Mgr Joseph Bonnemain a annoncé des mesures pour "réparer et prévenir" les abus sexuels | © Bernard Hallet
Suisse

Abus sexuels dans l’Église: les centres LAVI à la rescousse?

Le 12 septembre 2023, Mgr Joseph Maria Bonnemain avait annoncé qu’une instance nationale d’accueil et d’écoute pour les victimes d’abus sexuels serait mise en place d’ici fin 2024. Six mois plus tard, les responsables de l’Eglise s’interrogent sur la manière de procéder pour éviter un système trop lourd, exigeant beaucoup de ressources et de personnel. Les centres LAVI pourraient être appelés à la rescousse.

Annalena Müller kath.ch / traduction et adaptation Maurice Page

«Nous n’avons pas besoin d’un lieu où l’on place une annonce et où rien ne se passe ensuite. Nous avons besoin d’un lieu d’accueil. Un lieu où l’on peut être pris en charge, psychologiquement et juridiquement», explique Vreni Peterer de l’association de victimes alémanique IGMikU. Jacques Nuoffer du groupe SAPEC de Suisse romande demande également que ce service soit organisé au niveau national, mais avec des représentants dans chaque canton. Un accès à bas seuil, une structure uniforme, une indépendance et un personnel doté des connaissances nécessaires, telles sont globalement les demandes des associations.

Un énorme défi pour l’Église

Ce qui semble évident représente en fait un grand défi pour l’Église suisse. Au sein de la Conférence des évêques suisses (CES) et de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), on estime de plus en plus la chose difficilement réalisable. Les obstacles sont trop élevés et le personnel trop peu nombreux. Il faudra en outre tenir compte des questions complexes de protection des données, des différences cantonales, ainsi que des attentes des victimes et du public. Mgr Bonnemain a laissé entendre, le 2 mars 2024, lors de l’assemblée de l’IGMiku qu’il pourrait y avoir des retards. L’évêque de Coire n’a pas voulu s’engager sur une date précise.

Vreni Peterer de l’IGMiku aux cotés de Stefan Loppacher, lors d’un débat à la Paulus-Akademie de Zurich | Paulus-Akademie

Les centres LAVI à la rescousse? 

Une des pistes envisageables serait d’obtenir la collaboration des centres d’aide aux victimes LAVI. Organisées et financées par l’État, ces structures pourraient être un appui utile pour l’Église.

Les centres d’aide aux victimes LAVI existent dans toute la Suisse

En effet, selon la loi fédérale sur l’aide aux victimes (LAVI), en vigueur depuis 1993, toute personne qui a subi en Suisse une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle à la suite d’une infraction a droit à un soutien. Ce soutien comprend des conseils et une aide immédiate. Mais aussi des contributions aux frais pour un soutien à plus long terme, par exemple pour une aide médicale, psychologique, sociale, matérielle et juridique. L’Église pourrait s’appuyer sur ces structures et financer du personnel supplémentaire.

«L’Église ne doit pas réinventer la roue»

Pour Sandra Müller, directrice du centre cantonal LAVI de Zurich, l’Église ne doit pas réinventer la roue. «Nous sommes d’avis qu’il faut absolument éviter une structure parallèle», a-t-elle expliqué à kath.ch. La mise en place d’une telle structure en l’espace d’un an serait en effet impossible.

«Il va de soi que les centres LAVI sont aujourd’hui déjà à la disposition des victimes d’abus dans l’environnement ecclésial», relève Sandra Müller. Ce qui leur manque ce sont des connaissances spécialisées du contexte spécifique de l’Église et, le cas échéant, du personnel supplémentaire capable d’assurer le traitement des nouveaux cas. «J’ai reçu des signaux de l’Église selon lesquels cela devrait être possible», assure-t-elle.

Soigner la communication

Comment pourrait-on concrètement s’arrimer aux centres LAVI? «Du côté de l’Église, il faudrait des interlocuteurs désignés qui disposent des connaissances structurelles et juridiques de l’Eglise. De leur côté, les collaborateurs des centres de consultation devraient être instruits et savoir à qui s’adresser pour discuter de questions spécifiques concernant les particularités ecclésiales. La formation et le financement pourraient être assurés par l’Église.

Sandra Müller, directrice du centre LAVI du canton de Zurich | DR

Enfin, l’Église devrait veiller à la communication. Elle devrait faire savoir que les victimes d’abus peuvent s’adresser aux centres LAVI cantonaux. Selon Sandra Müller, tout cela devrait être réalisable dans les grandes lignes d’ici à la fin de 2024.

