendent un piège sont des hypocrites.  S’il répond qu’on doit payer l’impôt à César, il collabore avec l’occupant et ne peut être le Messie attendu ; et s’il refuse de payer l’impôt, il peut être dénoncé aux autorités et emprisonné, ce que ces juifs désiraient de tout leur cœur. Jésus leur fait cette réponse cinglante : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! Mais il y a beaucoup de sagesse dans ce dicton.

Rendre à César que ce qui est à César. L’autorité aide à la vie ensemble ; c’est elle qui rappelle un ordre pour trier les déchets, un horaire pour travailler et pour dormir, elle contrôle la vitesse pour traverser les localités et l’état de nos véhicules ; elle répartit les zones à bâtir et les zones agricoles, les chemins forestiers et les autoroutes. Et en Suisse nous avons le plaisir de les élire chaque quatre ans, les urnes disant … s’ils ont fait du bon travail ! (je ne parle pas  de certains pays où les présidents restent à vie !). Cette autorité reste cependant limitée, elle doit être mise face à la législation en vigueur et les traditions d’un pays ; elle doit aussi rendre compte au pouvoir judiciaire.

Dieu nous aide à découvrir nos capacités

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu : si l’on veut être honnête, tout le reste de notre vie intéresse Dieu. C’est lui qui nous donne cette capacité de créer semblable à la sienne, et il nous accompagne dans les différentes étapes de nos vies : naître ici ou ailleurs sans l’avoir demandé, grandir comme enfant et apprendre à être humain, se séparer de ses parents comme jeune adulte, fonder une famille en s’appuyant sur les valeurs reçues, comme grand-mère visiter son père en EMS, prendre soin des retraités que nous sommes tout en gardant les liens avec la descendance. La vie est complexe et Dieu est là pour nous aider à découvrir nos capacités et à développer nos possibilités de cœur. Car il a mis en nous des possibilités fantastiques que les saints nous révèlent : un François d’Assise qui, malgré sa peur de la contagion, embrasse le lépreux, et qui va même jusqu’à vouloir faire la paix avec un sultan dont il comprend à peine la langue.

Sortir de notre zone de confort

Nous vivons dans un temps incertain et nous pouvons rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à nos sœurs et frères un peu de ce que nous sommes et de ce que nous avons : malgré la Covid-19 nous pouvons garder des liens avec nos aînés, prendre du temps pour accueillir un inconnu, rencontrer des personnes « à risque », amener nos petits-enfants dans une église, allumer une bougie devant une icône, passer dans un cimetière et prier pour nos défunts. Comme le bon samaritain, nous devons sortir de notre zone de confort et nous approcher de celui ou celle qui est blessée au bord du chemin ; et alors nous serons vraiment les fils du Très-Haut, dignes de s’asseoir à sa table lorsque les anges nous rassembleront pour le banquet du Royaume. Oui, Dieu a démarré l’histoire de la création et de l’alliance, il a besoin de nous pour l’achever. Avec le prophète nous pouvons dire : Me voici, Envoie-moi !

29e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 45, 1.4-6; Psaume 95, 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b; Matthieu 22, 15-21

Homélie du 11 octobre 2020 (Mt 22, 1-14 )

Père Serge Ballanger, spiritain – Chapelle St-Joseph, École des Missions, Bouveret/St-Gingolph


C’est dès le milieu du 19ème siècle que les missionnaires sont allés porter l’Evangile en terre de Guinée Conakry. S’ils l’ont fait, c’est d’abord qu’ils goûtaient déjà, eux-mêmes, à la joie et la paix, au pardon et à l’accueil, aux mets succulents qu’offrait le Roi pour les noces de son fils. Ensuite, ils avaient la conviction qu’ils étaient envoyés par le Roi : « Allez-donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce. » Ils ont répondu : « Me voici, envoie-moi ». (Isaïe 6/8)

Semaine missionnaire mondiale


Durant cette semaine missionnaire mondiale qui s’ouvre en ce Dimanche, l’Église qui est en Suisse s’intéresse et s’informe sur la vie de l’Église sœur qui est en Guinée.
Chaque Église a sa propre personnalité, ses richesses et ses défis, il ne s’agit pas de comparer, mais de s’enseigner mutuellement, de se réjouir des merveilles que le Seigneur accomplit.
La Guinée comprend de multiples ethnies, groupes, qui ont chacune leur propre culture, langue, coutume et vision du monde.
Les premiers missionnaires ont appris la langue, produit des dictionnaires, ils ont traduit l’Évangile en langue locale, réalisé des catéchismes en langue, et formé des catéchistes.
Ces derniers allaient proposer la Parole d’Évangile dans les villages les plus éloignés, formaient de petites communautés chrétiennes que visitait le missionnaire.
Au fil du temps, les religieux frères ont bâti des chapelles plus solides, des missions avec église, écoles pour les garçons et écoles pour les filles. Les religieuses formaient les jeunes filles, elles les éduquaient.

