Afrique: Le continent de toutes les guerres et de tous les intérêts (II)

Apic Dossier

Production africaine d’armes de guerre: le sang et les bénéfices

Rome/Fribourg, 29 juillet 2004 (Apic) Au-delà des intérêts politiques, géostratégiques et financiers de pays comme les Etats-Unis, la Chine, la France, la Russie et autres; au-delà aussi du jeu dénué de scrupules de nombre de multinationales sur sol africain, y compris des marchands de canons (service Apic No 210), la prolifération tous azimuts d’armes contribuent à la déstabilisation de ce continent Et c’est peu dire.

L’Apic publie ci-dessous le second volet du dossier de l’Agence Fides à Rome consacré aux faiseurs de conflits et de guerres, aux fabricants d’armes de guerre, de destruction massive, implantés en Afrique.

La diffusion d’armes légères est une plaie bien connue en Afrique, qui contribue à l’instabilité de vastes régions du continent. En plus des armes provenant d’autres parties du monde (en particulier, mais non exclusivement, de l’Europe de l’Est), s’affirme une production locale qui pourrait avoir avec le temps des développements inquiétants.

Parmi les pays africains producteurs d’armes, on trouve: l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Nigeria, la Namibie, l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, auxquels s’ajoute l’Egypte.

Le plus grand producteur, l’Afrique du Sud, a hérité, du régime de l’apartheid une industrie perfectionnée et diversifiée. Actuellement, en Afrique du Sud, on compte 700 usines qui travaillent dans le secteur militaire. Elles emploient 22’500 personnes, contre 160’000, il est vrai, à la fin des années 1980. La plus grande partie sont des petites et moyennes industries, plantées autour du colosse national «Denel» qui contrôle les usines les plus significatives.

Pour ce qui concerne les armes légères, les plus grand producteurs sont: Vektor (revolvers, fusils d’assaut, mitrailleuses, mortiers, canons automatiques de 20 mm); MGL Milkor Marketting (Pty) Ltd (lance-grenades automatiques); Mechem (fusils anti-matériel de 12, 7 et 20 mm); ARAM (Pty) Ltd (mitrailleuses lourdes de 12,7mm ; New generation Ammunition (munitions de petits et de gros calibres) ; LIW (petits canons de 30 et 35 mm) ; Truvelo Armoury Division (revolvers, fusils et pièces d’armes légères) ; Pretoria Metal Pressing! (PMP) (munitions 12,7 x 99 mm ; 12,7 x 76 mm ; 9 x 19 mm ; 7,62 x 51 mm ; 5,56 x 45 mm). Autant de «jouets» qui trouvent clients. Et pas pour aller à la chasse.

L’Afrique du Sud championne

Selon des données officielles, l’Afrique du Sud exporte des armes dans 61 pays, même si les régions privilégiées sont le Moyen-orient et l’Afrique. Le plus grand client est l’Algérie, pays toujours en proie à une guerre civile dans laquelle les forces de sécurité sont accusées d’atrocités et de massacres contre les civils. Outre l’Algérie, on trouve parmi les clients les plus importants les pays suivants: Inde, République Populaire de Chine, Emirats Arabes Unis, Taiwan, Singapour, Thaïlande, Cameroun, Chili, Colombie, Koweït, Oman, Pérou, Swaziland, Congo- Brazzaville, Botswana, Ouganda, Rwanda, Tunisie, Côte-d’Ivoire, Kenya, Zambie, Mozambique et Mexique.

En 2001, 32% des exportations sud-africaines ont été absorbées par l’Afrique. Soit une arme sur trois vendue sur ce continent L’Algérie à elle seule représente 28% de toutes les ventes en Afrique. On vend notamment à ce pays, UAV (avions sans pilote) de reconnaissance, et un ensemble de mise à jour de la flotte d’hélicoptères de combat Mil Mi24 Hind d’origine soviétique. Le reste des exportations se répartit de la sorte: 15% au Moyen-Orient, 16% en Asie du Sud; 15% dans le reste de l’Asie ; 16% en Europe ; 5% aux Amériques, et 1% aux Nations Unies, équipements pour les Casques Bleus).

Zimbabwe: l’héritage réclamé à la Rhodésie

Le Zimbabwe, lui, a hérité de son précédent régime d’une industrie embryonnaire de guerre (quand le pays s’appelait encore Rhodésie). Partant de cette base en 1984, on a fondé la Zimbabwe Defence Industries (ZDI). Cette usine produit des armes légères, des munitions et des mines. Le «Know how» pour la production d’explosifs e de mortiers a été fourni par la France, et la Chine a construit une fabrique de munitions pour des armes d’infanterie. Parmi les clients de la ZDI, on trouve l’Angola (l’armée gouvernementale et les rebelles de l’UNITA), les rebelles soudanais et la République Démocratique du Congo.

