El Salvador: il y a 25 ans, Mgr Romero tombait sous les balles des Escadrons de la Mort

Apic- Interview

«Saint Romero des Amériques» est toujours vivant dans son peuple

Jacques Berset, agence Apic

El Salvador/Munich, 23 février 2005 (Apic) Il y a 25 ans, le 24 mars 1980, alors qu’il célébrait la messe, Mgr Oscar Arnulfo Romero tombait sous les balles des Escadrons de la Mort d’extrême droite. L’archevêque de San Salvador était assassiné par ceux là même qui prétendaient lutter pour sauver la civilisation chrétienne du communisme.

La guerre civile s’accéléra et plongea le Salvador durant plus d’une décennie dans un bain de sang qui fit plus de 100’000 morts. Aujourd’hui, déjà canonisé par le petit peuple – pas encore par Rome -, «San Romero de las Americas» reste toujours une grande lueur d’espoir pour un peuple courbé sous les fourches caudines du néo-libéralisme imposé par Washington, avec la complicité de l’oligarchie locale.

A l’occasion de cet anniversaire significatif, l’Apic a interviewé le Père jésuite Martin Maier, 44 ans, éditeur et rédacteur en chef de la revue «Stimmen der Zeit» à Munich (*). Ce spécialiste de l’Amérique centrale séjourne régulièrement au Salvador, où il enseigne chaque année durant trois semaines à l’UCA, l’Université catholique centroaméricaine «José Siméon Canas».

Apic: Vous avez séjourné au Salvador en pleine guerre civile.

P. Martin Maier: Effectivement, j’ai vécu au Salvador pendant les années de guerre civile, de 1989 à 1991. J’étais sur place quand l’armée salvadorienne a assassiné à l’Université centroaméricaine UCA six Pères jésuites, leur cuisinière et sa fille (*). A ce moment là, c’était mon premier séjour dans le pays. Je rédigeais ma thèse de doctorat, tout en collaborant dans une paroisse de campagne, à Jayaque, dans le département La Libertad, avec le Père Ignacio Martín-Baró. Vice-recteur de l’UCA, ce psychologue social fut assassiné avec ses confrères. Je lui ai alors succédé comme curé de paroisse à Jayaque.

Apic: La guerre civile, qui a duré plus d’une décennie, est officiellement terminée au Salvador depuis 1992, mais les blessures sont toujours ouvertes!

P. Martin Maier: C’est un des problèmes majeurs du pays: il n’y a pas eu de véritable réconciliation, car le travail de deuil n’a pas pu être fait. On ressent aujourd’hui encore les conséquences de la guerre civile, car c’est comme si on avait tiré une couverture sur les dizaines de milliers de morts qui en sont la conséquence. L’assemblée nationale a voté une loi d’amnistie. Le traité de paix a été signé en janvier 1992, sous la médiation des Nations Unies.

Cette paix offrait la chance d’un renouveau, d’une vraie réconciliation et de profondes réformes socio-économiques. Car la guerre civile puisait ses racines surtout dans l’injustice socio-économique. Il y avait la possibilité d’un nouveau commencement, notamment grâce au travail de la Commission de la Vérité qui a analysé quelques cas exemplaires d’assassinats politiques et de violations des droits de l’homme. Le rapport de la Commission a été présenté en mars 1993.

Apic: La Commission a désigné les assassins de Mgr Romero.

P. Martin Maier: Elle a désigné comme responsable principal le major Roberto d’Aubuisson, qui avait présidé l’assemblée nationale, et qui était déjà mort au moment de la parution du rapport. La Commission a aussi analysé l’assassinat des jésuites de l’UCA, commis par le Bataillon Atlacatl, entraîné par les Etats-Unis, le massacre d’El Mozote, dans l’Est du pays, où un millier de personnes – surtout des enfants, des femmes et des vieillards – ont été abattus par l’armée.

On avait des cas exemplaires, et c’était avant tout l’armée gouvernementale qui était désignée comme le principal coupable de ces massacres. Cinq jours après la publication de ce rapport, l’Assemblée nationale a voté une loi d’amnistie, qui était contre la Constitution. Il s’agissait clairement de tout dissimuler sous le tapis! C’est là qu’a été gâchée la possibilité d’une véritable réconciliation.

