Rencontre avec Evi Guggenheim-Shbeta, militante pacifiste à Neve Shalom/Wahat al-Salam
APIC Interview
Israéliens et Palestiniens peuvent vivre ensemble, c’est possible
Jacques Berset, agence APIC
Zurich, 5 juillet 2002 (APIC) Depuis l’éclatement de la deuxième intifada, fin septembre 2000, la méfiance – voire la haine – entre Israéliens et Palestiniens n’ont jamais été aussi profondes. «Même dans cette période d’extrême violence, Israéliens et Palestiniens peuvent vivre ensemble, nous le prouvons chaque jour dans le village coopératif de Neve Shalom/Wahat al- Salam NS/WS», témoigne la militante pour la paix israélienne Evi Guggenheim- Shbeta.
D’origine zurichoise et de famille juive, Evi Guggenheim-Shbeta milite pour la paix depuis son alyah, son émigration en Israël, en 1975. Elle fut l’une des premières en 1977 à s’installer avec son mari Eyas – un Israélien arabe musulman – dans cette «oasis de paix» (traduction de l’hébreu Neve Shalom et de l’arabe Wahat al-Salam, d’après Isaïe 32,18 : mon peuple habitera une oasis de paix) imaginée par le Père dominicain Bruno Hussar, un religieux catholique d’origine juive.
Aujourd’hui, une cinquantaine de familles juives et palestiniennes chrétiennes et musulmanes, soit environ 200 personnes, vivent ensemble sur une base d’égalité sur cette colline appartenant il y a quelques années encore au couvent trappiste de Latroun, près de la «ligne verte», à égale distance entre Jérusalem, Tel Aviv et Ramallah.
Le village de la paix de NS/WS, qui montre dans la pratique que Palestiniens et Israéliens peuvent vivre ensemble dans l’égalité et dans le respect des différentes cultures nationales, ne bénéficie pas – loin s’en faut ! – de la bienveillance du gouvernement Sharon et des autorités régionales. L’argent manque pour développer les infrastructures. Le système d’éducation expérimental accueille 320 élèves, juifs et palestiniens pour moitié, de la crèche à la sixième primaire, en passant par le jardin d’enfants. Faute de soutien public suffisant, le village de la paix dépend de financements extérieurs. C’est avec pour mission de faire connaître cette alternative crédible à la politique de la force utilisée en vain depuis des décennies et de récolter des fonds afin de maintenir et de développer cette expérience porteuse d’espoir que NS/WS a envoyé en Suisse pour deux ans Evi Guggenheim-Shbeta, qui s’est installée à Zurich en août dernier avec ses trois enfants.
APIC: Mme Guggenheim-Shbeta, parlez-nous d’abord de votre famille, qui est déjà en soi un exemple de coexistence entre les deux peuples.
Evi G.-S. : Je suis née à Zurich et toute la famille possède la nationalité suisse. Mon mari Eyas vient du village arabe de Tira, près de la frontière avec la Cisjordanie. Avec mon mari, un Palestinien d’Israël, nous sommes le seul couple mixte de NS/WS. Si cela a été difficile au début, nos familles respectives ont accepté notre choix. Nous avons conservé nos vrais amis.
Dans la famille, nous sommes traditionnels: nous pratiquons la culture juive et arabe et cela nous enrichit. Nos enfants parlent l’hébreu, l’arabe et le suisse allemand. Nous ne sommes pas religieux, mais ils reçoivent la tradition des deux peuples.
APIC: Pourquoi avoir décidé de vivre dans cette «oasis de paix»?
Evi G.-S. : Je me suis rapidement rendu compte à mon arrivée dans le pays qu’il y avait un problème de minorité, celui des Palestiniens d’Israël. Je me suis dit que si je m’installais ici, je devais faire quelque chose pour que les deux peuples puissent vivre ensemble dans la paix. C’est ainsi que j’ai rencontré l’expérience de NS/WS lors d’un camp d’été de trois semaines sous tente. A l’époque, il n’y avait qu’une seule petite maison de un mètre sur deux… Je faisais partie du premier groupe qui s’est installé à demeure.
APIC: Comment réussissez-vous à cohabiter malgré la situation actuelle catastrophique ?
