Les Mapuches, littéralement "Peuple de la terre" en mapudungun, sont les communautés aborigènes de la zone centre-sud du Chili et de l'Argentine (Photo: Wikimedia Commons/Ministerio Bienes Nacionales/CC BY 2.0)
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A Temuco, le pape va affronter la «question Mapuche»

Le pape François est très attendu le 17 janvier 2018 à Temuco, capitale de la région d’Araucanie, au Sud Chili, où les Indiens Mapuches se battent depuis des décennies pour récupérer leurs terres et leurs droits.

En octobre 2017, ils avaient écrit au pape François, lui demandant une prise de position forte.

Au cours de la «messe pour le progrès des peuples» que le pape François présidera sur l’aéroport de Maquehue, près de Temuco, qui verra la participation de quelque 300 prêtres, les Mapuches enverront une délégation officielle des diverses communautés indigènes de cette région située sur leur territoire ancestral. Les représentants mapuches, face à l’autel où officiera le pape, feront un plaidoyer, c’est-à-dire une prière coutumière publique adressée à Dieu.

Un long combat pour la survie

Les Mapuches ont combattu la conquête espagnole de leur pays pendant près de trois siècles. Ils sont aujourd’hui quelque 700’000, sur les 17,5 millions d’habitants que compte le Chili.

Le conflit mapuche persiste depuis des décennies dans le sud du Chili. Il oppose plusieurs communautés indigènes qui revendiquent la restitution de leurs terres ancestrales saisies par l’Etat chilien à la fin du XIXe siècle, qui appartiennent désormais à des entreprises forestières.

Ces dernières années, divers épisodes de violence ont entraîné la mort de plusieurs policiers et agriculteurs. Des Indiens ont été arrêtés et condamnés en vertu de la loi antiterroriste, notamment pour avoir incendié diverses propriétés, dont plus d’une dizaine d’édifices religieux catholiques ou évangéliques.

Un peuple aux droits foulés aux pieds

A propos de la crise mapuche, le jésuite chilien Fernando Montes Matte, 78 ans, craint que cette violence, qui provient de groupes minoritaires et ne peut être attribuée au peuple mapuche en tant que tel, soit détournée pour masquer les injustices infligées aux indigènes.

«S’il est important de s’opposer à la violence, insiste l’ancien recteur de l’Université jésuite Alberto Hurtado, il est tout autant essentiel que l’attention se porte sur ce qui devrait être une priorité: l’extrême pauvreté dans ces régions, les droits bafoués des peuples autochtones, qui ont été spoliés, et le manque de respect de leur culture.

Cet ancien camarade de classe de Jorge Mario Bergoglio, devenu le pape François, met en garde contre la tentation de se focaliser sur les épisodes de violence de ces dernières années liés à la «question Mapuche», y compris les incendies d’églises catholiques et évangéliques. On veut éviter ainsi toute vraie prise de responsabilité face aux problèmes posés par les peuples autochtones: «il y a en effet le risque que toute l’attention soit focalisée sur ces actes de violence et non sur la situation d’injustice et de violation des droits des Mapuches, qui a ses racines dans le passé et qui se perpétue encore aujourd’hui».

Violence et compagnies forestières

Au Chili, le débat fait rage sur la nature de ces actes de violence. Certains se demandent s’ils peuvent être considérés comme des actes de terrorisme ou s’il s’agit d’actes isolés de délinquance. Plusieurs procès ont été ouverts par les autorités judiciaires.

Il est vraiment regrettable, a déclaré le Père Montes à l’agence d’information vaticane Fides, que le pouvoir se concentre sur les mesures répressives et policières, «plutôt que sur les problèmes sous-jacents à ces actes isolés et certainement déplorables».

Ces dernières années, insiste l’intellectuel jésuite, de grandes entreprises forestières se sont installées dans la région qui, en raison du type de plantations réalisées, ont eu de graves répercussions sur l’environnement. «On peut dire qu’une grande partie des violences ont visé ces entreprises forestières».

Demandes de restitution des terres

Dans cette situation, selon l’ancien recteur de l’Université jésuite, l’Eglise peut également contribuer à mettre en lumière la situation réelle du peuple mapuche, en prenant au sérieux les demandes de restitution d’au moins une partie des terres revendiquées et en rappelant le nécessaire développement social de l’ensemble du territoire.

«Si l’on veut vraiment intégrer les citoyens mapuches au Chili, il est également essentiel qu’ils acquièrent des niveaux de participation appropriés à la gestion du pays tout entier», lance le Père Fernando Montes. Les chrétiens peuvent contribuer à la croissance d’un regard qui tienne compte de tous les facteurs en jeu dans la question mapuche, afin de favoriser «une relation juste, fraternelle et pacifique avec l’ensemble de la population originelle de cette région».

Des attentes face au pape

Selon le jésuite chilien, le pape «peut nous dire un mot important à cet égard. Cela pourrait aider tout le monde à demander pardon, humblement, pour les choses dont nous avons été responsables. Sa présence devrait nous aider à ne pas détourner notre attention du problème sous-jacent». Les jésuites ont aujourd’hui une communauté au cœur du territoire mapuche. Le lien entre les enfants spirituels de saint Ignace et l’histoire des Mapuche a des racines profondes.

Le Père Montes rappelle que les Mapuches avaient pu résister à l’Empire Inca et qu’ils ont longtemps fait de même avec les conquistadores espagnols. Les jésuites ont appris la langue des Mapuches, et sont allés parler avec le roi d’Espagne pour lui dire qu’on ne pouvait pas imposer la foi par la force, et le convaincre de mettre fin à la guerre contre ce peuple indigène.

En 1620, lors de sa congrégation générale provinciale, la Compagnie de Jésus attirait déjà l’attention sur la nécessité de mettre fin à l’esclavage et de promouvoir d’autres formes de vie en commun. Pour l’ancien recteur de l’Université Alberto Hurtado, c’était là un document social de première importance, et qui attestait que la conquête de cette région avait été réalisée «de façon honteuse». (cath.ch/fides/com/be)

 

Les Mapuches, littéralement «Peuple de la terre» en mapudungun, sont les communautés aborigènes de la zone centre-sud du Chili et de l'Argentine
12 janvier 2018 | 16:02
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
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