Chine: Daniel Salzgeber, co-président de groupe de travail Suisse-Chine

Apic Interview

«Le retrait de l’Action de Carême de Chine est très regrettable»

Josef Bossart / Traduction: Bernard Bovigny

Pékin, 8 février 2005 (Apic) Alors que les entreprises suisses lorgnent de plus en plus vers la Chine, l’oeuvre d’entraide catholique «Action de Carême» y abandonne son soutien aux projets pastoraux. «Cette mesure résulte d’un plan visant à concentrer nos activités», répond l’Action de Carême. «Une décision très regrettable», affirme pour sa part Daniel Salzgeber, co-président du groupe de travail oecuménique Suisse-Chine.

L’Eglise en Chine est plutôt pauvre et accomplit de plus en plus un important travail social dans le pays, souligne dans une interview à l’Apic le chanoine du Grand Saint-Bernard Daniel Salzgeber, âgé de 41 ans, dans le cadre d’un voyage en Chine organisé par le groupe de travail oecuménique qu’il co-préside.

Apic: Daniel Salzgeber, le conseil de fondation de l’Action de Carême a décidé en juin d’abandonner son activité en Chine. Quel soutien apportait concrètement l’oeuvre d’entraide des catholiques suisses dans ce pays?

Daniel Salzgeber: L’Action de Carême avait centré son activité dans quatre domaines. Premièrement elle soutenait la construction d’une imprimerie catholique à Shanghai, alors même que ce projet était l’objet de nombreuses critiques en Suisse. «Pourquoi finance-t-on une imprimerie dans un pays communiste?», demandaient certains. Ils n’étaient alors pas conscients de l’importance pour la Chine que revêtait l’Eglise catholique dite «officielle».

Deuxièmement, l’Action de Carême était membre du Centre-Chine, un institut fondé en 1988 à St-Augustin, en Allemagne, surtout par les missionnaires de Steyl, et dont font maintenant partie 28 oeuvres d’entraide et congrégations catholiques d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche. C’est à travers lui notamment que plusieurs prêtres et séminaristes chinois ont pu étudier à St-Augustin en obtenant des bourses.

Troisièmement, l’Action de Carême a soutenu le jésuite suisse Stephan Rothlin, qui enseigne l’éthique de l’économie à l’Université de Pékin et a fondé un institut actif dans ce domaine.

Enfin, l’Action de Carême a également soutenu le groupe de travail Suisse-Chine. En 2003, par exemple, un montant extraordinaire de 40’000 francs a été consacré au financement de retraites d’étudiants chinois dans des maisons de formation en Suisse. En tout et pour tout, le budget annuel de l’Action de Carême pour ses projets en Chine se montait à 80’000 francs, soit un montant plutôt modeste si on le compare à l’ensemble de ses entrées financières.

Apic: En 2003, l’Action de Carême a consacré un montant total de 10,4 millions de francs pour des projets dans les pays du Sud, y compris en Chine. Il est donc vrai qu’une somme de 80’000 francs est très modeste pour nous, mais représente beaucoup en Chine .

D.S: Si cela continue dans le pays comme lors des dernières années au niveau des baptêmes, la Chine sera en 2010 le pays comptant le plus de chrétiens au monde! Et cela, on l’oublie en Suisse, et ailleurs aussi. En 2003, la population catholique y était estimée à 12 millions de fidèles, membres soit de l’Eglise catholique officielle, soit de l’Eglise non officielle «clandestine».

Selon les régions, l’Eglise catholique se trouve dans des situations très diverses, et la liberté de religion n’est pas définie dans un cadre tel que nous connaissons en Suisse. Je rappelle à ce propos la situation de l’Eglise non officielle, qui est toujours persécutée en Chine. La plus grande partie des chrétiens vivent dans les régions pauvres du pays, l’Eglise catholique chinoise vit donc avec des moyens modestes. C’est la raison pour laquelle le travail social accompli surtout dans les milieux ruraux par l’Eglise revêt une réelle importance.

Lorsque nous autres, Eglise catholique en Suisse, n’apportons plus notre soutien, nous laissons à mes yeux nos frères et soeurs de Chine dans le besoin.

Apic: L’Action de Carême explique l’abandon de son soutien en Chine par le recul des entrées financières durant ces trois dernières années. Elle a ainsi dû se résoudre à une concentration de ses projets sur un nombre plus limité de pays.

D.S: L’Action de Carême s’est retirée de tous les pays asiatiques dans lesquels elle s’est impliquée très fortement dans le travail pastoral ces dernières années, voire ces dernières décennies. A mon avis, il existe une tendance à l’Action de Carême consistant à se retirer des projets pastoraux afin de se consacrer en priorité aux projets de développement.