Ils ont bâti sur le roc de la Parole de Dieu


Quelques noms de missions sont magiques pour les chrétiens de Guinée : Ourouss, Katako, Kindia, Boffa où se trouvent aujourd’hui le pèlerinage national à Notre Dame de Guinée et une cinquantaine de tombes où reposent les 1ers missionnaires de l’Evangile. Pourtant bien des événements contraires auraient pu mettre à bas le travail d’évangélisation en Guinée, mais il « avaient bâti » sur le roc, le roc de la Parole de Dieu. Je nommerai trois « vents contraires » :

Le 1er est celui de la fragilité des missionnaires : ils devaient manger une autre nourriture à laquelle leurs estomacs n’étaient pas préparés, faire face aux fièvres et au paludisme et voyager, pendant des jours et des jours, à travers des forêts dangereuses, pour rejoindre leur peuple. De Conakry à N’Zérékoré, la distance est de plus de mille kilomètres. Beaucoup de missionnaires sont morts à la fleur de l’âge.

Le 2ème fut le renvoi de tous les missionnaires étrangers par le président Sékou Touré en 1967. Imaginez toutes les missions se retrouvant sans prêtre du jour au lendemain, et la souffrance de ces missionnaires abandonnant leur peuple. Ce fut un déchirement pour eux. Parmi eux, des Spiritains du Valais dont les Pères Philippe Buttet, André Mettan.

Le 3ème vent contraire fut la confiscation par le régime en place de toutes les propriétés de l’Église, les écoles, les centres de développement et les bâtiments de la mission. Ils avaient tout perdu… Un véritable coup d’arrêt. Et cette dépossession durera pendant 17 ans jusqu’à la mort de Sékou Touré, en 1984. Les chrétiens ont vécu des brimades, des persécutions terribles.

L’Esprit conduit la mission


Quels furent les ressorts, les ressources de cette Eglise de Guinée qui a su répondre à tant de défis, et qui est aujourd’hui une Eglise relevée, une Eglise mature ?
Tout d’abord la Présence de l’Esprit-Saint, l’Esprit du Ressuscité. Il agit, il inspire du neuf et sa Présence, aucune force de mort ne peut l’arrêter. L’Esprit conduit la mission jusqu’à aujourd’hui, comme si bien exprimé dans le livre des actes des Apôtres.
Ensuite, l’inculturation de l’Évangile traduit en différentes langues du pays. L’Évangile était entendu dans leur langue, parlait au cœur des chrétiens, s’enracinait dans la culture pour finalement nourrir les cœurs et les rendre Fils et filles de Dieu.
Enfin, la foi et le courage des laïcs, la vitalité des catéchistes qui ont su continuer d’enseigner les petites communautés, donner de leur temps pour cette annonce et prendre des risques pour leur vie. La Parole de Dieu n’est pas restée vaine. Grâce aux catéchistes, les communautés ont traversé une vingtaine d’années sans recevoir l’Eucharistie, à l’exception de très rares occasions quand quelques prêtres Guinéens les visitaient. Les communautés de base sont restées vivantes avec à leur tête les catéchistes.

Aujourd’hui, l’Église de Guinée comprend 3 diocèses bien vivants : des vocations masculines et féminines fleurissent, les missions dispensent un enseignement et une éducation de qualité. Et elles travaillent pour promouvoir la santé, l’agriculture, les petits jardins, des formations en tout genre et, bien sûr, elle continue à former et encourager ses catéchistes.

Avec l’exemple de l’Église de Guinée, le témoignage est grand : oui, quand une Église particulière est aux prises avec des épreuves, elle trouve toujours des forces neuves, une issue, un chemin. L’Esprit du Seigneur la devance, il l’éclaire, il crée du neuf, dans la mesure où elle cherche la justice et la vérité.
Prions pour que notre Église de Suisse trouve elle aussi des forces neuves et une confiance renouvelée pour faire face aux défis de la société actuelle, dans la solidarité et la justice.

28e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Isaïe 25, 6-10a; Psaume 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6; Philippiens 4, 12-14.19-20; Matthieu 22, 1-14