Assemblée spéciale du synode des évêques pour l’Afrique (290394)
APIC – Dossier
Rome 10 avril – 8 mai 1994
Bruxelles, 29mars(APIC/CIP) L’assemblée spéciale du Synode des évêques
pour l’Afrique, qui se déroulera à Rome du 10 avril au 8 mai 1994, sera à
n’en pas douter un événement de portée historique non seulement pour
l’Eglise en Afrique, mais pour toute l’Eglise. Il s’agit de la première
concertation à ce niveau de l’Eglise de ce continent, annoncée par JeanPaul II le 6 janvier 1989.
Le 27 février dernier le pape soulignait encore: «L’Afrique a un besoin
urgent de solidarité. Mais elle a aussi beaucoup à offrir, dans un échange
fécond de dons, en puisant dans ses grandes richesses humaines et spirituelles que l’Eglise considère avec respect et admiration, puisque l’annonce
du Christ n’humilie pas les différentes cultures, mais, au contraire, en
reprend les valeurs authentiques, les portant à leur plénitude».
Une longue attente
La démarche en vue d’une assemblée africaine remonte à une trentaine
d’années, la requête portant selon les cas sur une concertation, un concile
ou un synode. Il en était déjà question dans les couloirs de Vatican II,
rapporte le cardinal Gantin. Les aspirations à «l’indigénisation» de
l’Eglise, de la pratique pastorale et de la théologie, se sont exprimées
dès avant les indépendances nationales. Paul VI en 1969 reconnaît la légitimité de ces aspirations. Mais il faut attendre 1989 pour voir Jean Paul
II annoncer à Rome la convocation d’une «assemblée spéciale pour l’Afrique
du Synode des évêques». Il s’agit, précise le pape, d’une initiative souhaitée par un très grand nombre d’évêques, prêtres et laïcs africains,
qu’il a volontiers faite sienne dans le but de favoriser «une solidarité
pastorale organique sur le territoire africain tout entier et les îles voisines».
La décision papale est reçue en Afrique comme une réponse dont l’attente
risquait, par sa lenteur exceptionnelle, de décourager les pasteurs et les
fidèles. Beaucoup la reçoivent avec gratitude. Pour Mgr Matondo, évêque de
Basankusu (Zaïre), «la convocation de ce synode constitue (…) une satisfaction sans doute partielle mais importante. Personne n’ignore que, en
Afrique même, des conférences épiscopales, des groupes divers étaient tout
à fait opposés à l’idée d’un concile ou même d’un synode. Aussi faut-il saluer le courage du Saint Père et le remercier parce qu’il offre aux Africains une occasion de s’exprimer. Combien d’Eglises d’Afrique demandaient
un concile? La moitié? Le tiers? Je ne sais pas. Mais que le pape ait répondu aux voeux d’une minorité montre assez qu’il a reconnu la légitimité
de sa requête.» (La Croix, 28 mars 1990).
Beaucoup d’observateurs attribuent le retard mis à convoquer le synode à
la curie romaine, qui aurait mis en doute les capacités matérielles des
Eglises africaines d’organiser un tel rassemblement et, surtout, aurait
craint qu’il ne se transforme en instrument de revendication d’une plus
grande autonomie. Pourtant, notait à l’époque Paul Rutayisire (Burundi), le
scepticisme ne se situait pas d’un seul côté. En effet, des observateurs
avertis ont mis en garde les promoteurs de l’idée initiale d’un concile
africain contre un double danger: celui d’»une réunion cléricale de plus,
sans résultat réel, sinon le simple constat des problèmes»; et celui d’»un
renforcement du contrôle romain sur les Eglises africaines».
Concile et synode
Outre les conciles oecuméniques qui rassemblent toute l’Eglise universelle, le droit canon prévoit des conciles locaux ou régionaux qui réunissent des Eglises particulières. Le droit ne prévoit pas de concile à
l’échelle d’un continent, mais on estime que le pape aurait le droit de
permettre une telle réunion. Le concile est l’affaire des évêques locaux
qui en sont membres de plein droit avec voix délibérative, même s’il ne
peut promulguer de décret sans l’approbation du pape.
