L'abbé Jean Civelli, prêtre retraité à Fribourg | © Grégory Roth
Suisse

Abbé Jean Civelli: «Jésus n'était pas 'prêtre', mais un bon pasteur»

Jésus n’était pas membre de la caste sacerdotale juive. Mais l’Église catholique, avec ses prêtres, a en quelque sorte rétabli cette caste. Pour l’abbé Jean Civelli, la sacralisation des clercs a participé à la crise des abus de pouvoir et scandales que connaît l’Église aujourd’hui.

Avec son dernier livre, Dieu n’aime pas les sacrifices, publié en 2021 aux éditions Parole et Silence, l’abbé Jean Civelli évoque le cléricalisme et le sacré. Le prêtre fribourgeois explique comment le sacré, lorsqu’il est réservé à une caste – comme ce fut le cas du temps de l’ancienne Alliance –, peut conduire au cléricalisme. Entretien.

Pourquoi titrez-vous «Dieu n’aime pas les sacrifices»?
Abbé Jean Civelli: Petit à petit, j’ai pris conscience que l’Ancien Testament contient de nombreuses références où Dieu n’aime pas ou ne veut pas de sacrifices, par exemple chez le prophète Isaïe (Is 1, 13) ou dans les Psaumes (Ps 51, 19). En réalité, le sacrifice est une démarche humaine pour se rapprocher de Dieu. Il fallait se purifier et apporter quelque chose à Dieu. On ne venait pas à Lui les mains vides. Et en réponse, Il acceptait le don et à son tour rendait son pardon, sa bénédiction, etc.

Dans le monde ancien, c’est une pratique courante…
Il faut savoir que parmi les douze tribus d’Israël, celle de Lévi n’a pas reçu de territoire en héritage, parce qu’elle était responsable du culte. Ses membres formaient ainsi une classe à part, les descendants d’Aaron, frère de Moïse. Ils étaient les seuls à avoir part au sacré, à pouvoir accéder dans le sanctuaire et offrir les sacrifices. Quand Jésus arrive, dans un monde juif, il n’est pas membre de la tribu de Lévi. Il fait parti de la tribu de Juda, il ne peut donc même pas s’approcher de l’autel, sous peine d’être mis à mort. Jésus – qu’on appellerait aujourd’hui un ‘laïc’, du terme grec ‘laos’, qui signifie ‘du peuple’, n’était pas un prêtre ou un membre du sacré.

«Jésus n’était pas un membre du sacré. Il est ‘du peuple’, ce qu’on appellerait aujourd’hui un ‘laïc’».

Ne dit-on pas pourtant que Dieu a sacrifié son propre Fils?
Oui, en référence à Abraham qui était prêt à sacrifier son fils Isaac. Quand Jésus meurt sur la Croix, on a pensé plus tard que sa mort était un sacrifice de son Père pour achever les sacrifices offerts au temple de Jérusalem. Mais c’est une mauvaise compréhension. Jésus n’est pas mort au temple. Il a subit l’exécution d’un condamné de droit commun, un blasphémateur. La volonté de Dieu n’est pas que son Fils souffre, mais qu’il aille jusqu’au bout pour porter cette présence de l’Amour de son Père, jusque dans les ténèbres de la mort infligée par la haine humaine.

Le terme sacrifice paraît péjoratif, mais vous rappelez que ce n’est pas son sens étymologique…
Avec Jésus, le sacrifice prend tout son sens premier: ‘faire-sacré’. Avec Jésus, c’est la présence même de Dieu. Dieu vient gratuitement déposer en Jésus la plénitude de son amour. Par sa mort, il a offert la présence de Dieu pour tous et a supprimé ainsi tout besoin de sacrifices et de caste sacerdotale pour les perpétrer. Comme le rappelle la lettre de saint Paul aux Hébreux «car, par une seule offrande, il a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés» (He 10, 14).

«Le baptême, c’est un sacerdoce nouveau, qui donne accès au Père».

Faire sacrifice, c’est donc accueillir l’amour de Dieu dans sa propre vie…
Exactement, et pour tout ceux qui veulent suivre Jésus, cela commence par le baptême, comme le rappelle saint Paul. Le baptême, c’est l’acte de Dieu qui vient habiter un être humain et permet au Christ d’accueillir ce membre auprès de Dieu. C’est un sacerdoce nouveau, qui donne accès au Père. Il vient de Jésus comme prêtre – non comme Lévi – mais selon l’ordre de Melkisedeq (He 7), c’est à dire, qui «a donné sa vie pour ses amis».

Vous expliquez ensuite que l’Église a quand même fini par rétablir des prêtres…
Comme les communautés chrétiennes grandissent, les structures sont nécessaires et il faudra à nouveau des responsables, qui redeviennent avec le temps des spécialistes du sacré. A partir d’anciens (presbytres), ils deviennent ‘prêtre’ avec un rôle davantage politique et une fonction toujours plus sacrée, une nouvelle ‘caste sacerdotale’, que je développe plus abondamment dans le 4e chapitre de mon livre.

Vous relevez également que Jésus était davantage ‘pasteur’…
Jésus, déjà présenté comme fils de David, qui était berger. Jésus se dit aussi être le Bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis (Jean 10, 11). Et saint Pierre – a qui Jésus demande de paître ses brebis – dira lui aussi dans sa lettre (1 P 5, 1-4): aux anciens, soyez des bergers. Et on pourrait ajouter le terme du pape François, qui invitent les prêtres à être des pasteurs pénétrés de «l’odeur de leurs brebis», c’est-à-dire «au milieu de leur propre troupeau».

La mosaïque du Bon Pasteur au mausolée de Galla Placidia, à Ravenne VIe siècle

Être prêtre ‘au milieu de sa communauté’, c’est ce que vous préconisez pour lutter contre le cléricalisme?
Avec le concile Vatican II, il est question de privilégier le rôle pastoral des ministres de l’Eglise. A l’opposé du concile de Trente, qui prenait les candidat «au berceau» (comme dans l’institution des ‘petits séminaires’), choisi parmi les jeunes hommes, exclusivement formés dans une institution séparée en cercle clos et séparée de la communauté. Pourquoi ne pas envisager une nouvelle manière de recruter ces ministres et de les former. Certes, Dieu appelle et l’évêque ratifie, mais pourquoi la communauté ne pourrait pas être partie prenante à la désignation.

«Pourquoi ne pas envisager une nouvelle manière de recruter ces ministres et de les former».

Le candidat pourrait bien sûr être marié, homme ou femme, et même en partie garder son travail, comme le faisait saint Paul. Ce serait vraiment un retour, non pas à l’ancienne Alliance, mais à la pratique paulinienne. Cela modifierait les conditions de l’exercice du ministère pastoral et permettrait bien d’éviter des dérives, des solitudes, et surtout un recours à un «pouvoir sacré». (cath.ch/gr)

Né en 1938 à Fribourg, Jean Civelli est ordonné prêtre en 1964 pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Pendant de nombreuses années, il est délégué épiscopal pour la vie religieuse, visitant les communautés religieuses à travers toute la Suisse romande et prêchant de nombreuses retraites en Suisse et en France. En 1992, il est nommé prêtre auxiliaire à l’église St-Pierre de Fribourg – la paroisse de son enfance – et aumônier pour le Centre Sainte-Ursule, jusqu’à sa retraite. Il écrit son premier livre «Sa tendresse est inépuisable» en 1996. GR

L'abbé Jean Civelli, prêtre retraité à Fribourg | © Grégory Roth
17 décembre 2021 | 17:29
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 5 min.
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