Evi G.-S. : La situation est en effet très difficile actuellement, car c’est le dialogue de la force qui domine entre les deux peuples. Dans notre village, les conflits existent aussi, mais on a développé une culture de dialogue qui permet de vivre avec le conflit. Il s’agit de s’en rendre compte et d’être parfois d’accord de ne pas être d’accord. Cela se passe souvent, car nous avons deux différentes identifications avec nos peuples. A NS/WS vivent une cinquantaine de familles juives et palestiniennes, dont la moitié sont chrétiennes et l’autre moitié musulmanes.
Mais, paradoxalement, depuis la deuxième intifada, nous avons moins de problèmes: nous sommes tous d’accord qu’il faut résoudre le conflit entre Israéliens et Palestiniens par le dialogue et non par la force. Quand une bombe explose à Jérusalem, nous sommes unanimes à condamner. Si habitants palestiniens et juifs du village n’ont pas toujours les mêmes sentiments – nous sommes d’une autre culture et nous avons une autre histoire – nous sommes tous contre l’usage de la violence des deux côtés et nous manifestons ensemble. Nous aimerions qu’une autre image vienne aussi de notre pays, celui de la coexistence, qui se poursuit au quotidien.
APIC: Pouvez-vous donner des exemples concrets de cette collaboration et de cet apprentissage de la paix ?
Evi G.-S. : Par ex., aucun parent n’a retiré ses enfants de l’école mixte, depuis l’éclatement de la deuxième intifada. Aucune famille n’a quitté le village non plus, ce qui signifie que c’est possible de vivre ensemble, même dans cette période d’extrême violence.
Nous pensons que nous pouvons apprendre la paix, mais la situation politique influence sur cet apprentissage, le rendant plus ou moins facile. On apprend à vivre avec nos différences et à s’en enrichir mutuellement de la crèche à l’école primaire expérimentale en passant par le jardin d’enfants. Mais nous développons également une méthodologie spécifique à l’Ecole pour la Paix, qui joue un rôle essentiel dans le travail éducatif de NS/WS. Celle-ci organise des programmes variés de rencontres entre Juifs et Palestiniens visant à promouvoir la connaissance, la compréhension et le dialogue entre les deux peuples.
APIC: L’Ecole pour la Paix fait un travail considérable pour changer les mentalités.
Evi G.-S. : Depuis ses débuts en 1979, plus de 27’000 jeunes israéliens et palestiniens ainsi que plus de 3’000 adultes ont pris part aux rencontres mises sur pied par l’Ecole pour la Paix. Il s’agit en règle générale d’ateliers et des séminaires de trois à quatre jours. Un bon nombre de participants se sont ensuite engagés dans d’autres organisations oeuvrant pour la paix. L’équipe de direction comprend un nombre égal de «modérateurs» permanents juifs et palestiniens et fait appel à de nombreux intervenants indépendants. Tous ont une formation universitaire en sciences sociales et humaines et une formation spéciale dans la conduite des groupes en conflit. La plupart des permanents sont membres de NS/WS et s’appuient sur cette expérience dans leur travail.
APIC: Le dialogue est toujours possible .
Evi G.-S. : C’est évident, nous le prouvons tous les jours. Le problème, c’est que pour le moment, ce ne sont que les extrémistes des deux camps qui ont la parole. Ils ont besoin les uns des autres pour renforcer leur pouvoir. Avant les Accords d’Oslo de 1993, nous ne pouvions pas recevoir des Palestiniens des territoires occupés. On ne pouvait de toute façon pas parler de paix sur un pied d’égalité sans reconnaissance de l’autre. Avec l’établissement de l’Autonomie palestinienne – qui a souvent salué notre travail – , c’est devenu possible, et nous avons reçu des jeunes Palestiniens grâce à notre partenaire à Naplouse, l’organisation pacifiste palestinienne PPM.
Après l’éclatement de la deuxième intifada, ces contacts ont été interrompus, par la force des choses, car les territoires occupés sont complètement bouclés et atomisés. Malgré les difficultés pour les Palestiniens de sortir, nous avons pu tout de même organiser un cours de cadres à Chypre. Mais aller sur le terrain est devenu impossible: malgré une permission, un char israélien nous a tiré dessus à un barrage quand nous voulions passer… Les Israéliens juifs de NS/WS ne se rendent plus pour le moment dans les territoires, car nous ne voulons courir aucun risque. Mais une équipe médicale de NS/WS – composée de médecins et de personnel infirmier palestiniens – se rend chaque semaine dans les villages des territoires occupés, où la situation humanitaire et médicale est catastrophique.
APIC: Pensez-vous contribuer au changement de la politique israélienne ?