Le Synode des évêques, créé par Paul VI, est une assemblée d’évêques
chargée d’aider le pape à exercer son rôle de primat pour des problèmes déterminés. Il est «directement soumis à l’autorité du pontife romain» auquel
revient le droit de le convoquer, de choisir le lieu de sa réunion, de le
présider (par lui-même ou par d’autres) et de le conclure.
Il y a donc, note Maurice Cheza, théologien belge, une différence de nature entre ce qu’aurait été un concile africain et ce que sera le synode
spécial des évêques pour l’Afrique. Dans le premier cas, les évêques auraient été là en raison de leur charge pastorale (…) et ils auraient délibéré de plein droit tout en exprimant leur communion avec le successeur
de Pierre. Dans le second cas, l’assemblée n’est normalement pas délibérative, mais elle a pour but «d’aider le Pontife romain de ses conseils» (canon 342) et tous les évêques n’y sont pas nécessairement convoqués. Dans le
premier cas, les évêques africains auraient été les acteurs principaux du
concile, dans le second cas, c’est le Saint-Siège qui organise l’assemblée.»
Une première consultation
Au début 1989 se réunit à Rome une «commission antépréparatoire» composée du président du Symposium des conférence épiscopales d’Afrique et de
Madagascar (SCEAM) et des présidents des neuf conférences épiscopales régionales. Après l’installation d’un secrétariat, le thème général est annoncé au mois de juin: «L’Eglise en Afrique et sa mission évanglisatrice
vers l’an 2000».«Vous serez mes témoins (Ac 1,8). Cinq thèmes particuliers
seront à traîter: l’évangélisation, l’inculturation, le dialogue oecuménique, la justice et la paix, les médias.
En juillet 1990 sont publiés les «lineamenta», document préparatoire qui
doit permettre aux évêques, aux prêtres et aux laïcs d’approfondir la réflexion. Ces «lineamenta» s’accompagnent d’une consultation composée de 81
questions dont les réponses serviront à la préparation du document de travail du synode.
Le document de travail du synode
Ce document de travail ou «instrumentum laboris» (IL) est publié, en
présence du pape, en février 1993 à Kampala, où sont annoncés le lieu (Rome) et la date de l’ouverture du synode (10 avril 1994), ainsi que la tenue
en Afrique même, en présence du pape, de plusieurs cérémonies de promulgation.
A l’instar des Lineamenta, l’I.L. rappelle que la seule préoccupation du
synode est l’évangélisation: «Des millions de personnes sur le continent
africain n’ont pas encore été évangélisées», avant de décliner concrètement
ce thème unique en cinq tâches, sur lesquelles il apporte un éclairage à la
fois théologique et pastoral.
L’évangélisation est annonce, dans la continuation des premières communautés missionnaires, mais en mettant en oeuvre les enseignements du concile Vatican II. Une lecture des «signes des temps» s’impose, où le positif
(maturation des Eglises particulières, esprit communautaire, dynamisme des
mouvements apostoliques, prise de conscience sociale, renouveau biblique et
catéchétique…) voisine avec le négatif (tendance au syncrétisme, fragilité de la foi, évolution de l’islam, prolifération des sectes, relâchement
moral…). Dans ce contexte, l’Eglise est présentée comme la «famille de
Dieu» (appellation qui parle aux Africains, car elle souligne les valeurs
d’unité et de solidarité). Toute cette «famille» doit se mettre en dynamique d’évangélisation: le clergé (d’où l’importance de la formation et de la
sélection minutieuse des futurs prêtres), les religieux, les catéchistes,
les «communautés ecclésiales vivantes». Pour la diffusion du message, le
texte insiste sur le caractère central de la Parole de Dieu.