Au Congo, où les troupes de Mugabe soutiennent le président Kabila, en échange des fournitures de la ZDI, Harare est parvenue à obtenir la concession de 37,5% des actions de «Gecamines», l’usine minière de l’Etat du Congo.

La ZDI produit des armes légères (en particulier des copies de la mitraillette israélienne UZI et de la mitraillette tchèque CZ25), et surtout des munitions (de 9 mm à 20 mm), des projectiles de mortiers (60, 81, et 120 mm), des grenades anti-personnel et anti-chars. Parmi les clients officiels du Zimbabwe, il convient de citer l’Afrique du Sud, le Malawi, le Botswana, la Tanzanie et la Zambie.

Toujours en Afrique orientale, l’Ouganda dispose lui aussi d’une petite industrie de guerre Dans ce pays il y a au moins trois usines d’armes. La plus grande, Nakasongola Arms Factory, est de propriété chinoise (un «joint venture» entre le gouvernement de Pékin et des techniciens et entrepreneurs d’origine chinoise, nord-coréenne et sud- africaine). Cette usine se trouve dans la région de Gulu (où sévit depuis des années la Lord’s Resistance Liberation Army, LRA), et produit des armes légères et des mines, fournies à l’armée du Burundi et à l’UNITA angolaise. On y trouve également la «Saracen» qui fournit l’armée ougandaise, et dont le propriétaire est la Strategic Resources Corporation, nom derrière lequel se cache la célèbre «Executive Outcomes» (EO), la Compagnie Militaire Privée sud-africaine (PMC). Celle-ci a cessé officiellement ses activités à la fin de 1999, mais on suspecte d’elle de produire des armes des noms plus discrets. Il y a enfin Ottoman, Engineering LTD, spécialisée dans les armes légères. Un des clients de l’industrie ougandaise est la République Démocratique du Congo.

Au Kenya, la Kenya Ordnance Factories Corporation produit des munitions pour revolvers et fusils d’assaut (de 20 à 60’000 par jour). L’usine a été construite avec le concours de la FN belge et a été inaugurée en 2000. Le gouvernement du Kenya déclare que sa production est destinée seulement aux forces armées locales, et qu’elle n’a pas l’intention de concéder des licences d’exportation.

Le Nigeria ne fait pas exception. L’Egypte surtout pas

Le seul producteur d’armes de l’Afrique occidentale est le Nigeria. La Defence Industries Corporation (DICON) a été créée en 1964 grâce à une loi spéciale, le Defence Industries Corporation of Nigeria Act. Cette industrie a eu un rôle important durant la guerre de sécession du Biafra (1968-1970). Confiée à des entrepreneurs étrangers, l’usine fut déclarée en faillite en 1972, et son directeur général, un allemand, fut expulsé du pays. La société a continué à fonctionner avec des hauts et des bas pendant trente ans environ, sous le régime des militaires. A la fin des années 1990, le nouveau gouvernement civil décida de relancer la production militaire. Dans ce but, on nomma un nouveau conseil d’administration de la DICON, et l’on établit des contacts avec la Russie pour le transfert de technologies.

L’usine nigériane emploie actuellement 700 personnes environ dans l’établissement de Kaduna où sont produites des armes légères et des munitions; l’usine de Bauchi produit des véhicules blindés légers. Officiellement, les armes produites sont destinées seulement aux besoins des forces armées et de la police du Nigeria. Parmi le matériel produit il y a: Nigerian Rifle 1 Model 7,62 mm (RN. – 7,62, sur licence britannico- belge) ; Nigerian Pistol – Model 9MM (NPI – 9mm); Sub-Machine Gun (PM 12S Calibre 9MM sur licence de la Beretta italienne) DICON SG 1 – 86 Single Barrel Shot Gun; DICON M 36 Hand-Grenade; 7.62mm x 51 soft core (Ball) Cartridge 7.62mm X 51 Soft core (Ball); 7.62mm x 51 Blank Bulleted 9 x 19MM Parabellum Cartridge; 9MM Blank Star; 12 Bore Shot – Gun Cartridge.