L’Église informera en mai

Interrogé par kath.ch, Stefan Loppacher, responsable de la commission sur les abus, pour la Conférence des évêques suisses (CES) n’a pas voulu pour l’heure donner d’autres informations. »Les travaux actuellement en cours seront discutés en mars au sein des organes directeurs de la CES, de la Conférence centrale et de la KOVOS (religieuses et religieux). Des décisions concernant la mise en œuvre ne sont pas encore prévues. Nous informerons en détail en mai sur l’état de la mise en œuvre de toutes les mesures annoncées», conclut-il. (cath.ch/kath.ch/mp)


Jacques Nuoffer, président du groupe SAPEC, lors de la publication de l’étude-pilote de l’Université de Zurich, le 12 septembre dernier, | Bernard Hallet

Une année 2023 chargée pour le groupe SAPEC

A la veille de son assemblée annuelle du 7 mars 2024, à Lausanne, le groupe SAPEC livre le bilan de son activité au cours de l’année 2023. Avec trois fois plus d’appels, l’association romande de soutien aux victimes d’abus dans le contexte religieux a eu une année chargée.

La publication des résultats de l’étude pilote sur les abus dans l’Église catholique en Suisse, le 12 septembre 2023 a provoqué un séisme au niveau national, permettant à de nombreuses victimes de sortir du silence, relève d’emblée le rapport du groupe SAPEC. Deux répliques, avec l’émission «Mise au Point» mettant en évidence les abus de neuf chanoines de l’Abbaye de Saint-Maurice, puis la conférence de presse de Mgr Morerod concernant son prédécesseur, Mgr Bernard Genoud ont fait de 2023 une année hors normes. 

Trois fois plus d’appel

Ainsi entre septembre et décembre 2023, le nombre de demandes par téléphone et courriel a plus que triplé, tant pour ce qui est des demandes de soutien que des demandes des médias, relève le président Jacques Nuoffer.

Jamais en 13 ans d’engagement, le Groupe SAPEC n’avait reçu autant d’appels. En général, ils ne dépassaient pas la vingtaine par an. En 2023, ils sont passés à plus de 70, dont une cinquantaine entre mi-septembre et mi-décembre. Par ailleurs, l’appel de personnes victimes de pasteurs au sein des Églises réformées qui avait commencé l’an dernier a pris de l’ampleur, atteignant la dizaine.

Des demandes variées pour des cas anciens

Les demandes individuelles sont très variées, constate le rapport. La plupart des prises de contact demandent écoute, information, conseil, soutien ou accompagnement. Il s’agit le plus souvent de personnes victimes d’abus sexuels, mais aussi de leurs proches. Selon la demande, les échanges se poursuivent par courrier ou par téléphone et débouchent parfois sur une rencontre. Le SAPEC conseille aux victimes d’abus prescrits par des agents pastoraux de prendre contact avec la CECAR, et, dans les autres cas avec les centres LAVI ou de s’adresser à la police quand il n’est pas certain que le cas soit prescrit.

Les personnes qui dénonçaient d’anciens abus dans leur famille ou dans leur paroisse ont été invitées à les signaler à leur évêque et aux chercheurs de l’Université de Zurich.

Emprise et abus de pouvoir

Le SAPEC a aussi reçu de nouvelles demandes émanant d’ex-religieuses s’inquiétant pour certaines sœurs vivant encore à l’intérieur de communautés et subissant emprise, abus de pouvoir et abus spirituels de la part de leurs supérieures. Elles cherchaient conseils et soutien pour faire évoluer la situation, éradiquer l’emprise. Les autorités religieuses en ont été alertées.

Aussi chez les protestants

Interpelé par des victimes d’abus au sein des Eglises protestantes, le SAPEC a invité La présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) à une rencontre en décembre 2023. Rita Famos a fait ensuite savoir dans la presse que l’organisme religieux qu’elle dirigeait avait trop longtemps fermé les yeux et qu’il y avait certainement pas mal de cas. Et d’ajouter qu’un service de signalement avait été mis en place et qu’une étude nationale et une indemnisation financière des victimes étaient en discussion.

Marie-Jo Aeby, vice-présidente du groupe SAPEC | © Bernard Hallet

Contacts en Suisse et à l’étranger

Le SAPEC entretient par ailleurs des contacts avec d’autres associations de victimes en particulier l’IGMiKU en suisse alémanique et l’AVREF en France. Deux membres du SAPEC ont également participé aux manifestations organisées à Rome par l’ONG ECA (Ending Clergy Abuse – Global Justice Project) à l’occasion du Synode sur la synodalité en octobre. Les membres d’ECA se sont mobilisés pour demander une véritable application du principe de «tolérance zéro» sur les abus sexuels.

Journée d’étude à l’Université de Fribourg

La journée d’étude du 17 novembre 2023 organisée en collaboration avec l’Université de Fribourg a été un autre point fort de l’activité du SAPEC. Cinq conférences et une table ronde ont traité du sujet de l’emprise dans le contexte religieux devant une centaine de personnes. Un podcast et la publication des actes de ce colloques sont en préparation.

L’attente de la relève

Des membres engagés depuis la fondation de l’association il y a 13 ans appellent à une relève. 2024 devrait ainsi être une année de clarification de l’avenir du Groupe SAPEC. Il s’agira d’assurer un fonctionnement minimum, parallèlement à une définition des activités ultérieures. (cath.ch/com/mp)  

Mgr Joseph Bonnemain a annoncé des mesures pour «réparer et prévenir» les abus sexuels | © Bernard Hallet
6 mars 2024 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 6 min.
Partagez!