L’inculturation, à laquelle l’I.L. consacre quinze pages, est décrite
comme une «urgence». Le christianisme, qui répond à une logique d’incarnation, doit prendre chair dans la vie et les croyances des peuples qui accueillent le Christ. Notant que beaucoup d’Africains éprouvent une sorte de
duplicité dans leur manière de vivre la foi, une partie de leur vie et de
leur être restant en marge de l’Evangile, l’I.L. ajoute que «le christianisme est lui-même enrichi quand il entre en dialogue avec les peuples et
leurs cultures». Le document précise que l’inculturation n’est pas la propriété des seuls experts, mais incombe à toute la communauté croyante et
touche l’ensemble de l’expression de la foi. Il rappelle que «l’Eglise a
survécu là où elle a respecté les principes d’inculturation» (Egypte, Ethiopie). A noter la mention des problèmes du mariage et de la santé, que
les «lineamenta» n’abordaient pas. Enfin, cette expression imagée pour définir l’inculturation: «C’est Jésus guidant la communauté en une danse nouvelle au rythme nouveau de son tambour.» Le résultat en sera de «nouveaux
visages» du Christ.
Le dialogue est une dimension de l’évangélisation. L’oecuménisme est
d’une importance vitale car, selon certaines projections, les catholiques
ne représenteraient, en l’an 2000, que 30 % des 393 millions de chrétiens
en Afrique. Longtemps limitée à diffusion de la Bible, la collaboration
doit s’ouvrir à de nouveaux domaines. Les rapports avec les nouveaux mouvements religieux et les «Eglises africaines indépendantes» posent des questions spécifiques. Au sujet du dialogue avec l’islam, dont l’expansion inquiète, l’I.L. insiste sur le principe de réciprocité comme «condition sine
qua non de tout progrès dans le dialogue». Le dialogue avec la religion
traditionnelle, enfin, renvoie au problème de l’inculturation. L’I.L. décrit surtout les aspects positifs et négatifs de ce héritage ancestral qui
reste très présent, ne serait-ce qu’au niveau subconscient.
La justice et la paix
La justice et la paix sont d’autres dimensions de l’évangélisation. Cela
regarde la conversion des coeurs, mais également la transformation des
structures sociales, économiques, politiques et culturelles. L’I.L. signale
que la situation actuelle en Afrique en fait de promotion humaine est
«préoccupante», voire «désastreuse». Il prend acte de l’évolution vers la
démocratisation et du rôle que des évêques sont appelés à jouer dans cette
«transition». «Le synode, précise-t-il, devrait permettre de faire un bilan
de l’engagement de l’Eglise dans ces nouvelles situations et de préciser le
rôle propre de l’Eglise.»
Les médias africains doivent compter avec de nombreux obstacles, comme
en ont témoigné la préparation et l’organisation du synode lui-même: manque
de moyens, infrastructures déficientes, problèmes de langue. Or l’évangélisation est communication. L’I.L. suggère de mettre en valeur des ressources
africaines que sont les «médias populaires» comme l’incontournable palabre,
le théâtre, les histoires, les contes, les légendes, les proverbes, les
danses, le tambour, l’expression artistique. (apic/cip)
Encadré
Une longue attente
La démarche en vue d’une assemblée africaine remonte à une trentaine d’années, la requête portant selon les cas, sur «une concertation», sur un concile ou sur un synode. Il était déjà question d’un concile africain dans
les couloirs de Vatican II, rapporte le cardinal Gantin. Les aspirations à
l’»indigénisation» de l’Eglise, de la pratique pastorale et de la théologie, se sont exprimées dès avant les indépendances nationales.
Paul VI proclame clairement la légitimité de ces aspirations dans un important discours prononcé à Kampala en juillet 1969, où se tient la première assemblée générale du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et
de Madagascar (SCEAM): «Africains, vous pouvez et vous devez avoir un
christianisme africain».
En 1972, l’idée d’une concertation de l’ensemble de l’épiscopat africain
est suggérée aux évêques de la conférence épiscopale régionale de l’Afrique
de l’Ouest par un laïc, Alioune Diop, secrétaire général de la Société
africaine de culture. Au synode des évêques de 1974, à Rome, Mgr Yago
(Abidjan) demande la tenue d’un synode extraordinaire afin de traîter plus
largement la question des jeunes Eglises. Les évêques africains présents à
ce synode publient une déclaration sur la «coresponsabilité dans l’évangélisation», où ils relèvent que «la théologie de l’adaptation est dépassée
et doit être remplacée par la théologie de l’incarnation».
