Suisse: Visite de Mgr Mtanios Haddad, vicaire patriarcal melkite catholique de Jérusalem
Apic Interview
Les chrétiens doivent pouvoir rester chez eux, en Terre Sainte
Jacques Berset, agence Apic
Zurich, 27 septembre 2005 (Apic) Les chrétiens de Terre Sainte ? On s’en souvient à Noël, lors de la collecte destinée à l’Hôpital des enfants de Bethléem, ou lors de la Semaine Sainte, à l’occasion de la quête qui leur est justement destinée. Autrement, cette petite minorité qui s’amenuise constamment – 2% des chrétiens en Israël, à Jérusalem et dans les territoires palestiniens – a du mal à se faire entendre.
Cette communauté, témoin du christianisme des origines, est toujours davantage tentée par l’émigration, quand elle n’y est pas poussée par des fanatiques musulmans, des extrémistes juifs ou. des fondamentalistes chrétiens venus des Etats-Unis. Invité en Suisse par l’Association suisse de Terre Sainte (ASTS, plus connue sous son sigle allemand SHLV) basée à Lucerne, l’archimandrite Mtanios (Antonius) Haddad témoigne de la difficile réalité de la minorité chrétienne de Terre Sainte. Vicaire patriarcal grec melkite catholique de Jérusalem, Mgr Haddad est le successeur de Mgr Lutfi Laham, élu patriarche d’Antioche sous le nom de Grégoire III. Notre Interview.
Apic: On parle beaucoup de l’émigration qui décime la présence chrétienne en Terre Sainte ?
Mgr Mtanios Haddad: Nous ne sommes effectivement plus que le 2% de la population, répartis entre 13 dénominations, qui regroupent catholiques, orthodoxes et réformés. Malgré le fait que nous soyons minoritaires, nous nous rencontrons régulièrement et nous travaillons ensemble. Mais durant la deuxième intifada – la révolte palestinienne – qui a commencé en l’an 2’000, l’émigration des chrétiens a été notable. Certes, les musulmans partent aussi, mais pour nous, comme petite minorité, l’impact de chaque départ se fait douloureusement sentir. A l’heure actuelle, l’émigration touche plus spécifiquement la Cisjordanie: Jérusalem, les villes de Bethléem, Beit Sahour, Beit Jallah, dans une moindre mesure Ramallah, Taybeh.
A cause des événements – que ce soit la situation d’occupation militaire, les pressions politiques, économiques ou religieuses – des familles entières ont pris le chemin de l’exil. Mais c’est difficile à chiffrer, car nombreux sont ceux qui ont gardé une partie de leurs biens sur place. Certains veulent posséder une deuxième nationalité – américaine, canadienne, européenne – et font l’aller et retour. On espère qu’ils reviendront, mais plus le temps dure, plus ils sont tentés de s’installer définitivement à l’étranger. A Bethléem, il ne reste plus que 30% de chrétiens.
Apic: Vous plaidez pour le retour des chrétiens à Bethléem, Jérusalem.
Mgr Mtanios Haddad: Je suis pour leur retour, je n’ai jamais encouragé l’émigration des chrétiens de Terre Sainte, car le pays a besoin d’eux. La Terre Sainte ne doit pas se vider de ses chrétiens; ce ne sont pas des «pierres mortes», mais bien des «pierres vivantes», qui ont encore un rôle historique à jouer, surtout actuellement, à l’heure où juifs et musulmans réclament les lieux saints uniquement pour eux.
Notre rôle est de chercher à un peu éloigner la violence de cette terre et de faire la distinction entre le politique et le religieux. Nous avons tous le droit de vivre et de réclamer la Terre Sainte, sans exclure les autres. Nous n’avons pas la prétention de faire de la Terre Sainte un pays chrétien, nous réclamons seulement la dignité et les droits de l’homme pour tous.
Apic: Certains vous considèrent comme des «étrangers» sur la terre de Palestine.
Mgr Mtanios Haddad: Nous ne sommes pas les héritiers des croisés venus conquérir les lieux saints – comme veulent parfois le faire croire certains musulmans ou juifs, qui aimeraient nous faire passer pour des étrangers en Palestine – mais nous avons vécu sur cette terre l’an zéro du christianisme. Le jour de la Pentecôte, nous avons entendu notre propre langue.
