A Abou Dhabi, le pape appelle à «démilitariser le cœur de l'homme»

La fraternité humaine exige des religions, le devoir de «bannir toute nuance d’approbation du mot guerre», a déclaré avec force le pape François – évoquant même le conflit au Yémen où sont engagés les Emirats arabes unis – le 4 février lors de la rencontre interreligieuse ‘Fraternité humaine’ organisée à Abou Dabi.

En ce huitième centenaire de la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan al-Malik al-Kāmil, le pape François s’est rendu dans la péninsule arabique en «croyant assoiffé de paix» avec ses frères. «Vouloir la paix, promouvoir la paix, être instruments de paix: nous sommes ici pour cela», a-t-il déclaré d’entrée au pied du Founder’s memorial, avec en arrière-plan des gratte-ciel audacieux d’Abou Dabi. Le monument est dédié au cheikh Zayed fondateur des Emirats arabes unis.

Pour sauvegarder la paix, a-t-il poursuivi devant une assemblée de représentants religieux du monde entier, il est nécessaire d’embarquer, «comme une unique famille», dans une arche de la fraternité capable de sillonner les mers en tempête du monde. Il n’y a pas d’autre alternative:»ou bien nous construirons ensemble l’avenir ou bien il n’y aura pas de futur».

Les religions sont ainsi appelées à faire germer des semences de paix. Aux représentants religieux incombe donc, «peut-être comme jamais dans le passé», une tâche urgente : «contribuer activement à démilitariser le cœur de l’homme». La fraternité humaine, en effet, «exige de nous, représentants des religions, le devoir de bannir toute nuance d’approbation du mot guerre».

«Rendons-le à sa misérable cruauté», a martelé le pontife. «Ses néfastes conséquences sont sous nos yeux», a-t-il lancé, mentionnant sans équivoque le Yémen, la Syrie, l’Irak et la Libye. Des paroles d’autant plus fortes que les Emirats arabes unis sont directement engagés dans la guerre civile yéménite du coté des forces du gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, élu en 2012, qui fait face depuis 2015 aux rebelles chiites Houthis.

«Au nom de Dieu Créateur, a insisté le successeur de Pierre, toute forme de violence est condamnée sans hésitation parce que c’est une grave profanation de l’utiliser pour justifier la haine et la violence contre le frère». «Il n’existe pas de violence qui puisse être justifiée religieusement».

Education et violence sont inversement proportionnelles

Il a ainsi prié d’opposer plutôt la «douce force» de la prière et l’engagement quotidien dans le dialogue. Cette cohabitation fraternelle, a-t-il considéré, doit se fonder sur les deux ailes de l’éducation et de la justice pour prendre son envol. En ce sens, investir dans la culture réduit la haine et favorise la croissance de la civilisation et de la prospérité. Car «éducation et violence sont inversement proportionnelles».

Le pape a notamment salué le bilan d’Abou Dabi qui «ne s’investit pas seulement dans l’extraction des ressources de la terre», mais aussi dans celles du cœur, dans l’éducation des jeunes». Il a néanmoins souligné l’importance de «former pour l’avenir des identités ouvertes, capables de vaincre la tentation de se replier sur soi et de se raidir».

L’individualisme est en effet un ennemi de la fraternité. Cela se traduit dans la volonté de s’affirmer soi-même et son propre groupe au-dessus des autres. De même, une justice adressée seulement aux membres de la famille ou aux croyants de la même foi est «une justice boiteuse».

La liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de culte

Tout en soulignant l’engagement des Emirats arabes unis à garantir la liberté de culte, le pontife a mis en garde: la liberté religieuse ne se limite pas à cette seule liberté, mais doit également permettre de voir dans l’autre un véritable frère. Une allusion directe faite aux immigrés catholiques, Philippins et Indiens, qui vivent et travaillent dans le pays, et ont contribué à l’essor éclair des Emirats arabes unis ces 40 dernières années.

Ils apportent aussi «la qualité de leur foi», a soutenu le pape. Car le respect et la tolérance qu’ils rencontrent, comme les lieux de culte où ils prient, leur permettent cette «maturation spirituelle». Le pontife a ainsi encouragé à ne pas en rester là mais à mettre en place des opportunités concrètes de rencontres, non seulement dans le pays mais aussi dans tout le Moyen-Orient. Et ce d’autant plus que Dieu est avec l’homme qui cherche la paix.

Avant cette prise de parole, le pape est entré dans la salle de conférence à ciel ouvert main dans la main avec Mohammed ben Rachid Al Maktoum, vice-président des Emirats arabes unis et émir de Dubaï, et Ahmed El-Tayeb, grand imam de l’université d’Al-Azhar au Caire.

Visite à la mosquée du cheikh Zayed

Plus tôt dans l’après-midi, il s’est rendu à la Mosquée du cheikh Zayed accompagné d’Ahmed El-Tayeb où il a rencontré le Conseil musulman des anciens pendant 30 minutes. Ce groupe international, créé pour promouvoir la paix et le dialogue entre les peuples, est à l’origine de la rencontre interreglieuse ‘Fraternité humaine’. Dans la mosquée, le pape a rendu hommage au cheikh Zayed, sur son tombeau.

Après son discours, le pape François a rejoint le palais Al-Mushrif, son lieu de résidence. Le 5 février, sera dédié à la communauté catholique locale. Il visitera tout d’abord la cathédrale, avant de se diriger vers le centre sportif Zayed. Là, à 10h30 (UTC+4), il célébrera la messe durant laquelle il prononcera l’homélie. (cath.ch/imedia/ah/mp)

A Abu Dhabi, le 4 février 2019, le pape a rencontré Ahmed Al-Tayeb, grand imam d'Al-Azhar | © dpa Gehad Hamdy/Keystone
4 février 2019 | 17:14
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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