Interpellations zaïroises
L’idée d’un «concile» africain, émise par le Père Fabien Eboussi Boulaga, figure explicitement parmi les recommandations d’un colloque organisé
en 1977 à Abidjan par la Société africaine de culture sur «Civilisation
noire et Eglise catholique». Elle fait son chemin, principalement au Zaïre
et au Cameroun, ainsi que dans des lieux comme le SCEAM et l’Association
oecuménique des théologiens africains (AOTA).
Par deux fois, l’épiscopat du Zaïre évoque publiquement le sujet devant
le pape. A Kinshasa le 3 mai 1980, Mgr Kaseba, président de la Conférence
épiscopale, suggère «la convocation d’un concile ou du moins, dans un premier temps, d’un synode particulier qui mobiliserait l’ensemble du peuple
de Dieu»; à Rome, en avril 1983, le cardinal Malula renouvelle le souhait
d’un concile africain «qui permettra à nos Eglises de faire le point de la
situation du christianisme en Afrique et d’établir en concertation des bases adéquates pour l’évangélisation intégrale de notre continent à l’avenir». Jean-Paul II y répond favorablement en acceptant le principe d’une
telle rencontre.
A la septième assemblée du SCEAM (Kinshasa, 1984), qui voit l’élection à
la présidence du cardinal Malula, l’idée d’un concile africain revient sur
le tapis. Dans une atmosphère euphorique l’assemblée du SCEAM décide de
consulter les conférences épiscopales. Sept mois plus tard, le 17 février
1985, la Congrégation romaine pour l’évangélisation des peuples adresse une
lettre à chaque évêque, par voie diplomatique, pour une consultation confidentielle sur l’idée d’un concile africain, émettant pour sa part des «réserves particulières». En 1987, après consultation des épiscopats, le SCEAM
révèle qu’un tiers est opposé à la proposition d’un concile, qu’un autre
tiers y est favorable, les autres répondant «oui, mais pas tout de suite».
C’est enfin le 6 janvier 1989 que Jean Paul II annonce à Rome la convocation d’une assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques.
(apic/cip)
Encadré
Concile et synode
Outre les conciles oecuméniques, le droit ecclésiastique prévoit la possibilité de conciles particuliers pléniers (territoire d’une conférence épiscopale) ou provinciaux (territoire d’une province ecclésiastique), en prévoyant certaines normes de communion avec l’Eglise universelle et, plus
particulièrement avec le Siège de Pierre. Les décrets d’un concile particulier ne peuvent être promulgués qu’une fois reconnus par le pape. Le concile particulier reste cependant totalement l’affaire des évêques locaux, ils
en sont membres de plein droit avec voix délibérative.
Le droit canon ne prévoit pas de concile particulier pour un territoire
dépassant les limites d’une conférence épiscopale, mais les canonistes
estiment que le pape aurait le droit de permettre la réunion d’un concile
continental. C’était le souhait des partisans d’un concile africain.
Le Synode des évêques est une institution créée par Paul VI avant la fin
du concile Vatican II, non comme organe de la collégialité épiscopale,
mais, pour aider le pape à exercer son rôle de primat pour des problèmes
déterminés. Il y a trois types de synodes des évêques. L’assemblée ordinaire, convoquée tous les trois ans, voit la participation d’évêques élus par
les conférences épiscopales. L’assemblée extraordinaire, réunissant entre
autres les présidents des conférences épiscopales, a pour but de donner des
réponses rapides à des questions regardant l’Eglise universelle. L’assemblée spéciale, enfin, réunit des membres choisis principalement dans les
régions pour lesquelles il est convoqué pour étudier les affaires concernant directement une ou plusieurs régions déterminées. C’est de ce type que
relèvent les prochains synodes africain et libanais.