C’est pourquoi, quand Georges Bush a parlé de partir en croisade en Afghanistan, nous en avons fait les frais. Les fondamentalistes musulmans en ont profité pour nous accuser d’être un «corps étranger» en Palestine, voire des musulmans convertis. Alors que dès le début, en particulier dès 1948, nous avons toujours été ensemble pour défendre la Palestine. Mais des deux côtés, chez les fondamentalistes – musulmans ou juifs – on nous encourage à partir, on fournit facilement de la drogue aux jeunes. Sans parler de quelques organisations évangéliques américaines pro sionistes – comme l’Ambassade chrétienne à Jérusalem – qui invoquent la «terre promise» pour les juifs, en nous incitant à émigrer.
Apic: Que fait l’Eglise concrètement pour les chrétiens de Terre Sainte ?
Mgr Mtanios Haddad: Tous les patriarcats et les Eglises chrétiennes de Terre Sainte ont des projets pour maintenir et encourager les chrétiens à rester sur leurs terres. Notre patriarcat a déjà cinq projets de logements: un projet à Beit Hanina, dans le district de Jérusalem, deux à Ramallah, un à Taybeh, un à Beit Sahour. C’est là une occasion pour les chrétiens et les non chrétiens de trouver de quoi vivre et de fournir des appartements aux pauvres et aux jeunes couples, un moyen de maintenir les chrétiens en Terre Sainte.
Les écoles chrétiennes sont un autre moyen d’offrir une alternative à l’émigration. Ainsi, à Beit Sahour, à côté de Bethléem, il reste une ambiance chrétienne et notre école accueille 93% d’étudiants chrétiens. Cette école nous oblige à de grands sacrifices, car les parents n’ont vraiment plus de quoi payer les frais scolaires. Mais l’école permet un dialogue interconfessionnel entre chrétiens: latins, grecs melkites catholiques, grecs orthodoxes et luthériens s’y côtoient dans une ambiance fraternelle. Mais soutenir une telle école, qui coûte 200’000 dollars par an, exige de grands sacrifices, car les parents ne peuvent plus payer. Nous ne survivons que grâce à la solidarité extérieure, et c’est d’ailleurs pourquoi je suis venu en Europe.
Apic: Grâce à ses institutions, les Eglises contribuent donc au maintien de la minorité chrétienne sur la terre de ses ancêtres.
Mgr Mtanios Haddad: Certes, la minorité chrétienne subit des pressions de la part des fondamentalistes islamiques. S’ils sont certes minoritaires parmi les musulmans, ces fanatiques se manifestent tout de même et aimeraient vivement que les chrétiens se convertissent ou émigrent. Mais les chrétiens résistent et n’ont pas peur, car le courant musulman majoritaire est pacifique et notre vocation est de rester comme chrétiens arabes palestiniens en Terre Sainte.
A Ramallah, notre école se situe dans une ambiance musulmane, et accueille 35% d’élèves de confession islamique. Cela favorise le dialogue interreligieux des chrétiens avec les musulmans. A l’occasion des fêtes des diverses communautés, nous expliquons mutuellement ce que nous vivons. Ainsi, nous préparons le futur.
Les cliniques – où presque tout est gratuit – sont l’exemple d’autres oeuvres prises en charges par les Eglises. Là aussi, c’est un témoignage de coexistence. Nous en avons à Beit Sahour, à Beit Hanina, à Jérusalem, à Rafidyah. Dans ce quartier, une banlieue intégrée à Naplouse, les melkites ne sont que 48, avec une église, un prêtre marié qui y vit avec sa famille. Notre clinique de Rafidyah reçoit chaque année près de 8’000 patients. L’immense majorité sont des musulmans, car pour tout Naplouse, il n’y a pas plus de 700 chrétiens de diverses confessions. Les anglicans ont un hôpital, les melkites une clinique, les latins une école. Ce sont des présences chrétiennes qui témoignent de la charité et de l’Evangile, et il faut absolument les maintenir. JB
Encadré
L’Eglise grecque melkite catholique de Terre Sainte
Les Eglises des patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, qui avaient accepté le Concile de Chalcédoine réuni en 451 avec l’appui de l’Empereur de Byzance, furent appelées melkites (»impériaux») par les monophysites. Ce qualificatif est aujourd’hui utilisé pour les seuls grecs catholiques, des chrétiens de l’Eglise d’Antioche unis à Rome depuis 1724 et qui suivent la tradition byzantine. Leur patriarche est Mgr Grégoire III (Lutfi) Laham, qui a son siège à Damas. En Terre Sainte, cette Eglise a trois éparchies ou évêchés: l’éparchie de Jérusalem (3’300 fidèles), dirigée par l’archimandrite Mtanios Haddad, dont l’église se trouve près de la porte de Jaffa; celle d’Akko (St-Jean d’Acre) pour la Galilée (68’000 fidèles) dirigée par Mgr George Haddad, administrateur apostolique, qui réside à Haïfa; et celle de Pétra et Philadelphie, pour la Jordanie (31’000 fidèles), dirigée par Mgr Georges El-Murr, à Amman. JB
Encadré
Le «mur de séparation», une pseudo sécurité qui fait obstacle à la paix
Les Palestiniens qui ont la chance d’avoir un permis pour aller travailler ou étudier doivent passer par les checks-points de l’armée israélienne, qui les tiennent enfermés dans des sortes de «bantoustans» séparés les uns des autres. De nombreux chrétiens de Bethléem n’ont jamais pu se rendre aux lieux saints, comme le Saint-Sépulcre, dans la partie arabe occupée de Jérusalem.