La collaboration dans le développement est bien entendu importante, et je n’aimerais pas jouer l’une contre l’autre. Mais de la part d’une oeuvre d’entraide catholique comme l’Action de Carême, nous sommes en droit d’attendre que la priorité soit donnée d’abord aux projets pastoraux, et ensuite à la collaboration au développement.

Apic: Beaucoup de croyants estiment actuellement qu’il vaut mieux creuser des puits que réaliser des projets pastoraux .

D.S: Je tiens à préciser que les projets pastoraux n’ont jamais été des projets d’évangélisation, mais toujours des projets comprenant une aide sociale. En Chine, l’Eglise devient toujours plus importante grâce notamment à l’apport des religieuses dans les domaines de la santé et de l’enseignement. Et elles ont besoin d’un soutien financier pour cela. Durant les dernières années, un travail social s’est mis en place. Alors qu’il était strictement interdit autrefois, on s’en montre très heureux aujourd’hui dans les milieux gouvernementaux.

Parlons également des écoles. Autrefois elles étaient gratuites en Chine, mais des taxes ont été introduites depuis quelques temps. Et même si elles ne sont pas très élevées, beaucoup de parents dans les campagnes ne peuvent les payer. L’Eglise se lance en mettant en place des écoles primaires et des collèges, bien que la loi l’interdise.

L’activité de l’Eglise dans le pays touche également le soutien aux paysans avec des crédits, la construction de puits, . Les projets pastoraux n’ont donc jamais été des projets d’évangélisation, mais toujours des projets de développement, menés avec transparence par l’Eglise locale et par les congrégations religieuses du pays. JOB

Encadré:

Action de Carême: «Pas de réduction dans le travail pastoral»

Il est tout à fait compréhensible que notre retrait de certains pays ou de certains projets provoque la déception des partenaires concernés, a affirmé à l’Apic Antonio Hautle, directeur de l’Action de Carême. Mais la baisse des dons enregistrée durant ces trois dernières années a obligé l’oeuvre d’entraide à «concentrer ses efforts». Et cela a abouti ces dernières années à un retrait de plusieurs pays, non seulement en Asie mais aussi en Afrique et en Amérique latine.

Antonio Hautle juge «fausse l’affirmation resurgissant sans cesse» selon laquelle l’Action de Carême réduit son engagement dans le domaine de la pastorale. Il souligne que selon les statuts de l’oeuvre, et conformément au contrat établi avec la Conférence des évêques suisses, 38,5% des montants engagés par l’Action de Carême vont dans la collaboration pastorale; 38,5% dans la collaboration au développement; et les 23% restants sont consacrés aux projets de l’Eglise catholique en Suisse.

Antonio Hautle admet que chaque année, 4 millions de francs sont versés à l’Action de Carême par des fonds publics, et doivent être exclusivement destinés à la collaboration dans le domaine du développement. «Cela peut donner l’impression que l’Action de Carême soutient plus fortement le travail de développement», affirme-t-il, tout en précisant que 80% environ de ces projets sont menés par des organisations partenaires de l’Action de Carême issues de l’Eglise ou proches d’elle, et ont très souvent un «caractère pastoral-social».

Le directeur de l’Action de Carême souligne enfin que l’abandon des projets en Chine et dans les autres pays a été mis en place de façon à ce que les organisations partenaires puissent s’adapter à la nouvelle donne pendant trois ans. Et ces organisations sont également soutenues par l’Action de Carême dans la recherche de nouvelles sources financières et l’élaboration de «scénarios alternatifs pour l’avenir». JOB

Encadré:

Un groupe de travail pour établir des ponts entre la Suisse et la Chine

Le groupe de travail oecuménique Suisse-Chine a été fondé en 1986. En font partie des représentants d’institutions catholiques et réformées ayant un rapport avec la Chine. Du côté catholique, cela concerne la société des Missionnaires de Bethléem Immensee, les Soeurs d’Illanz, la province suisse des missionnaires de Steyl, les chanoines du Grand Saint-Bernard, l’oeuvre d’entraide Action de Carême et le Conseil missionnaire catholique. Les représentants issus des deux confessions reçoivent un mandat de leur Eglise respective: de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse et de la Conférence des évêques suisses.

La fonction principale du groupe de travail est le maintien d’un pont entre les Eglises en Suisse et celles en Chine. Ainsi, des délégations du bureau des religions de Chine sont accueillies pour des sessions en Suisse, où il est par exemple question des sectes, des lois sur les religions, des liens entre Eglises et Etat dans les différents cantons, . Egalement des délégations des Eglises catholique et réformée de Chine se rendent en Suisse à l’invitation du groupe de travail oecuménique.