Evi G.-S. : La politique n’est pas mon domaine, mais nous ne sommes pas naïfs: ce n’est pas nous seuls – cinquante familles ! – qui pouvons changer la politique en Israël. Si nous sommes petits, nous sommes aussi significatifs: nous montrons que la coexistence est possible. Malgré notre petit nombre, nous avons de l’influence. Mais on ne peut nous rendre responsables de toute la politique en Israël. Nous descendons tous les jours dans la rue, partout où cela est possible, nous nous rendons parfois à nos risques et périls dans les territoires pour aider la population palestinienne.
Pour le moment, nous sommes dans une phase en plein développement, très difficile, mais ce processus aboutira tôt ou tard à une solution pacifique. Il y a des signes positifs : selon un récent sondage paru dans le quotidien israélien «Ha’aretz», 54% de la population juive en Israël s’est prononcée pour l’évacuation des colonies juives dans les territoires occupés et pour une Etat palestinien.
APIC : Comment êtes-vous perçus au sein de la société israélienne ?
Evi G.-S. : Il y a 20 ans, celui qui aurait parlé d’un Etat palestinien ou aurait rencontré des membres de l’OLP aurait été considéré comme un traître, aussi du point de vue légal. Il fut un temps où le Premier Ministre Golda Meir disait: «C’est quoi, les Palestiniens, ils n’existent pas!» Aujourd’hui, il n’y a plus personne en Israël, pas même les gens d’extrême-droite, qui nie l’existence d’un peuple palestinien. Il y a une reconnaissance du peuple palestinien. La situation paraît pour le moment sans espoir, mais ce n’est qu’une phase transitoire dans un processus en plein développement. Si nous sommes pour le moment en minorité, nous sommes bien moins minoritaires qu’il y a 20 ans.
APIC : Malgré la polarisation dans la société israélienne ?
Evi G.-S. : Je milite pour la paix et je descends dans la rue pour la cause de la paix depuis 1978. Au début des années 80, quand nous prononcions le mot «Palestinien» dans un milieu juif, nous nous faisions presque étrangler. Maintenant, il n’y quasiment plus personne parmi les Juifs pour dire que les Palestiniens n’existent pas. Ils voient qu’il y a un problème et la majorité estime que les Palestiniens ont droit à leur Etat.
Ceux qui s’expriment en faveur d’un «transfert» (la déportation des Arabes au-delà du Jourdain, ndr) le font dans un moment de colère, c’est une réaction après un attentat à la bombe. C’est la même chose pour le mur de sécurité qui doit séparer Israël des territoires occupés: les gens veulent avant tout se sentir en sécurité. Mais la situation n’est pas symétrique : c’est très clair que les Israéliens sont les occupants ! Grâce aux attentats, Ariel Sharon a une majorité qu’il n’avait jamais eue auparavant, mais il ne va pas conserver cet avantage… Le peuple n’est pas si stupide, car il n’apporte aucune perspective : il a promis la sécurité et la paix et nous n’avons pour le moment ni l’une ni l’autre.
APIC : Le procureur Elyakim Rubinstein ne trouve rien à redire contre ceux qui prônent le «transfert» des Palestiniens – une mesure violant le droit international – , pourvu qu’ils ne le fassent pas par la violence. Ne s’agit-il pas d’un signal extrêmement négatif vis-à-vis des Palestiniens et de la communauté internationale ?
Evi G.-S. : C’est catastrophique. Pas étonnant que l’image d’Israël à l’étranger se soit tellement dégradée, ce qui a encore renforcé la paranoïa des citoyens en Israël même. Quand les gens s’apercevront vraiment qu’il n’y a pas de perspective, Sharon ne pourra conserver cette majorité. Nous avons tous peur : chaque attentat, chaque réoccupation de territoires palestiniens fait monter la tension. Pour stopper le cycle infernal de la violence, il faut cesser l’occupation, il faut donner de l’espoir aux Palestiniens. Les attentats ne cesseront peut-être pas totalement, car il y aura toujours des extrémistes, mais il faut donner un horizon politique aux Palestiniens.
APIC : Le récent discours du président américain George W. Bush peut-il faire avancer les choses ?
Evi G.-S. : Il ne pourrait pas être un meilleur membre du Likoud… Son approche est fausse, il aurait les moyens d’exercer une pression, de faire avancer une solution pacifique, mais il a perdu toute crédibilité auprès des Palestiniens. On a besoin d’un partenaire extérieur pour faire avancer la paix entre Israéliens et Palestiniens. L’Union européenne devrait être davantage présente et s’imposer, car Israël est si dépendant de l’Europe.