Ce n’est d’ailleurs pas tous les jours qu’ils peuvent sortir de Bethléem, même quand ils disposent d’un permis. Aux points de contrôle, il arrive que les soldats hébreux arrêtent les ambulances: «des femmes accouchent là, des malades meurent, bloqués devant les barrages militaires», témoigne Mgr Mtanios Haddad.
Les Palestiniens appellent «mur de la honte» cette barrière haute de 7 mètres qui les enferme et qu’Israël bâtit en bonne partie sur des terres confisquées. «Est-ce que Jérusalem, qui veut dire ’la ville de la paix’, peut s’entourer d’un ’mur de sécurité’ vu du côté israélien, mais que les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, ressentent comme un ’mur de la haine’», lance Mgr Mtanios Haddad.
«Est-ce que cette séparation va donner la sécurité au peuple juif, qui a peur, ou au peuple palestinien, qui se voit privé de tous ses droits. En fait, ce ’mur de séparation’ ne représente qu’une pseudo sécurité et je n’admets pas qu’il soit définitif, parce que s’il n’y a pas de paix à Jérusalem, il n’y aura pas de paix mondiale, poursuit-il. J’ai à coeur de voir Jérusalem comme la capitale mondiale de la paix et du dialogue interreligieux et interculturel. Je le dis à tous les côtés: quel est le Dieu qui a demandé à ses fidèles de tuer en son nom ? Nous n’avons pas le droit d’éliminer l’autre pour pouvoir vivre. Notre rôle de chrétiens sur cette Terre Sainte, c’est de rester fidèles au témoignage chrétien, d’être témoins de la charité et d’ouvrir les portes au dialogue interreligieux entre juifs, musulmans et chrétiens». JB
Encadré
L’Eglise grecque orthodoxe de Jérusalem dans la tourmente
L’Eglise grecque orthodoxe de Jérusalem – l’Eglise mère, selon la tradition – est actuellement dans la tourmente. Elle a élu en août dernier un nouveau patriarche de Jérusalem en la personne du métropolite Théophilos III, un évêque d’origine grecque âgé de 53 ans. Il succède au patriarche Irénéos 1er, destitué en mai dernier suite à un scandale de cession à long terme d’immeubles de l’Eglise à des promoteurs juifs près de la Porte de Jaffa à Jérusalem-Est.
Irénéos 1er avait dû attendre deux ans pour être reconnu par Israël. Selon une tradition remontant à l’empire ottoman, la nomination d’un nouveau patriarche grec doit être confirmée par ceux qui régissent la Terre Sainte, dans ce cas Israël, l’Autorité palestinienne et la Jordanie.
Selon des sources religieuses à Jérusalem, contrairement aux deux autres partenaires, Israël avait fait pression sur Irénéos. Ainsi, pour être reconnu, le patriarche avait dû signer de nombreux contrats, dont celui qui renouvelle le loyer du terrain sur lequel est bâti la Knesseth, le parlement israélien. Il aurait ainsi signé la vente de deux hôtels situés près de la Porte de Jaffa. Le patriarche Irénéos a affirmé qu’il n’était pas impliqué dans la transaction – certaines sources avancent la somme faramineuse de 100 millions de dollars! – et que sa signature avait été imitée par un ancien conseiller qui est en fuite et recherché par la police. Mais des sources religieuses mettent en doute cette innocence, estimant plutôt que le patriarche a dû céder aux pressions israéliennes.