Durant les premières années de son existence, le groupe de travail s’est surtout engagé auprès des étudiants. Des journées de rencontre ont été organisées en Suisse pour des étudiants chinois. Le groupe de travail Suisse-Chine oeuvre en étroite collaboration avec le groupe de travail oecuménique d’Allemagne. Il existe également un lien au niveau européen: tous les deux ans a lieu une conférence sur la Chine, organisée en alternance par les catholiques et les réformés. La prochaine rencontre oecuménique a lieu en 2005 à Rome.

Ces dernières années, le travail avec les séminaristes et les religieuses en Chine a pris toujours plus d’importance. Actuellement, près de 200 d’entre eux se trouvent pour leurs études en Europe. Le groupe de travail oecuménique Suisse-Chine est co-présidé par le pasteur réformé Michel Baumgartner, de Zurich, et le Père du Grand Saint-Bernard Daniel Salzgeber, de Lausanne. JOB

Encadré:

Daniel Salzgeber, «dernier des Mohicans» à Champittet

Le prêtre haut-valaisan Daniel Salzgeber fait partie des chanoines du Grand Saint-Bernard. Agé de 41 ans, il est le dernier religieux présent au Collège de Champittet à Lausanne, où il exerce la double fonction de préfet de l’internat et de professeur d’allemand. L’école a appartenu jusqu’il y a quatre ans aux chanoines du Grand Saint-Bernard. En raison du manque de relève dans la congrégation, l’établissement a été remis à des privés. JOB

Avis aux rédactions: une photo de Daniel Salzgeber est disponible à l’agence Apic: kipa@kipa-apic.ch (apic/job/bb)

8 février 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Rencontre avec le P. Boze Vuleta, directeur de l’Institut franciscain pour la culture de la paix

APIC – Interview

Croatie/Bosnie: d’abord réconcilier les victimes avec elles-mêmes

Jacques Berset, APIC

Split, 5 décembre 2000 (APIC) Cinq ans après la fin des hostilités en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, les victimes du conflit sanglant qui a déchiré les Balkans doivent d’abord se réconcilier avec elles-mêmes. Impossible sinon de pardonner à ceux qui les ont martyrisées tant au plan physique que psychique, explique s’adresse un jeune religieux croate de 45 ans, le Père Boze Vuleta, directeur de l’Institut franciscain pour la culture de la paix, à Split.

Pas facile de prôner le pardon et la réconciliation à des personnes encore traumatisées par les atrocités dont elles ont été les témoins ou les victimes. Elles ont parfois perdu tous les membres de leur famille et leurs biens dans les combats et les bombardements qui ont fait des centaines de milliers de morts, de disparus, de mutilés à vie; elles ont assisté à des viols et à des massacres; la haine est toujours présente chez nombre de victimes, ainsi que le désir de vengeance.

«Je comprends cette situation et je respecte les sentiments des gens. Vous ne pouvez pas les forcer», lâche le Père croate Boze Vuleta, rencontré au couvent franciscain de Split, en Dalmatie.

Fidèles à l’esprit de saint François d’Assise et de ses disciples, beaucoup parmi les quelque 2’500 religieuses et religieux franciscains présents en Croatie et en Bosnie-Herzégovine sont engagés depuis des années dans une mission de pacification des cœurs. Ils cherchent à bâtir une véritable «culture de la paix», une œuvre de longue haleine, seule garante d’une coexistence pacifique à long terme dans les Balkans. Fondé en 1995 vers la fin de la guerre dans la région, l’Institut dirigé par le religieux croate emploie quatre personnes à plein temps: un prêtre franciscain, une sœur franciscaine et deux laïcs, secondés par une quinzaine de religieux et religieuses disciples de saint François d’Assise.

APIC: Vous considère-t-on parfois comme un traître quand vous priez pour la paix et prônez la réconciliation, entre ennemis dont la haine est encore très tenace, dans une atmosphère empoisonnée par le nationalisme ?

Père Vuleta: Parfois oui, mais on ne nous a jamais vraiment menacés. On nous dit de faire bien attention, car on va s’adresser à des gens qui ont parfois perdu tous les membres de leur famille dans la guerre, à des familles qui n’ont pas de lieu où s’installer, à des personnes déplacées ou réfugiées qui ont perdu tous leurs biens. Les questions fusent rapidement: «A qui allons-nous pardonner ? Aux agresseurs, à ceux qui ont tué nos voisins ou nos frères, à ceux qui nous ont chassés de chez nous, qui ont brûlé nos maisons ?»

De bonnes intentions peuvent être mal interprétées. Vous ne pouvez de toute façon pas parler de réconciliation tant que la violence se poursuit. Trop souvent, dans la mentalité chrétienne, on se méprend sur le sens de la réconciliation.