Cette date de mars 1993 est sans doute un moment fatidique pour l’histoire du pays. Des démarches ont été entreprises par la Tutela Legal, l’organisation de défense des droits de l’homme de l’archevêché, mais également de la part de membres de la famille de Mgr Romero, d’avoir un procès au Salvador contre ses assassins et les responsables de ce forfait. Mais cela a été refusé en vertu de la loi d’amnistie, mais l’amnistie ne peut pas s’appliquer à des cas de crimes contre l’humanité, dans des cas de graves violations des droits humains, estime ainsi Maria Julia Hernández, porte-parole et responsable de la Tutela Legal.

Apic: Au Salvador, on n’a pas fait justice, seulement «couvert» les crimes.

P. Martin Maier: Il y a bien eu quelques mesures contre de hauts officiers, qui ont été mis à la retraite, mais pas punis. Mais il n’y a pas eu de véritable processus de réconciliation et la requête fondamentale est l’annulation de la loi d’amnistie. C’est une revendication de la Tutela Legal, de l’UCA, d’organisations de défense des droits de l’homme. L’automne dernier, on a vu en Argentine qu’on pouvait annuler une loi d’amnistie. Ce serait également possible au Salvador.

Apic: Et les blessures de la guerre civile n’ont jamais été fermées!

P. Martin Maier: Non, et cela est très malsain. On connaît les assassins et on sait la vérité. Voici une formule pour caractériser la situation au Salvador: «Vérité sans justice». Le gouvernement actuel du Salvador est toujours aux mains du parti ARENA, un parti d’extrême-droite fondé par le major d’Aubuisson. L’actuel président Antonio Saca est jeune, et il n’est pas directement impliqué dans le passé sanglant des Escadrons de la Mort. Mais le pouvoir est toujours dominé par l’oligarchie et le discours est que l’on ne doit pas rouvrir les blessures du passé.

Apic: Que représente Mgr Oscar Romero pour la population salvadorienne ?

P. Martin Maier: Sa tombe, qui se trouve aujourd’hui dans une crypte de la cathédrale de San Salvador, est un lieu toujours fréquenté par les petites gens du pays. Des messes ont lieu tous les dimanches en ce lieu, les gens apportent des fleurs, placent des plaques concernant les faveurs reçues. Il y a toute une vénération et l’on peut parler d’une véritable canonisation par le peuple. Le procès de béatification au niveau de l’archevêché, ouvert en 1990, a été clos en 1996. La documentation a été présentée à Rome.

Apic: Le dossier est à Rome, mais il ne progresse pas!

P. Martin Maier: Effectivement, j’en avais parlé avec Mgr Arturo Rivera y Damas, le successeur de Mgr Romero, qui croyait en une béatification de l’archevêque martyr en l’an 2000. Il paraît que c’est même le pape qui en a parlé, car il y eu un changement dans son attitude à l’égard de l’archevêque assassiné. Car quelques mois après son élection comme pape, Jean Paul II avait mis en garde Mgr Romero. Son seul message était de lui demander de faire des efforts pour améliorer ses relations avec le gouvernement salvadorien.

C’était, en avril 1979, une rencontre difficile pour l’archevêque de San Salvador, qui avait l’impression que Jean Paul II n’était pas bien informé, tant sur la situation de ce pays d’Amérique centrale que sur la personne de Mgr Romero. C’était une demande impossible, car il s’agissait d’un gouvernement répressif qui violait les droits de l’homme et était responsable de milliers d’assassinats. Mgr Romero a beaucoup souffert de l’incompréhension romaine, lui qui était profondément attaché à l’autorité du pape.

Apic: Mgr Romero n’a pas toujours été perçu comme un «évêque rouge».