En Afrique du Nord, le principal producteur d’armements est l’Egypte. Ce pays exporte aussi en Afrique sub-saharienne. En 1992, deux ans avant le génocide rwandais de 1994, on signa un contrat d’achat d’armes égyptiennes en faveur de l’armée rwandaise. Le contrat, garanti financièrement par une banque française, comprenait des mortiers de 60 et 82 mm, 16’000 projectiles de mortiers, des obus de 122 mm, avec 3’000 coups, des lance- roquettes, des explosifs au plastic, des mines anti-personnel et 3 millions de projectiles de petit calibre.

Parmi les producteurs égyptiens d’armes légères on trouve Abu Kir Engineering Industries / Factory 10 (munitions de petit calibre); Al- Ma’asara Company for Engineering Industries (MF 45) (munitions de petit et de gros calibre); Arab International Optronic (AIO) S.A.E (systèmes de pointage); Helwan Machine Tools Company / Factory 999 (mortiers); Kaha Company for Chemical Industries (MF 270) (grenades de fusils, grenades à mains); Maadi Company for Engineering Industries (revolvers, fusils, mitrailleuses légères et lourdes, lance-grenades ; Sakr Factory for Developed Industries (roquettes anti-char); Shoubra Company for Engineering Industries (MF 27) (munitions).

Armes de guerre. armes légères, pour le «bonheur» des milices

A la production et à la prolifération d’armes en Afrique se greffe l’important problème de la circulation et du marché des armes légères dans le continent: 18% des homicides avec des armes à feu, enregistrés en un an dans le monde entier, se sont produits en Afrique. Sur le continent, les armes de guerre servent dans 35% des homicides, dans 13% des vols, et dans 2% des viols. Le pays le plus touché par la violence armée est l’Afrique du Sud, où, chaque année, on estime à 30 homicides avec armes à feu par 100’000 habitants. Des chiffres qui placent ce pays à la deuxième place au plan mondial, après la Colombie.

Selon des experts le nombre d’armes légères en circulation en Afrique sub-saharienne ont été revues récemment: d’une estimation initiale de 10 millions d’armes, on est passé à 30 millions (5% de toutes les armes légères en circulation dans le monde).80% de ces armes sont aux mains de civils, contribuant ainsi à l’instabilité de plusieurs régions de l’Afrique. Une donnée préoccupante, estime Fides, parce qu’elle signifie que même avec un nombre relativement réduit d’armes, un nombre réduit de rebelles est en mesure de compromettre la vie de pays entiers. A l’appui, l’exemple de l’Afrique Occidentale, où les guerres civiles au Libéria et en Sierra Leone ont mis à terre l’Etat et détruit le tissu économique et social des deux pays.

La présence des armes dans la région a entraîné des courants illégaux dirigés aussi vers des pays considérés comme étant relativement stables, comme le Ghana où, d’après des données officielles, il y a plus de 40’000 armes à feu hors du contrôle de l’Etat. Au Nigeria, pays traversé par des tensions ethniques et religieuses qui débouchent souvent en violences, il y aurait au moins un million d’armes détenues illégalement.

L’»aubaine» du Congo-Brazzaville et de ses 3 guerres civiles

L’Agence Fides remarque que lorsque l’on est en présence d’intérêts économiques et stratégiques comme le contrôle de ressources comme le pétrole, il n’y a pas de problèmes pour les rebelles locaux pour trouver des armes. C’est le cas des trois guerres civiles qui ont secoué le Congo- Brazzaville en 1993, 1997 et 1998-1999. Les différentes milices qui se sont combattues ont reçu un flot constant d’armes. Sur les 74’000 armes légères distribuées aux forces combattantes congolaises, 24’500 provenaient des arsenaux des forces de sécurité, et 49’500 provenaient de l’extérieur du pays. Parmi les pays qui ont vendu des armes aux différentes milices dans ces trois guerres civiles, citons Israël, l’Afrique du Sud, la Chine, la République Démocratique du Congo, le Gabon et le Zimbabwe. (apic/fides/pr)

29 juillet 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Le Congo-Brazzaville sombre dans la folie meurtrière

APIC – Dossier

Mgr Milandou dénonce «la barbarie d’une jeunesse armée sans foi ni loi, qui pille, vole et tue»

Brazzaville, 2 février 1999 (APIC) La famine et les épidémies – tuberculose, malaria, diarrhées – font de plus en plus de ravages parmi les 170’000 réfugiés qui ont fui les combats au Congo-Brazzaville. Alors que les livraisons de nourriture du Programme Alimentaire Mondial (PAM) ont pu reprendre vendredi en direction de Brazzaville, où plus de 50’000 personnes vivent assiégées en raison des bombardements et des pillages qui ont détruit une bonne partie de la ville, l’évêque de Kinkala, Mgr Anatole Milandou, dénonce «la barbarie d’une jeunesse armée sans foi ni loi, qui pille, vole et tue».