Le droit prévoit que le synode des évêques est «directement soumis à
l’autorité du Pontife romain», auquel il revient de le convoquer, de choisir le lieu de sa réunion, de le présider (par lui-même ou par d’autres) et
de le conclure. (apic/cip)
Encadré
Les «lineamenta», premier document préparatoire
En janvier et en mars 1989 se réunit à Rome une «commission antépréparatoire» composée du président du SCEAM et des présidents des neuf conférences
épiscopales régionales. Suivent en juin l’installation du «Conseil du Secrétariat général de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du synode des évêques» et l’annonce du thème général: L’Eglise en Afrique et sa mission
évangélisatrice vers l’an 2000. «Vous serez mes témoins» (Ac 1,8), ainsi
que des cinq thèmes à traiter: l’évangélisation, l’inculturation, le dialogue, la justice et la paix, les médias. Depuis, ce conseil a tenu une dizaine de réunions, certaines en Afrique même, à l’occasion de voyages du
pape.
C’est à la 9e assemblée du SCEAM, à Lomé, en juillet 1990, que sont rendus publics les «lineamenta», document préparatoire qui doit permettre aux
évêques, aux prêtres et aux laïcs d’approfondir la réflexion. Le document,
d’une centaine de pages, aborde le thème général de l’évangélisation, en
mettant en évidence la nécessité de poursuivre l’effort missionnaire. La
seconde partie aborde les cinq thèmes du synode. Le document s’achève sur
81 questions, nombre élevé à mettre en relation avec la diversité des situations dans les 54 pays du continent. Les réponses à la consultation, à
formuler par écrit pour le 30 novembre 1991, permettront au Conseil général
du synode d’élaborer le document de travail de l’assemblée.
Bruno Chenu remarque «l’absence de questionnement sur la famille et le
mariage chrétien, la place des femmes et des jeunes, les pratiques de guérison, les ministères, les structures et les finances de l’Eglise»; de même, «la faiblesse du document sur des sujets clés comme l’inculturation, où
on souligne bien la transformation des cultures par le surgissement de
l’Evangile mais pas la réinterprétation de l’Evangile dans la rencontre
d’une nouvelle culture» (La Croix, 15 février 1992). La démarche même inquiète, qui part plus de la doctrine que des réalités africaines, note Bruno Chenu: «Va-t-on vraiment cuire le synode dans une marmite africaine?»
Encadré
L’instrumentum laboris: un texte romano-centrique
L’avis de Maurice Cheza, professeur à Louvain-la-Neuve
Dans son «Aide-mémoire», Maurice Cheza, professeur de théologie à Louvainla-Neuve, relève quelques mérites de l’»instrumentum laboris»: La centralité de la Parole de Dieu est réaffirmée. Son contenu laisse une meilleure
impression que celui des «lineamenta». Les rédacteurs ont tenu compte des
réponses au questionnaire de 1990, rassemblées par les conférences épiscopales.
La volonté d’impliquer les communautés dans la recherche est affirmée.
Par exemple, on recommande de diffuser largement le document. Le texte évoque des thèmes intéressants: les «communautés ecclésiales vivantes»,
l’»Eglise-famille», les «médias populaires». A propos de l’inculturation,
l’I.L. invite à poursuivre la recherche, y compris dans des domaines délicats comme le mariage, la vie sacerdotale et religieuse. Dans ce dernier
domaine, les dangers d’hypocrisie sont même évoqués à travers l’expression
«porter continuellement des masques».
M. Cheza signale aussi des aspects décevants: Certains sujets importants
sont évités: la dépendance financière des Eglises africaines, et donc leur
dépendance théologique et pastorale; la nécessité d’une réflexion approfondie sur les ministères; des jalons pour un droit canonique africain; le
problème démographique. Alors qu’en plusieurs de ses régions l’Afrique traverse une grave crise de société, l’I.L. n’y consacre que quelques pages,
ce qui accroît l’impression que l’Eglise est plus sensible à son propre
avenir qu’à l’épanouissement humain et chrétien des femmes et des hommes
qui peuplent le continent. Le douloureux problème du sida est évoqué en une
seule ligne: «Récemment, le sida a créé un problème social et médical en
certains lieux» (sic)!
Le texte dit bien qu’il est important de dépasser le «cléricalisme»,
mais l’ensemble de la réflexion baigne dans une atmosphère très ecclésiastique. Par exemple, malgré l’évocation judicieuse du danger des «masques»
évoqué ci-dessus, la formation des prêtres semble bien rester un secteur
fermé. A propos des petits séminaires, on dit même qu’ils «doivent être
véritablement des séminaires avec leur but spécifique propre». Et M. Cheza
de se demander quelle conception de la «vocation» soustend de telles affirmations.
