Pour le directeur de Bellechasse, on ne badine pas avec le respect des religions

(*) A part celui de l’aumônier, tous les noms sont fictifs.

La spiritualité, part intégrante de l’accompagnement des détenus

Fribourg, 2 avril 2002 (APIC) «Nous n’avons pas attendu que les musulmans revendiquent des droits pour les leur accorder», souligne Henri Nuoffer, en expliquant les mesures prises pour permettre aux adeptes de l’islam d’exercer leur religion. Directeur des établissements pénitentiaires de Bellechasse depuis 20 ans, cet humaniste réagit à tout préjugé envers ses protégés. Rigueur d’analyse à l’appui.

APIC: Visiblement, votre pénitencier se fait un devoir de respecter les droits des musulmans .

H.N: Nous avons déjà commencé il y a 15 ans, en inscrivant sur les menus des repas sans porc. Mais ce principe était déjà inscrit dans les règlements et était appliqué depuis plusieurs dizaines d’années, ainsi que dans les autres établissements pénitentiaires de Suisse. Nous n’avons fait que l’institutionnaliser. Puis nous avons instauré la prière du vendredi et la venue de l’imam pour le Ramadan. Ces mesures semblent tout à fait satisfaire la communauté musulmane de Bellechasse. La seule revendication que j’ai entendue jusqu’à maintenant provenait d’un détenu se plaignant que sa cellule était trop petite pour son tapis de prière.

Je relève par ailleurs que le 80% de nos gardiens a suivi la session complète du Centre suisse de formation pour le personnel pénitentiaire, qui dure 15 semaines et comprend notamment l’approche des autres nationalités. On attend d’eux un respect total des religions. Et j’attends également des musulmans qu’ils respectent les autres croyances.

APIC: Quelle place prend la religion dans votre établissement?

H.N.: L’assistance morale et spirituelle fait partie intégrante de l’accompagnement des détenus. Et chaque adepte de quelque religion que ce soit peut recevoir des visites d’un de ses responsables. Quel intérêt aurions-nous à refuser que nos détenus soient accompagnés par des gens sérieux?

Mais je tiens à ce que la religion ne soit pas utilisée pour revendiquer des privilèges personnels. Il m’est arrivé même de citer des passages du Coran, que j’ai étudié pour mieux comprendre les détenus islamiques et aussi par intérêt personnel, pour contredire un musulman.

APIC: Quelle garantie avez-vous sur la qualité des représentants des religions?

H.N.: Je dois leur faire confiance. Je ne peux pas leur demander dans quel sens je souhaite leurs interventions. Il en va de leur crédibilité auprès des détenus. Les aumôniers catholique et réformé sont envoyés par leur Eglise, et l’imam est agréé par le Centre islamique de Fribourg. Cela me suffit comme garantie.

APIC: A défaut de statistiques précises, des organisations soulignent que les prisons suisses sont peuplées en majorité de musulmans. Qu’en est-il?

H.N.: C’est possible. Mais ce n’est pas le cas à Bellechasse, qui est pourtant le 5e pénitencier de Suisse. Nous ne comptons en moyenne que 32% de musulmans pour 43% de catholiques et 14% de réformés.

APIC: C’est tout de même une forte proportion. Peut-elle s’expliquer par le trafic de drogue, qui touche bon nombre de pays musulmans?

H.N: Ce n’est pas impossible. Mais l’an dernier, bien moins de la moitié de nos prisonniers ont contrevenu à la loi sur les stupéfiants, trafiquants pour la plupart. Et selon mes chiffres, la population de nationalité étrangère, y compris bien entendu les non-résidents en Suisse, représente à Bellechasse le 66% des détenus.

APIC: Quelle analyse de la société portez-vous depuis votre prison?

H.N.: En tant que directeur d’un établissement pénitentiaire, je souhaite avoir le moins de détenus possible. Or, les chiffres sont restés assez stables depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Je tiens tout de même à relever qu’en Suisse les prisons sont pleines car elles sont petites.

Actuellement, l’incarcération sans sursis constitue la dernière mesure que prend le juge. D’autres solutions, comme le travail d’intérêt public ou le bracelet électronique pour les courtes peines, sont apparues depuis une dizaine d’années. Sur près de 65’000 condamnations prononcées l’an dernier en Suisse, seules un peu plus de 7’000 ont débouché sur l’emprisonnement sans sursis, et 80% de ces condamnations sont des courtes peines. (apic/bb)

2 avril 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 3 min.
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