Au commencement de notre action, à la fin des hostilités, les gens étaient très méfiants. A la seule mention des mots «pardon» ou «réconciliation», on devenait vite suspects, les gens ne savaient que penser. Mais ils sont restés et nous ont respectés, parce que nous sommes prêtres et franciscains. D’autres que nous auraient été chassés. Nous tentons de présenter le pardon comme une offre dont ils peuvent eux-mêmes bénéficier. Ce n’est pas une charge supplémentaire, mais une libération. Nous essayons de leur montrer combien nous comprenons leurs souffrances. Il arrive qu’ils souffrent parce qu’ils sont brûlés par la haine, ils ne parviennent pas à se libérer du mal dont ils ont fait l’expérience dans le passé. Les victimes elles-mêmes se sentent coupables.

La politique internationale cherche trop souvent l’équilibre entre agresseurs et agressés et dénie à ces derniers le statut de victimes. Tant que celui qui a subi l’agression n’est pas reconnu comme victime, il vit une situation extrêmement destructrice.

APIC: Vous leur offrez ainsi une sorte de «catharsis»…

Père Vuleta: C’est certain, c’est la première chose qui doit être faite. Le travail de pardon et de réconciliation n’a de sens que s’il est avant tout au service des victimes. Nous les aidons à soigner leurs souffrance. S’il ne sert pas à cela, il est inutile. Le pardon est une offre, un cadeau de Dieu.

J’ai participé à de nombreux séminaires ou des conférences, où l’on met ensemble des Serbes, des Croates, des Bosniaques pour les faire parler et tenter de les réconcilier. On a ainsi pu réunir une centaine de personnes. Dans 95% des cas vous rencontrez les mêmes gens, très souvent des intellectuels… des gens qui n’ont pas besoin d’être convaincus de la nécessité d’établir des relations pacifiques entre les communautés ou de la réconciliation entre les hommes. L’attitude habituelle est de faire comme s’il n’y avait aucun travail à effectuer à l’intérieur des communautés elles-mêmes.

APIC: Quel genre de gens rencontrez-vous dans votre travail de réconciliation?

Père Vuleta: Notre travail s’adresse en premier lieu aux Croates parce que les Croates sont catholiques. Nous nous adressons aux gens qui ont souffert durant la guerre, qui ont perdu des êtres chers, leurs biens: des réfugiés, des personnes déplacées, la jeunesse. Nous essayons de les toucher avant tout à travers les structures existantes, à l’église, lors de retraites spirituelles, de célébrations chrétiennes.

Ces expériences existentielles apportent quelque chose de beaucoup plus fort que n’importe quelle parole. Les funérailles de quelqu’un tué durant la guerre font beaucoup plus en faveur de la réconciliation que nombre de séminaires. Le sacrement de la réconciliation agit de même, la messe, l’eucharistie. Si nous réussissons à convaincre les membres de notre communauté catholique des valeurs du pardon, de la réconciliation et de la paix, nous aurons fait notre travail. Ces gens n’auront ensuite aucun problème à bâtir des relations pacifiques avec les autres communautés.

APIC: Cela signifie que vous ne travaillez pas avec les autres communautés, que vous ne mettez pas ensemble Croates, Serbes et Musulmans ?

Père Vuleta: La plupart du temps nous nous adressons aux Croates. Mais nous organisons aussi des rencontres de prières interreligieuses chaque année à Split, Zagreb, Sarajevo ou Mostar, qui rassemblent catholiques, orthodoxes, juifs, protestants et musulmans. Nous en avons mises sur pied à Vukovar ou Ilok, en Slavonie orientale, où presque tous les Croates avaient été chassés pendant l’occupation serbe.

L’an dernier, nous avons passé deux semaines à Knin, l’ancienne capitale de la «République serbe de Krajina». (Ses habitants, des Serbes de Croatie, ont quitté de gré ou de force la région en août 1995 durant l’opération «Tempête», la guerre éclair menée par l’armée croate qui a mis un terme à la présence armée serbe en Croatie). Notre premier but n’était pas de rassembler les gens des diverses communautés dans un séminaire ou un colloque. La philosophie de base de notre approche est différente.

Nous nous sommes adressés aux seuls Croates. Il était impossible que des Serbes vinssent à nos séminaires, car la situation était alors très tendue: la guerre est encore si proche! Les gens doivent d’abord lutter pour trouver des solutions aux nécessités de base, pour survivre. Si dans ce cas vous mettez les gens des deux communautés ensemble, cela finirait certainement par des bagarres. Je comprends cette situation et je respecte les sentiments des gens. Vous ne pouvez pas les forcer. Quand vous travaillez pour la paix, vous devez être prêts à ne jamais voir un jour les fruits de votre action! (apic/be)

5 décembre 2000 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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