D’une manière plus fondamentale, le texte est jugé par M. Cheza très
«romano-centrique»: le centre du document, c’est Rome. Pour le théologien
namurois, ce fait est perceptible à deux niveaux: «D’une part, les réalités
concrètes de la vie des gens ne sont pas vues en elle-mêmes, mais seulement
à partir du «monde chrétien», souligne M. Cheza; on est loin de la mentalité du «voir-juger-agir». Dans le document de travail, le concept si caractéristique des «signes des temps» est immédiatement connoté en positif ou
en négatif. Au lieu d’une analyse et d’un effort de recherche des causes,
on porte un jugement moral.»
D’autre part, ce «monde chrétien» est essentiellement romain. Pourtant,
selon la doctrine de Vatican II, tout évêque entre par son ordination épiscopale dans le Collège des Evêques qui succède au Collège des Apôtres, et,
de ce fait, devient porteur d’une «parole magistérielle», rapelle M. Cheza.
Le théologien ajoute: «Les évêques africains, en communion avec le Successeur de Pierre, exercent donc un réel magistère. Ce dernier est d’autant
plus fort que ses auteurs agissent en groupe. Toute la philosophie du document de travail laisse entendre qu’il n’y a qu’un magistère (le romain) et
que tout découle de lui.(…) L’enjeu est important: pour le document, tout
se passe comme si Rome enfermait les évêques africains dans un rôle de porte-parole du magistère romain, alors que la doctrine catholique fait d’eux
de véritables successeurs des Apôtres et donc des acteurs responsables.»
(apic/cip)
(à suivre…)
On vote aujourd’hui en Afrique du Sud
APIC-Dossier
Pour ou contre F. W. de Klerk
Jacques Berset, Agence APIC
Le seul avenir possible pour l’Afrique du Sud, c’est une société sans discrimination raciale, l’entente entre Blancs et Noirs… L’ANC de Nelson
Mandela n’a aucune envie de chasser les Blancs. Il est bien conscient du
fait que l’Afrique du Sud a besoin des Blancs, qui ont des qualifications
pour gérer l’économie. Nous ne voulons pas la situation qu’a connue le Zaïre après l’indépendance. C’est pourquoi, malgré nos réticences – seuls les
Blancs peuvent voter – nous devons dire un oui massif le 17 mars !
Avec sa barbe rousse et sa corpulence de catcheur, Rody Nunez a plutôt
l’air d’un Irlandais. D’ascendance portugaise – ses ancêtres se sont installés en Afrique du Sud en 1876 -, il ne connaît pourtant plus sa langue
maternelle. Sa famille s’était volontairement assimilée aux anglophones,
les colonisateurs britanniques qui ont longtemps contrôlé le pays jusqu’à
l’arrivée au pouvoir des «boers», les Afrikaners du Parti National, qui ont
formellement instauré l’apartheid en 1948.
Aujourd’hui, le responsable de la Commission «Eglise et Travail» de
l’épiscopat catholique sud-africain, s’il n’est pas euphorique, se veut
pourtant optimiste. Même s’il reste des irréductibles dans l’extrême-droite
afrikaner et des nostalgiques de la «théologie de l’apartheid» qui justifie
la discrimination des races à partir de la Bible (à l’aide notamment de
l’épisode de la Tour de Babel, dans la Genèse), l’Afrique du Sud s’apprête
à tourner l’une des plus sombres pages de son histoire. Parce que le maintien du système actuel n’est tout simplement plus viable! En effet, le pays
est économiquement sur les genoux.
APIC:C’est donc la crise économique qui a forcé la population blanche à
remettre en cause la politique d’apartheid ?
RodyNunez:Les sanctions économiques, surtout la raréfaction des crédits
bancaires, ont fait mal : le Parti National du président de Klerk l’avoue
maintenant et, dans sa propagande électorale, il évoque la menace de leur
retour si le non au référendum du 17 mars l’emporte. La sévère crise économique est encore aggravée par les difficultés d’extraction de l’or, qu’il
faut aller chercher à 3’000m de profondeur… On voit bientôt le jour où
cette rente va disparaître. Il faudra donc restructurer l’économie.