APIC : Subissez-vous des pressions de la part du gouvernement israélien ?
Evi G.-S. : Beaucoup en Israël nous considèrent comme une lueur d’espoir, la preuve que nous pouvons vivre ensemble. Mais il y a des pressions venant de certains milieux gouvernementaux : une lettre a été écrite aux parents des élèves de l’extérieur (90% des enfants qui fréquentent l’école mixte de NSH/WAS viennent du voisinage, parfois même de très loin). On leur a dit que ce n’était pas légitime d’envoyer leurs enfants dans cette école. Nous avons entrepris une action: les autorités régionales, le Ministère de l’éducation et nombre d’ambassades israéliennes à l’étranger ont été bombardées de lettres de protestation.
Le gouvernement israélien est très ambivalent face à notre expérience de cohabitation. Parfois, il envoie de très hauts fonctionnaires pour nous visiter et voir que cette cohabitation est possible, que l’on vit en démocratie. Nous sommes contents de cette publicité, c’est une garantie pour notre sécurité. Tout n’est pas noir et blanc. Ainsi nous avons été reconnus comme école expérimentale. Nous avons conservé ce statut spécial d’école modèle, dont le gouvernement s’est inspiré pour développer deux autres expériences, plus restreintes, à Jérusalem et en Galilée, près de Sakhnine.
APIC: Pourquoi êtes-vous revenue temporairement en Suisse ?
Evi G.-S. : Pour faire la promotion du village de la paix de Neve Shalom/Wahat al-Salam (NS/WS) et trouver des moyens pour financer ses activités. En effet, nous sommes des enfants très défavorisés de l’Etat d’Israël, qui ne nous soutient presque pas… Nous développons surtout des activités pédagogiques qui ne rapportent pas d’argent.
On nous avait promis de nous financer une école à l’époque du ministre de l’Education Yossi Sarid, sous le gouvernement Barak, mais maintenant le gouvernement Sharon ne veut plus rien savoir. Nous avons pourtant besoin d’une nouvelle école, car nous avons 320 élèves, dont 90% viennent de l’extérieur. Le gouvernement a coupé dans le subventionnement des transports au début de l’année. Il n’aime pas notre expérience de convivialité, car c’est l’antithèse de sa théorie que les Arabes sont seulement des ennemis.
Nous recevons l’aide de milieux juifs, mais aussi beaucoup de milieux chrétiens et d’Eglises, car l’idée de ce village de 200 habitants est très chrétienne. Son fondateur n’est-il pas un religieux catholique israélien d’origine juive, le Père dominicain Bruno Hussar ? JB
Des photos de Neve Shalom/Wahat al-Salam sont disponibles auprès de l’agence CIRIC, Chemin des Mouettes 4, CP 405, CH-1001 Lausanne. Tél. ++41 21 613 23 83 Fax ++41 21 613 23 84 e-mail : ciric@cath.ch
Amis suisses de Neve Shalom/Wahat al-Salam
Secrétariat: CH-8123 Zumikon, Küsnachterstr. 20; E-mail : reinshagen@dplanet.ch ;
Site internet: www.nswas.com ; Banque Coop, Bâle, PC 40-8888-1, compte bancaire 298385.290100-5 8440 Neve Shalom. (apic/be)
Rencontre avec Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem (070693)
APIC – Interview
Menaces sur la présence chrétienne en Terre Sainte
Jacques Berset, Agence APIC
Fribourg, 7juin(APIC) Le problème de Jérusalem concerne tous les croyants
et l’on doit s’y intéresser davantage en Occident, lance Mgr Michel Sabbah,
patriarche latin de Jérusalem. La ville trois fois sainte – qui est aussi
un centre administratif, hospitalier et culturel, ainsi qu’un noeud de
communication indispensdable entre les divers territoires occupés – est
bouclée depuis plus de deux mois en représailles contre des attentats. La
restauration de facto de la «ligne verte» a des conséquences sociales et
économiques de plus en plus dramatiques pour les Palestiniens.