Certains n’hésitent plus à parler d’un «petit génocide» qui se perpètre dans l’indifférence générale et pointent un doigt accusateur sur le président autoproclamé Denis Sassou Nguesso et ses puissants alliés. Dans un article intitulé «Le pétrole, les pauvres et l’Eglise», l’agence d’information vaticane FIDES commente: «Du côté de Sassou Nguesso, il y a la France de Chirac et la Compagnie pétrolière Elf Aquitaine, tous deux ses amis très fidèles. Il y a aussi les mercenaires cubains et les soldats angolais. L’intervention de l’Angola avait été décidée en 1997 pour lui donner la victoire. Aujourd’hui, les Angolais sont engagés chez eux contre l’UNITA et dans l’ex-Zaïre aux côtés du président Kabila. L’ancien Premier ministre Bernard Kolélas a choisi précisément ce moment pour déchaîner la lutte armée. Il n’a pas beaucoup d’alliés, mais une certitude: au Congo, celui qui commande est celui qui contrôle l’extraction du pétrole. Pour cette raison, on combat dans le Pool. Mais, dans le même temps, les violences, les victimes, les réfugiés et les destructions pleuvent sur la population».

Des dizaines de milliers de personnes errent dans les forêts, sans soins ni nourriture

Réfugié depuis octobre dernier dans la capitale Brazzaville, Mgr Milandou est évêque de Kinkala, chef-lieu de la région du Pool, où se trouvent les gisements de pétrole, pour le contrôle desquels se battent les factions qui tentent de prendre le pouvoir. Son témoignage est accablant: «Plus d’un quart de la population du sud de Brazzaville erre depuis plus d’un mois dans les forêts de la région du Pool. Avec la population locale, on estime que le nombre des réfugiés oubliés, sans assistance et sans nourriture, s’élève au moins à 150.000. Ceux qui parviennent à retourner à Brazzaville parlent de nombreux morts de faim ou suite aux maladies».

Le PAM confirme que la malnutrition et les épidémies ont atteint des niveaux critiques dans la plupart des 15 quartiers de la ville où se sont réfugiés à la fin 1998 quelque 50’000 déplacés originaires du Pool et des régions du sud de Brazzaville.

Pharmacies pillées, dispensaires et hôpitaux hors d’état de fonctionner, médecins en fuite

«Mes gens sont au bord de la famine», lance l’évêque de Kinkala, qui s’est enfui «face à la folie et à la barbarie» des bandes armées. Après les combats dans le sud de Brazzaville, les gens se sont réfugiés en masse dans le Pool, une région du pays déjà dépouillée de tout, témoigne Mgr Anatole Milandou. «Ces nouvelles présences me causent une grande souffrance: de quoi se nourrissent-ils et comment se soignent-ils ?»

Et de préciser que toutes les pharmacies ont été pillées, les dispensaires et les hôpitaux ne fonctionnent plus. Le personnel médical est en fuite. Les champs ne sont plus cultivés pour des raisons de sécurité, ce qui met en cause l’autosuffisance alimentaire qui est déjà précaire dans la région. Il suffit de penser que plus de la moitié de la production agricole utilisée à Brazzaville provenait du Pool. La population est touchée par des pillages systématiques et par la destruction des biens.

Un drame humanitaire se prépare dans le Pool

Un drame humanitaire se prépare dans le Pool, mais il ne se limite plus à cette région. «A présent, on peut parler de tragédie également dans les quartiers sud de Brazzaville – Bacongo et Makélékélé, de la ville de Nkayi, dans la région de Buenza, et d’autres localités comme Sibiti, dans la région de Lékoumou.» Dans son diocèse, qu’il a été a contraint de quitter il y a plus de trois mois avec presque tous les prêtres, religieux et religieuses, Mgr Milandou confie à l’agence FIDES qu’il y règne «la folie et la barbarie d’une jeunesse armée sans foi ni loi, qui pille, vole et tue.»

L’évêché, les paroisses, les maisons religieuses ont été pillées. Un prêtre polonais a été tué dans sa paroisse de Loulombo, deux prêtres ont été blessés, un séminariste a été tué. «Dans le pays règne seulement la violence. Depuis le début du mois de décembre, je n’ai plus de nouvelles directes du diocèse. Il ne m’est pas permis d’y rentrer. Je ne sais ce que nous trouverons à notre retour.» (apic/fs/pana/be)

2 février 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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