Les sanctions internationales ont joué pleinement leur rôle, et c’est
leur effet qui a forcé le gouvernement a négocier avec Nelson Mandela alors
même qu’il était encore en prison, une chose que l’on avoue seulement maintenant. Il ne faut pas oublier non plus les fortes pressions intérieures,
les mouvements sociaux et syndicaux capables de paralyser le pays, les boycotts, les manifestations… Le patronat n’investit plus, par peur de l’insécurité. C’est une minorité chez les Blancs qui est opposée au racisme,
mais les gens savent bien que leur sécurité économique et autre dépend
d’une société multiraciale.
APIC:La Conférence épiscopale catholique, à l’instar d’autres Eglises, affirme que le seul avenir possible est une société démocratique et multiraciale. Les Eglises disent-elles un oui déterminé au référendum ?
RodyNunez:Les catholiques sont officiellement pour le oui au référendum,
comme l’Eglise anglicane de l’archevêque noir Desmond Tutu, Prix Nobel de
la Paix, même s’ils déplorent le caractère raciste de cette consultation
réservée à un peu plus de 3 millions de Blancs. Il y a, sur 38 millions de
Sud-Africains (y compris les bantoustans), quelque 8 % de catholiques, soit
environ 3 millions. Mais ils sont à 80 % Noirs. Les Blancs catholiques votent plutôt pour le Parti Démocratique (libéral/antiapartheid).
Dans certaines provinces, les réfugiés venus s’installer au pays de
l’apartheid après la décolonisation (Belges du Congo, Portugais d’Angola et
du Mozambique, Mauritiens blancs, etc.) sont en général conservateurs. Dans
le passé, ils avaient tendance à soutenir le parti au pouvoir, le Parti National (PN), et l’apartheid. Il faut reconnaître que les catholiques
blancs, dans leur majorité, ont été passifs, à part la minorité engagée et
active dans les structures de l’Eglise. Ils ont fait partie dans le passé
de la majorité silencieuse soutenant le PN et sa politique d’apartheid.
APIC:L’Eglise catholique n’est donc pas homogène face à l’apartheid ?
RodyNunez:Quand l’Eglise s’est prononcée ouvertement pour les sanctions
économiques, une partie des catholiques conservateurs – des anciens colons
réfugiés – ont rejoint les rangs des adeptes de Mgr Lefebvre. D’autres,
d’origine portugaise, sont passés au mouvement catholique ultra-conservateur venu d’Amérique latine, «Tradition, Famille, Propriété». Des Blancs
ont quitté l’Eglise ou refusent de la soutenir financièrement. La quête de
Carême a baissé sensiblement dans certains diocèses quand les évêques ont
pris position contre la politique d’apartheid et pour les sanctions : «des
grandes familles blanches riches ont voté avec leurs pieds».
Maintenant, la situation est plus nuancée, car dans le passé, il n’y
avait que l’Eglise qui demandait des réformes et la fin de la discrimination raciale. Si au début, les Eglises connaissaient la discrimination raciale dans leurs écoles, à partir de 1972, certaines d’entre elles ont refusé de pratiquer la ségrégation et ont commencé à intégrer les écoles,
bien que ce fût totalement illégal. L’Etat a menacé de fermer ces écoles
intégrées, et l’Eglise catholique a répondu qu’il valait mieux ne pas avoir
d’écoles du tout que des écoles séparées pour Blancs et Noirs.
Ce sont avant tout les soeurs, les Dominicaines en particulier, qui ont
été pionnières dans ce domaine. Après une enquête réalisée par une religieuse sociologue de l’Université de Harvard, on s’est aperçu que 80 % des
religieuses en Afrique du Sud étaient actives en milieu blanc (20 % des
catholiques), et seulement 20 % du personnel de l’Eglise travaillait pour
la grande majorité. Cela a été un choc pour les religieuses, qui ont décidé
de se consacrer davantage à la population noire et d’intégrer leurs écoles.