Selon Atalla Hana, du clergé de Jérusalem, le nouveau patriarche – qui doit encore être reconnu par Israël – a promis aux membres du Saint- Synode et autres membres du clergé que toutes les propriétés louées aux Israéliens allaient retourner aux mains de l’Eglise. On craint que pour obtenir sa reconnaissance juridique – la seule qui lui permet de signer des actes aux yeux de la loi – Théophilos III doive lui aussi passer sous les fourches caudines. «Que Dieu ne le permette, ce serait la fin d’un patriarcat qui a 2000 ans d’âge, dont il faut respecter le patrimoine», lâche un prélat de Jérusalem, sous condition d’anonymat. JB
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Lviv: Rencontre avec Ioann Sviridov, archiprêtre du patriarcat orthodoxe de Moscou
APIC – Interview
Les milieux conservateurs le qualifient de «crypto-catholique»
De notre envoyée spéciale à Lviv, Sophie de Ravinel
Lviv, 28 juin 2001 (APIC) Sa présence à Lviv pour assister à la messe en rite byzantin présidée par Jean Paul II, le 27 juin, a fait sensation auprès des journalistes qui suivaient la visite du pape en Ukraine. Le Père Ioann Sviridov, archiprêtre du Patriarcat orthodoxe russe de Moscou, est responsable du programme orthodoxe de Radio Sofia, à Moscou. Rencontre.
En participant à la messe papale, le Père Ioann (Jean) a volontairement passé outre aux interdits du patriarche de Moscou Alexis II. Ce n’est pas la première fois que ce prêtre, accusé il y a déjà plusieurs années par les milieux orthodoxes conservateurs d’être un «crypto-catholique», affronte l’hostilité de ses confrères au sein du clergé russe. A l’époque, le prêtre moscovite – qui collabore avec l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse», déplorait l’existence au sein de son Eglise de minorités «chauvines et anti-oecuméniques» qui rêvent d’instaurer une «monarchie orthodoxe prérévolutionnaire». Aujourd’hui, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé en Russie.
Agé d’une quarantaine d’années, le Père Jean est un homme au naturel jovial et chaleureux. Il explique à la correspondante de l’APIC à Lviv pourquoi il a décidé avec son assistant à radio Sofia, le Père Innokenty Pavlov, de se rendre à Lviv, fief des catholiques «uniates» d’Ukraine, pour assister à la messe présidée par le pape, le 27 juin.
Autour de quelques verres de vodka ukrainienne, il plaisante en expliquant les raisons de son choix. A la fin de l’entretien, il déclare qu’il va peut-être «envoyer une invitation personnelle au pape pour qu’il se rende à Moscou».
APIC: Quelles sont les raisons qui vous ont incité à venir à Lviv ?
P. Ioann: Je suis venu ici pour des raisons personnelles, parce que je ne suis pas d’accord avec cette politique du Patriarcat de Moscou qui s’est battu contre la venue du pape en Ukraine. Je souhaitais aussi parler personnellement avec le pape, ce que j’ai pu faire, avec chance. En effet, j’étais dans l’assemblée et des prêtres catholiques qui sont venus de Moscou m’ont reconnu. Ils sont donc venus me chercher pour me proposer de suivre la liturgie en haut du podium.
A la fin de la messe, j’ai eu l’opportunité d’aller saluer Jean Paul II, il m’a reconnu et m’a appelé par mon prénom, cela m’a beaucoup touché. Je l’ai en effet déjà rencontré plusieurs fois, à Rome, avec Irina Alberti (une femme écrivain catholique russe récemment décédée, ndr). Je ne suis pas représentatif de tous les orthodoxes de Moscou. Mais je pense que certains orthodoxes je m’en suis rendu compte au sein du programme de radio que je dirige ont eu une attitude très positive sur le voyage du pape en Ukraine.
APIC: Qu’avez-vous pensé de cette célébration ?
P. Ioann: Il y avait tant de personnes dans cet hippodrome, plus d’un million à mon avis, pour cette grande et belle cérémonie byzantine. J’ai été très impressionné. Une célébration aussi fervente, dans la région, on ne trouve cela qu’en Pologne!
APIC: Quels fruits ce voyage pourra-t-il avoir pour l’Ukraine ?
P. Ioann: Des fruits positifs, très certainement. C’est un grand succès et une possibilité pour ce pays pauvre et cette jeune démocratie, d’avancer sur le chemin de la paix. D’un point de vue pastoral, c’est aussi un grand succès pour la pacification entre les chrétiens.
APIC: Croyez vous que le pape puisse se rendre un jour à Moscou ?
P. Ioann: Je pense que oui. Deux années devraient être nécessaires auparavant pour normaliser les rapports entre le Patriarcat de Moscou et le Saint-Siège. Je pense surtout que ce sera ce pape, Jean Paul II, qui devra s’y rendre, car c’est le premier pape slave et je connais son rêve de se rendre comme un pèlerin sur les lieux où tant de croyants sont morts sous le régime communiste. (apic/sdr/imedia/be)