P. Martin Maier: Certes, Mgr Romero fut dans un premier temps le candidat des riches et de l’oligarchie, et on pensait qu’il s’agissait d’un homme pieux, conservateur, qui n’allait pas se mêler de politique. Mais dans les premières semaines à la tête de l’archevêché, il a subi une véritable transformation. L’assassinat de son ami, le Père Rutilio Grande, a été pour lui un choc et le départ de sa transformation. Prêtre ouvert, aimé du peuple, engagé socialement, ce jésuite fut abattu en compagnie d’un vieillard et d’un jeune garçon qui l’accompagnaient.

Il y eut d’autres attentats de ce genre: pendant ses trois années comme archevêque, huit prêtres ont été assassinés, et des milliers de laïcs engagés, des délégués de la parole, des catéchistes! Mgr Romero parlait à juste titre d’une persécution de l’Eglise au Salvador, entreprise par de prétendus chrétiens.

Pour avoir osé prendre ouvertement position pour les pauvres de son pays, pour avoir osé dénoncer publiquement les actes de répression contre les organisations paysannes et populaires et s’attaquer au régime militaire qui les écrasait pour protéger les intérêts de quelques familles très riches, l’extrême-droite l’a fait assassiner!

Apic: L’extrême droite salvadorienne bénéficiait d’appuis importants.

P. Martin Maier: Ce qui est triste, c’est que cette extrême-droite, qui prétendait – notamment en tuant des prêtres – défendre l’Occident chrétien contre les dangers du communisme, a été soutenue dans cette idéologie par les Etats-Unis. Il y a aussi eu là des points de convergence avec les secteurs conservateurs de l’Eglise catholique.

D’une certaine façon, l’Eglise reflète les divisions de la société, et la société salvadorienne est toujours divisée entre une minorité super riche et une majorité pauvre. Selon les derniers chiffres de l’ONU, 1,2 million de Salvadoriens, sur une population d’environ 6 millions, vivent dans l’extrême pauvreté. On peut affirmer que ces dernières années, les inégalités sociales se sont renforcées. La situation s’est dégradée pour les pauvres, notamment avec la «dollarisation» de l’économie. Cela veut dire que le dollar est devenu la monnaie nationale salvadorienne.

Le Traité de libre commerce (TLC) avec les Etats-Unis a déjà été adopté par le Parlement salvadorien. Le TLC va favoriser l’oligarchie économique, mais les pauvres vont en payer le prix. Le plan Puebla-Panama, qui vise à développer les infrastructures dans toute l’Amérique centrale, est au service d’une économie de type néo-libéral. Avec la crise du café, de nombreuses fincas ont été abandonnées et de nombreux travailleurs agricoles ont été poussés à émigrer.

Résultat: plus d’un million de Salvadoriens ont déjà quitté le pays, rêvant d’un avenir meilleur aux Etats-Unis. Tous les jours, entre 300 et 400 Salvadoriens, peut-être même 500, tentent leur chance, la plupart illégalement. Les réseaux de passeurs demandent actuellement jusqu’à 7’000 dollars! Une partie seulement de ces immigrants clandestins réussissent à passer la frontière américaine, les autres sont renvoyés au Salvador. L’injustice sociale crie au ciel, et les voix de l’Eglise qui protestent sont plutôt marginales.

L’actuel archevêque de San Salvador, Mgr Fernando Saenz Lacalle, un prélat d’origine espagnole, membre de l’Opus Dei, ne suit certainement pas la ligne prophétique de Mgr Romero. Le changement de cap dans la politique ecclésiale suite à la mort de Mgr Romero a été clair. Mgr Lacalle a ainsi refusé d’ordonner des étudiants de congrégations religieuses qui ont fait leur théologie à l’UCA. Il considère que c’est une mauvaise théologie. Si la polarisation n’est plus aussi profonde qu’il y a 25 ans, elle demeure cependant.

Apic: Qui donc bloque le dossier de béatification à Rome?

P. Martin Maier: Ces dernières années, il y a eu de nouveaux obstacles, notamment de la part de quelques cardinaux d’origine latino-américaine à Rome. Il semble que les opposants à l’évêque martyr ont suffisamment de poids à Rome pour freiner le procès.