De passage à Fribourg dans le cadre du Congrès annuel de la lieutenance
suisse de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre, le chef religieux catholique
palestinien a souhaité que l’on aide les deux peuples – juif et palestinien
– à trouver une solution à ce drame qui continue. Si l’absence de paix se
poursuit, craint-il, la Terre Sainte risque de se transformer en musée, en
raison de l’émigration des familles chrétiennes qui ne voient plus de perspectives d’avenir. Mgr Sabbah affirme comprendre leur désir d’échapper à ce
conflit qui dure depuis des générations, mais il incite cependant les chrétiens à rester sur place, car telle est la vocation – certes pas facile de l’Eglise de Jérusalem.
APIC:Combien reste-t-il aujourd’hui de chrétiens en Terre Sainte et à Jérusalem ?
MgrSabbah:Par Terre Sainte, nous entendons Israël, les territoires occupés de la Palestine (dont la partie arabe de Jérusalem) et la Jordanie.
Dans ces trois territoires, la population totale approche les onze millions. En Israël et dans les territoires occupés de la Palestine, il y a
environ 150’000 chrétiens, catholiques, orthodoxes, protestants, etc. A Jérusalem même, la population chrétienne de la ville (dans la vieille ville
et en-dehors des murs) a fortement régressé: nous ne sommes peut-être plus
que 10’000 chrétiens sur 600’000 habitants, alors qu’avant la fondation
d’Israël, les chrétiens étaient trois fois plus nombreux pour une population totale de 200’000 habitants.
APIC:Comment expliquez-vous cet affaiblissement de la présence chrétienne?
MgrSabbah:D’abord une première vague de réfugiés a dû quitter la ville en
1948, puis une deuxième en 1967, sans compter qu’en raison de l’instabilité
politique de la région, une émigration constante d’individus, de petits
groupes voire de familles entières, menace sérieusement la présence chrétienne. Les pressions les plus importantes qui pèsent sur la communauté
chrétienne viennent du manque de paix, ce qui provoque une situation instable dans tous les domaines. Le présent est difficile à supporter et l’avenir paraît incertain: va-t-on rester sous occupation militaire, aura-t-on
la liberté?
Certains ont fait le choix de rester
Beaucoup de gens pensent à émigrer pour assurer l’avenir de leurs enfants. Malgré cela, il y a des chrétiens qui font le choix de rester, un
choix religieux, et parfois aussi politique. Nous restons, disent-ils, d’un
côté fidèles à la foi – nous sommes chrétiens en Terre Sainte, donc pour la
Terre Sainte, et non pas pour n’importe quel autre endroit – et d’autre
part fidèles à la terre. Ce sont des chrétiens palestiniens qui ont toujours été là.
Politiquement, cette terre est disputée par deux peuples, israélien et
palestinien. Les chrétiens sont essentiellement des Palestiniens, à l’exception de quatre communautés chrétiennes d’expression hébraïque (composées
de juifs ou de non juifs vivant dans le monde hébraïque) qui sont quelques
centaines. Chacun appartient à son peuple et à sa nation; les chrétiens
arbes s’identifient à la cause du peuple palestinien: ils veulent la liberté de leur peuple et la liberté de décider pour eux-mêmes la forme de vie
politique qu’ils souhaitent.
APIC:Les chrétiens palestiniens subissent des pressions de la part de milieux islamistes fondamentalistes…
MgrSabbah:Rien ne distingue les chrétiens des autres Palestiniens. La
montée du fondamentalisme musulman est un mouvement à l’intérieur de la
communauté musulmane; c’est une lutte interne à l’islam, qui n’est pas dirigée contre les chrétiens. C’est pourquoi, au niveau des autorités civiles
et religieuses, les rapports entre chrétiens et musulmans sont normaux,
bons et réguliers. Au niveau de la masse, il y a certes des incidents, mais
ils sont créés par une «troisième force» qui essaye de fomenter la discorde, de semer la peur dans le coeur des gens pour dresser les uns contre les
autres chrétiens et musulmans.
Le militantisme islamique n’est pas dirigé contre les chrétiens
Mais le militantisme islamique n’est pas du tout dirigé contre les chrétiens, il concerne les musulmans entre eux et c’est aussi une force politique dirigée contre une situation politique donnée. Quant aux attentats contre des biens appartenant à des chrétiens, ils ne sont pas à mettre au
compte des musulmans. Il y a eu certes des incidents, mais ils sont jusqu’à
maintenant restés très confus. On n’a jamais su qui en sont les auteurs; il
y a certainement des éléments qui veulent bien fomenter des troubles pour
diviser la population et affaiblir la lutte nationale.