Le rôle-clé de la CODESA
Mais depuis un certain temps, il y a d’autres forces dans la population
blanche qui demandent la fin de l’apartheid. C’est ainsi plus facile pour
beaucoup de catholiques d’être pour la transition. Depuis le 20 décembre
dernier, il y a la CODESA, la Conférence pour une Afrique du Sud démocratique – qui rassemble 19 partis et mouvements, sauf le Parti Conservateur du
pasteur A. Treurnicht, pour discuter des modalités constitutionnelles de
l’accession au pouvoir de la majorité noire – qui offre des perspectives
concrètes. Elle se déroule sous le patronage de F. de Klerk et de N. Mandela, chef de l’ANC, le parti le plus représentatif d’Afrique du Sud.
APIC:Le oui va-t-il l’emporter et la ligne politique de F. de Klerk avoir
l’aval d’une majorité de Blancs ?
Rody-Nunez:Le référendum est très important pour l’avenir du pays car,
comme l’ont rappelé les évêques, il faut prouver une fois pour toutes que
le courant d’extrême-droite dans la population blanche est minoritaire et
que ces gens n’ont aucune chance d’être un jour majoritaires. Si nous pouvons faire un score d’au moins 60 % de oui parmi les Blancs – si possible
70 % – cela va être un signe pour la Parti Conservateur, qui est tout de
même un parti constitutionnel.
A la tête de ce parti, il y a un théologien, le pasteur de l’Eglise réformée hollandaise (Nederduitse Gereformeerde Kerk) Andries Treurnicht, qui
va respecter la Constitution et ne pas se lancer dans l’aventure de la lutte armée. S’il est battu à plate couture, il sera forcé d’entrer dans la
CODESA et de participer aux négociations. Dans ce cas, c’est beaucoup mieux
pour nous, car si les conservateurs restent en-dehors, la tentation sera
grande de prendre le chemin de la violence. S’ils sont dans la négociation,
on pourra mieux prendre en compte leurs peurs et leurs soucis. On va savoir
le 18 mars ce qu’ils représentent vraiment au niveau des villes.
Chez les fermiers blancs et dans le secteur agricole, on vote massivement pour le Parti Conservateur. Les circonscriptions rurales se sentent
abandonnées par le président de Klerk et votent conservateur. Les zones rurales sont d’ailleurs favorisées par le système électoral actuel : le même
nombre d’électeurs qui peut élire deux députés en ville, pourra en élire
trois en campagne. Mais pour le référendum, ce sera différent.
APIC:Et la violence qui se déchaîne dans les ghettos noirs ?
RodyNunez:Le gouvernement a les moyens d’arrêter tout de suite la violence qui ensanglante les ghettos noirs d’Afrique du Sud. A l’époque ses forces de sécurité ont été capables d’empêcher le développement de la lutte
armée de l’ANC à l’intérieur du pays. Mais il manque de volonté. C’est que
le président de Klerk n’a pas encore vraiment choisi s’il veut l’alliance
définitive avec l’ANC de Mandela, ou s’il peut jouer par derrière l’Inkatha
du chef zoulou Mangosuthu Buthelezi, en totale perte de vitesse même parmi
les Zoulous, son ethnie.
L’Inkatha, que le gouvernement reconnaît avoir financé clandestinement,
a peur de se faire marginaliser par l’ANC et Buthelezi sait qu’il n’a aucune chance dans une élection démocratique. C’est pourquoi il sème la terreur
avec la complicité des forces de sécurité qui lui procurent des armes et
ferment les yeux sur ses actions militaires et paramilitaires, comme les
attaques de trains entre Soweto et Johannesbourg. Mandela a dénoncé publiquement le président de Klerk – qui en était blême de rage – et l’a traité
de menteur lors de la séance finale de la CODESA, en l’accusant de jouer
double-jeu et de n’avoir pas de morale. Mandela lui a rappelé que c’est son
gouvernement qui détient le pouvoir sur les forces de sécurité pour contrôler la violence. Seul un gouvernement de transition ANC-Parti National
pourra exercer ce contrôle sur l’appareil policier, et si le référendum met
vraiment le Parti Conservateur en minorité absolue, de Klerk sera capable
de faire alliance avec l’ANC pour un gouvernement de transition. JB