Mais sur place, à San Salvador, on retrouve l’esprit de Mgr Romero parmi les gens simples, les communautés qui viennent tous les dimanches célébrer la messe sur sa tombe. Quand on leur demande ce que l’évêque martyr signifie pour eux, ils répondent toujours la même chose: il a dit la vérité, il nous a défendus, et pour cela, ils l’ont tué! Mgr Romero avait dit juste avant d’être assassiné: s’ils me tuent, je ressusciterai dans le peuple salvadorien. Et cela reste vrai pour le petit peuple. JB

(*) Ignacio Ellacuría, recteur, les Pères Ignacio Martín-Baró, Segundo Montes, Joaquín López y López, Amando López, Juan Ramón Moreno, la cuisinière Elba Ramos et sa fille Celina.

(**) Le Père Martin Maier a séjourné de 1989 à 1991 au Salvador, pour préparer sa thèse de doctorat sur la théologie d’Ignacio Ellacuría et de Jon Sobrino, tout en travaillant comme prêtre de la paroisse de Jayaque (Département La Libertad). Né en 1960 à Meßkirch, dans le Bade-Wurtemberg, il a étudié la philosophie et la théologie à Munich, Paris, Innsbruck et El Salvador. Il enseigne la théologie comme professeur invité à l’Universidad José Simeon Cañas (UCA), à San Salvador, et au Centre Sèvres, à Paris. Il sera l’hôte d’honneur, le samedi 19 mars à la «RomeroHaus» de Lucerne, de la journée commémorative des 25 ans de l’assassinat de Mgr Oscar Romero. Les autres orateurs invités sont Joe Lang, Annemarie Holenstein, Odilo Noti et Moni Egger. Cf: www.bethlehem-mission.ch/de/romerohaus

Des photos de Mgr Oscar Romero peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/be)

23 février 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 9 min.
Partagez!

Jean Fischer, secrétaire général de la KEK:

APIC – Interview

Pas de nouvelle évangélisation sans recherche de l’unité

Genève, 26novembre(APIC) A la veille du Synode spécial sur l’Europe qui

se tiendra à Rome du 28 novembre au 14 décembre, le pasteur protestant

suisse Jean Fischer, secrétaire général de la Conférence des Eglises européennes (KEK) et l’un des quinze «délégués fraternels» non catholiques invités à ce Synode, a confié à l’agence APIC qu’il ne peut y avoir de nouvelle évangélisation sans recherche de l’unité.

APIC:Comment définissez-vous de votre point de vue la nouvelle évangélisation?

Jean Fischer (JF):J’ai une petite difficulté avec le qualificatif nouvelle

parce que je dirais que depuis l’origine, une des tâches essentielles de

l’Eglise, c’est l’évangélisation. C’est une tâche permanente, il n’y a pas

d’évangélisation définitive faite une fois pour toute. On peut le faire

avec de méthodes qui sont appropriées au contexte dans lequel on se trouve.

APIC:Estimez-vous que l’ancienne évangélisation de l’Europe a été un

échec?

JF:J’aimerais préciser qu’il nous est difficile d’utiliser des critères

scientifiques pour juger si une évangélisation est un succès ou un échec.

Il ne s’agit pas de vendre des savonnettes et de quantifier les résultats.

Je dirais que l’évangélisation de l’Europe n’a pas été un échec en ce sens

que l’Eglise est présente partout et que même lorsqu’on a cherché la supprimer, on n’est pas arrivé à faire disparaître la foi et de ce fait la

présence de l’Eglise, même si elle a été invisible. La Bonne Nouvelle du

Salut a été annoncée et transmise par des moyens inhabituels mais néanmoins

efficaces.

L’Evangile est la Parole faite chair, qui a sa propre puissance et cette

puissance lui permet d’aller partout, même par des moyens qui ne sont souvent pas ceux que l’Eglise choisit. Dans ce sens je pense que les Eglises

sont appelées à une plus grande fidélité au message que la Bonne Nouvelle

apporte à tous les hommes qui sont dans une attente et qui se posent la

question de leur origine et aussi de leur destination et de leur Salut.

APIC:Comment jugez-vous la situation spirituelle de l’Europe aujourd’hui?