Nous, nous voulons la liberté, la paix et la justice pour tous, Palestiniens et Israéliens. Les droits de tous doivent être garantis, pour les
juifs, les chrétiens et les musulmans, car il n’y aura jamais de paix sans
justice. Aujourd’hui, il n’y a pas la justice pour tous, car le Palestinien
est sous occupation militaire, donc il n’est pas libre.
APIC:Que représente pour vous la fermeture de Jérusalem depuis plus de
deux mois aux habitants des territoires occupés ?
MgrSabbah:C’est une mesure très grave en ce qui concerne la nature religieuse de Jérusalem. C’est soumettre cette nature religieuse à des mesures
de sécurité, mais du fait de son caractère sacré, Jérusalem ne peut pas
être soumise à de telles mesures. La ville doit rester ouverte pour tous
les croyants; non seulement pour ceux qui vivent aux quatre coins du monde,
mais aussi pour les gens qui en sont proches, comme les habitants de Bethléem, de Ramallah…
Une mesure punitive avec de graves conséquences
La fermeture des territoires est toujours aussi stricte depuis le 1er
avril dernier. Cette mesure punitive a de graves conséquences psychologiques, économiques, culturelles. La ville de Jérusalem, outre qu’elle est un
centre religieux, reste également un centre civil: on y trouve les hôpitaux, les institutions éducatives, c’est également un noeud routier qui relie les différentes parties des territoires occupés…
Aujourd’hui, un chrétien de Bethléem par exemple ne peut se rendre dans
la ville sainte sans permis militaire. Durant la Semaine Sainte, ceux qui
n’avaient pas de permis n’ont pu se rendre au Saint-Sépulcre. Jusqu’à maintenant, c’est toujours aussi difficile d’obtenir un permis du gouverneur
militaire, et il faut accepter les files d’attentes et les humiliations habituelles, «normales», de la part des militaires israéliens!
Rendre à Jérusalem sa nature sacrée
Il faut rendre à Jérusalem sa nature sacrée et donner à cette ville
sainte un caractère particulier qui la libère de tous conflits politiques.
Nous devons nous mettre à table pour trouver un statut particulier qui soit
satisfaisant pour tout le monde, juifs, musulmans et chrétiens, car chacun
a droit à sa liberté dans cette ville qui est la sienne: Jérusalem est pour
tous! (apic/be)
Encadré
Mgr Sabbah: premier patriarche latin de Jérusalem d’origine palestinienne
Premier patriarche latin de Jérusalem d’origine palestinienne, Mgr Michel
Sabbah est né le 19 mars 1933 à Nazareth, en Galilée. Il a été nommé par le
pape Jean Paul II à cette haute fonction en décembre 1987 pour remplacer
Mgr Giacomo Beltritti, patriarche d’origine italienne, qui s’était retiré
pour raison d’âge.
Né sous le Mandat britannique, avant la division en 1948 de la Palestine
entre Israël et la partie restante arabe, Mgr Sabbah s’est ensuite trouvé
dans la zone jordanienne, avec un passeport jordanien. Lors de la guerre
des Six Jours en 1967, il se trouvait à Jérusalem, début de l’occupation
israélienne de la partie arabe de la ville. Il porte également de ce fait
une carte d’identité israélienne.
Mgr Michel Sabbah a recu l’ordination sacerdotale le 29 juin 1955. Après
avoir fait la licence de lettres arabes à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (1963), puis le doctorat en philologie arabe à la Sorbonne (Paris,
1973), il a été nommé directeur général des écoles de tout le Patriarcat et
responsable de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC). En 1970, il s’est vu
confier l’importante paroisse du Christ-Roi à Misdar (Amman, Jordanie),
avant de se voir confier la présidence de l’Université catholique de Bethléem, fondée en 1973 avec l’aide du Vatican.
Le Patriarcat latin de Jérusalem forme un seul et unique diocèse réunissant les fidèles de rite latin de l’Etat d’Israël, des territoires occupés
(la partie arabe de Jérusalem, Cisjordanie, Gaza), de Jordanie et de Chypre. Ils sont au nombre de 65.000 répartis en 60 paroisses, dont 85 %, vivant en Terre Sainte et en Jordanie, sont d’origine arabe. Du Patriarcat
dépend également la petite communauté catholique d’expression hébraïque
(quelque 300 fidèles) et plus d’un millier de catholiques appartenant à des
foyers mixtes. (apic/be)