JF:C’est une question très difficile, parce que ce qui me gêne le plus,

c’est d’avoir à juger de l’attitude spirituelle de mes frères et soeurs. Je

dirais que, partout en Europe, les hommes et les femmes se sont toujours

tournés vers de faux dieux et continuent à le faire. Ces faux dieux peuvent

avoir beaucoup de noms différents et c’est la raison pour laquelle l’évangélisation est indispensable, pour faire connaître le vrai Dieu.

Je pense qu’on ne peut pas faire de généralisations pour le climat spirituel en Europe. Il y a une telle diversité, mais je pense que l’on peut

dire que nous entrons dans une époque où une quête spirituelle et la recherche de nouvelles formes de vie religieuse apparaissent. Et que c’est

peut-être cela qui nous montre que la tâche d’évangélisation n’a pas encore

abouti et qu’il faut la poursuivre avec courage, avec créativité, tout en

sachant que c’est Dieu lui-même par son Esprit-Saint qui peut transformer

les coeurs et les pensées.

APIC:Quelles sont à votre avis les tâches que les gouvernements, les sociétés doivent accomplir pour que l’Europe retrouve éventuellement ses racines chrétiennes?

JF:Je ne crois pas qu’il y a là une tâche spécifique pour des Etats, des

gouvernements, des pouvoirs économiques ou autres. Je pense que c’est une

tâche pour l’Eglise en Europe et je dis bien pour l’Eglise et non pas les

Eglises que de se souvenir qu’au début, en Europe, il n’y avait qu’une

Eglise, l’Eglise du Christ et que nos racines communes sont dans cette

Eglise qui est née de l’Evangile qui nous a été apporté par les Apôtres.

C’est à la fois la pureté de cet Evangile et l’unité perdue que nous devons

retrouver pour donner à l’Europe toute la vigueur que le message de l’Evangile peut donner à notre monde aujourd’hui.

APIC:Les Eglises d’Europe peuvent-elles parler de nouvelle évangélisation

de façon crédible puisqu’elles sont encore séparées?

JF:Je crois que nous sommes là au coeur du défi de l’oecuménisme qui est

de savoir comment des Eglises qui se sont séparées de plus en plus, peuvent

retrouver l’unité visible en Christ. Je crois que la crédibilité de l’Eglise et de son témoignage sont fortement mis en doute par ces divisions. Je

crois que l’Eglise qui est en Europe porte une responsabilité historique

dans ces divisions et se doit de faire des efforts inlassables et continus

pour panser les plaies et revenir à l’essentiel qui est la Parole de Dieu.

Et que si nous revenons à cet essentiel, à ce message annoncé dans le sermon sur la montagne, peut-être que beaucoup de problèmes doctrinaux, ecclésiologiques, d’organisation et de discipline, deviendront plus faciles à

régler ou en tout cas secondaires.

APIC:Quels sont les grand défis auxquels les Eglises d’Europe doivent faire face aujourd’hui?

JF:Nous avons déjà évoqué le premier grand défi qui est celui de l’unité

de l’Eglise. Le second, c’est l’universalité de l’Eglise dans une Europe

qui est en train de se chercher, de se réunir, de se réorganiser et où nous

apercevons les dangers d’une construction d’une forteresse Europe qui chercherait à se situer en opposition ou en compétition avec les autres continents. Je crois que l’Eglise doit affirmer l’unité de l’humanité, de l’»oikumene», c’est-à-dire toute la terre habitée. Nous ne pouvons pas accepter

de devenir eurocentristes.

Un troisième défi, c’est tout ce qui concerne la relation entre Eglise

et Etat, et la relation Eglise et pouvoir, parce que si l’Etat est le pouvoir politique, nous voyons bien que les forces qui sont à l’oeuvre et qui

modèlent la société sont quelquefois des forces supra-nationales, économiques, commerciales ou financières. Pour les Eglises, il y a en permanence

une réflexion à faire quant à leur place dans la société, parce que certaines Eglises peuvent être tentées de devenir l’Eglise officielle, celle qui

a les privilèges dans sa relation avec ces pouvoirs.

Enfin un autre défi, c’est de savoir comment l’Eglise peut incarner dans

sa vie les valeurs des Béatitudes, dans un monde où tout est payant, calculé, mesuré. L’Eglise doit apporter ce qui est gratuit, c’est-à-dire l’amour

de l’autre sans rien attendre en retour et insuffler des valeurs qui sont à

l’opposé des valeurs adoptées par nos sociétés. Mais pour que l’Eglise soit

crédible à nouveau, il faut qu’elle commence par vivre elle-même dans son

organisation propre d’une manière moins hiérarchique, d’une manière où

l’égalité entre hommes et femmes, jeunes et vieux, pourra se réaliser.

APIC:Certains milieux craignent que cette nouvelle évangélisation cache

une croisade catholique contre une société sécularisée et évoquent les risques de mettre en danger l’oecuménisme…

JF:Certains craignent en effet que se cache une re-catholisation qui pourrait être interprétée comme la recherche d’un retour vers le passé, de positions dominantes pour l’Eglise dans la société. Personnellement, je ne

veux pas m’associer à cette crainte. Je pense que ce n’est pas l’approche

de l’Eglise catholique romaine.

Lorsque les Eglises membres de la KEK se sont réunies, au début de l’année 1990, nous avons beaucoup réfléchi sur la nouvelle situation européenne

et nous avons affirmé tous ensemble que la mission de l’Eglise dans l’Europe nouvelle est d’être une Eglise fervente, une Eglise qui voudra s’approcher de tous ceux qui sont écrasés par l’organisation de notre société qui

marginalise ceux qui ne sont pas conformes à une certaine idée que l’on se

fait de l’homme aujourd’hui. Nous devons peut-être faire un effort considérable dans toutes les Eglises pour sortir du conformisme avec l’idéologie

dominante. Nous devons faire ensemble une analyse très critique de cette

société, et en cela j’admire la manière dont les évêques catholiques aux

Etats-Unis ont su faire ce travail.

APIC:Comment peut-on réaliser effectivement la nouvelle évangélisation?

JF:Je crois qu’il faut accentuer l’importance de la fonction évangélisatrice de l’Eglise, mais je ne la mettrais pas toute seule. Je pense que

quelquefois, quand il y a trop de paroles et pas assez d’actes, la nécessité de la diaconie – c’est-à-dire de vivre sa foi dans les actes – peut être

une meilleure proclamation que beaucoup de paroles. D’autre part, il ne

peut pas y avoir d’évangélisation en dehors d’une recherche de l’unité,

donc d’une exigence oecuménique très forte. (apic/eg/mp)

Propos recueillis par Evelyn Graf, agence APIC

26 novembre 1991 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
Partagez!

La Profession de foi et le Serment de fidélité (190190)

APIC INTERVIEW

Une analyse de Mgr Thils, professeur à l’Université catholique de Louvain

Bruxelles, 19janvier(APIC) Il y a bientôt un an, le 25 février 1989, la

Congrégation pour la doctrine de la foi annonçait la mise à jour de nouvelles formules de la Profession de foi et du Serment de fidélité et leur entrée en vigueur le 1er mars 1989. Mgr Gustave Thils, professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et qui fut expert au Concile Vatican

II, présente aujourd’hui, dans une plaquette d’une soixantaine de pages,

une analyse de ces documents. L’agence CIP l’a interrogé sur ce sujet.

L’origine de ces formules est assez ancienne: d’une part, la profession

de foi, adoptée au lendemain du Concile de Trente, dans le contexte de la

Réforme catholique (1554), et complétée par la suite; d’autre part, le serment de fidélité de 1910. Si la nouveauté de la Profession de foi est relative, le Serment de fidélité est, pour les fidèles laïcs, d’une nouveauté

absolue: il est étendu aux fidèles laïcs appelés à l’exercice d’une

fonction au nom de l’Eglise, dans les limites précisées au canon 833, n.

5-8, du droit canonique.

La profession de foi propose, dans une première partie, le texte du Symbole de Nicée-Constantinople. La deuxième partie est subdivisée en trois

paragraphes, afin de mieux distinguer le genre de vérité et l’assentiment

demandé: les vérités proposées à croire comme divinement révélées; les vérités concernant la doctrine de la foi ou les moeurs proposées par l’Eglise

de manière définitive, mais non comme divinement révélées; les doctrines

proposées par le Pontife romain ou par le collège des évêques, lorsqu’ils

exercent le magistère authentique, même s’ils n’entendent pas les proclamer

par un acte définitif.

Le Serment de fidélité expose en cinq paragraphes les formes de communion, de collaboration et de soumission attendues des personnes appelées à

le prononcer.

Qu’est-ce qui vous a amené à entreprendre cette étude?

Mgr Thils: Le fait que j’ai été interrogé par des collègues théologiens

qui savent que j’ai eu l’occasion d’étudier l’ecclésiologie des deux dernièrs conciles oecuméniques. Ils m’ont dit que certains paragraphes des

nouvelles formules donnaient lieu à des questions, à des hésitations, à des

résistances. J’ai donc étudié ces documents pour en déterminer l’enjeu: sur

quoi portent-ils et qui est concerné?

Qui précisément concernent-ils?

Mgr Thils: De la comparaison du canon 833 du nouveau Code et du canon

correspondant du Code de 1917 se dégagent deux conclusions. Tout d’abord,

la différence entre les nouvelles et les anciennes prescriptions canoniques

est mineure; et celles-ci sont parfois réduites. En second lieu, les fidèles laïcs concernés ne sont pas nombreux et sont engagés dans un secteur

très limité de la communion ecclésiale. Par ailleurs, il n’y a pas lieu

d’élargir l’aire d’application de ces prescriptions: une exégèse «stricte»

a toujours été un principe d’interprétation en ce domaine.

A quelle méthode avez-vous recouru pour étudier ces nouvelles formules?

Mgr Thils: Celles qu’a utilisées la Commission doctrinale du Concile Vatican II quand, face à la somme considérable de constitutions, déclarations

et décrets, il a fallu en déterminer la «qualification théologique». Ces

enseignements sont à comprendre et à recevoir suivant des normes d’interprétation bien connues des théologiens. On les trouve expliquées dans les

traités de ceux qu’on appelle les «auctores probati»: les auteurs classiques reçus et approuvés.

A quoi cela peut-il s’appliquer ici?

Mgr Thils: En ordre principal, au troisième paragraphe de la Profession

de foi: «Tout particulièrement avec une soumission religieuse de la volonté

et de l’intellect, j’adhère aux doctrines énoncées par le Pontife romain ou

par le Collège des évêques lorsqu’ils exercent le magistère authentique,

même s’ils n’entendent pas les proclamer par un acte définitif».

De manière générale, pour la totalité des renseignements de l’Eglise, on

peut adopter la perspective suivante. Les enseignements du magistère authentique de l’Eglise constituent un ensemble gradué de déclarations requérant un ensemble tout aussi gradué d’assentiments de la part des fidèles.

Il existe des doctrines dont l’autorité est maximale, parce qu’elles sont

présentes dans la révélation, et, par ailleurs, l’on rencontre certaines

affirmations sur lesquelles le pape (même dans ses encycliques) ou le Collège épiscopal (même au concile oecuménique) n’engagent que l’autorité de

leur compétence humaine et des arguments qu’ils font valoir. Entre ces deux

formes extrêmes s’étend une gamme considérable de vérités, dont la qualification théologique est diverse, allant du jugement définitif à l’option

probable. Cette graduation a été reconnue déjà par le Concile Vatican I en

1870. Or, constater cette graduation, c’est reconnaître en même temps que

l’acceptation de ces enseignements est plus ou moins contraignante, que

leur perfectibilité est plus ou moins grande.

Commentant un passage de lumen gentium 25, correspondant au paragraphe

3 de la Profession de foi, Mgr Philips, l’un des principaux artisans de la

rédaction de cet important document de Vatican II, n’a pas hésité à parler,

à ce sujet, de situation délicate. «Nous ne pouvons passer sous silence,

écrit-il, le cas d’un chrétien compétent qui aurait des motifs sérieux de

préférer aux directives officielles une manière de penser divergente, ou

qui pourrait faire valoir des motifs fondés de laisser la question dans le

doute. Il ne saurait, avec la meilleure volonté du monde, se forcer à l’assentiment intérieur. Personne ne lui interdit d’ailleurs de continuer ses

investigations, du moment qu’il évite de jeter, par dépit ou par orgueil

intellectuel, le discrédit sur les déclarations du magistère. Rappelons

qu’il s’agit, en l’occurrence, des doctrines visées par le troisième paragfraphe de la Profession de foi.

Le Père Betti, l’auteur des considérations doctrinales qui accompagnemt

le texte des nouvelles formules, a lui aussi analysé ce passage de Lumen

gentium 25. Il relève également la graduation caractéristique correspondant

dans l’ensemble, et précise notablement les remarques faites par le commentaire de Mgr Philips.

Et le Serment de fidélité?

Mgr Thils: Le nouveau texte comporte cinq paragraphes. Dans l’ensemble,

les personnes concernées sont hésitantes à les recevoir telles quelles. Ces

personnes acceptent ce qui est affirmé, mais estiment aussi que ces données

sont incomplètes. Et, de fait, si l’on doit être d’accord avec ce qui est

énoncé, on ne peut ni négliger, ni exclure surtout, d’autres données tout

aussi fondées, complémentaires, importantes, et à les maintenir tout aussi

fermement. Les théologiens disent alors: il faut accepter ces textes sensu

positivo et non sensu exclusivo.

Pouvez-vous donner quelques exemples de semblable lecture?

Mgr Thils: Ainsi, au premier paragraphe, le fidèle promet de demeurer en

«communion» de pensée et d’action avec l’Eglise catholique. C’est là une

exigence normale. Mais, dans la doctrine catholique, la «communion» n’exclut pas, et même inclut diverses formes de pluralité au coeur de l’unité.

De même, le deuxième paragraphe rappelle aux fidèles qu’ils ont des «devoirs». Mais le nouveau Code de droit canonique traite aussi des «droits»

de tous les fidèles, et des fidèles laïcs en particulier, et l’on ne peut

exclure ce que détaille le Code de droit canonique.

Le cinquième paragraphe redit «l’obéissance» due aux pasteurs des Eglises. Mais cette obéissance n’exclut pas du tout ce que le Concile Vatican

II a déclaré sur la «fraternité» existant entre tous les fidèles, sur les

formes diverses d’action, de coopération, de concertation, d’aide que pasteurs et fidèles doivent adopter et mettre en pratique (lumen gentium, 32

et 37).

Et la conclusion…

Mgr Thils: Je vous rappelle le canon 749, paragraphe 3, du nouveau Code

de droit canonique: «Aucune doctrine n’est considérée comme infailliblement

définie que si cela est manifestement établi».

Dès lors, l’adage Sentire cum Ecclesia – avec l’Eglise – est mal compris

de celui qui déclare «infaillible» une déclaration, une doctrine, lorsque

cela n’est pas «manifestement établi». Ce n’est certes pas le danger que

court de nos temps la majorité des chrétiens. Mais, aujourd’hui comme hier,

une minorité de catholiques, assez décidée, estimant parler au nom d’une

foi pure et sans failles, en arrive parfois à certaines adhésions extrêmes

et inconditionnelles, afin de ne pas faire cautionner par l’assistance spéciale de l’Esprit Saint des enseignements qui pourraient être réexaminés,

complétés, assouplis, voire rectifiés par un autre Pontife ou par un concile oecuménique. Il ne faut pas oublier, ni gommer, les interminables controverses qui ont empoisonné et troublent encore les milieux catholiques

sur la question des libertés modernes et des droits de l’homme, depuis les

encycliques de Grégoire XVI et le Syllabus de Pie IX. (apic/cip/pr)

«La Profession de foi et le Serment de fidélité», cahiers de la Revue

Théologique de Louvain, no. 23, 1989. Librairie Peeters, 56, Grand-Rue,

1348 Louvain-la-Neuve; Faculté de Théologie, 45, Grand-Place, 1348 Louvainla-Neuve; dépôt en France: «La Procure», 3, rue de Mézières, 75006 Paris.

19 janvier 1990 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
Partagez!