Suisse: Albert Longchamp, provincial des jésuites depuis 2 mois
Apic Interview
20’000 jésuites par le monde, mais peu de relève en Suisse
Par Georges Scherrer/Valérie Bory
Zurich, 19 janvier 2006 (Apic) Albert Longchamp, jésuite et homme de médias est depuis octobre 2005 le provincial des jésuites de Suisse. Interviewé par l’Apic, l’ancien rédacteur en chef de l’Echo magazine et ancien directeur de la revue des jésuites Choisir, à Genève, fêtera le triple Jubilé de l’ordre en 2006 à Zurich, la résidence obligée du provincial. Un poste institutionnel moins exposé que ce que l’ancien journaliste a connu dans sa carrière.
Albert Longchamp fut un homme de médias pugnace. Ce qui lui a valu pendant des années une interdiction de Rome de s’exprimer sur l’Opus Dei, après avoir publié dans la revue Choisir de février 1981, qu’il dirigeait alors, une étude critique sur le thème, dont il n’était pas l’auteur. Albert Longchamp, qui a gardé un pied dans les médias, donne encore à l’Université de Fribourg un cours d’éthique des médias et garde la présidence de la Commission des médias des évêques suisses. Il fait pour l’Apic un détour par l’histoire riche et mouvementée des jésuites depuis la fondation de cet ordre, dans notre pays et au-delà. Il se penche aussi sur les défis que doivent relever les jésuites en Suisse, à commencer par la baisse des vocations. Avec un tour d’horizon des activités de l’Ordre, aujourd’hui dans le monde.
Apic. Vous avez été un homme de médias remuant. Vous voici à un tout autre poste, responsable des jésuites de Suisse.
Albert Longchamp: Oui, pendant 20 ans, j’ai été rédacteur en chef de l’Echo magazine. J’étais aussi directeur de la revue des jésuites Choisir pendant très longtemps. Le but recherché était de favoriser le débat, la discussion, en société et dans l’Eglise aussi. Cela a été un travail qui me convenait bien. J’avais autour de l’Echo magazine, d’autres activités médiatiques, que j’ai beaucoup appréciées parce que c’est cela ma vocation la plus profonde: être à la fois religieux, mais mon couvent comme je le dis souvent, c’est la rue, c’est la vie.
Apic: Quelles ont été vos relations avec les évêques suisses comme président de leur Commission des médias?
Albert Longchamp: J’aime bien dire que c’était une relation très intéressante. Les évêques ont supporté mes contestations, mes débats et jamais aucun n’a fait une menace sur ma liberté de pensée. Je l’ai toujours apprécié et je l’apprécie encore maintenant. Alors qu’il y a des gens qui me mettaient en garde: attention toi, tu vas prendre un coup de crosse.
Apic: Comment passe-t-on de Genève à Zurich?
Albert Longchamp: Le 1er mai, ou le 30 avril, à Rome, où le personnel de l’Echo m’avait invité pour fêter mon départ – j’ai quitté mon journal. Et le 17 octobre après un petit temps de réadaptation je suis devenu provincial des jésuites, à Zurich. La province suisse étant une province triculturelle avec également des missions. Une province au sens de l’organisation de la compagnie, c’est un pays ou une fraction de pays
Nous avons à charge en tant que provinciaux les personnes liées à l’Ordre que nous allons voir au minimum 1 x par an. Pour une visite qui s’appelle de conscience. Le provincial a aussi la responsabilité sur toutes les activités, sur les maisons que gèrent les jésuites, tout un travail de vigilance, y compris sur l’aspect financier. Cela recouvre aussi des questions comme comment compléter les équipes avec du personnel laïc – dans la plupart de nos maisons on travaille beaucoup avec des personnes de l’extérieur, surtout dans les collèges et universités, où 90% du personnel est non jésuite.
Apic: «Aimer et servir», comment actualisez-vous cette devise des jésuites.
Albert Longchamp: Aimer et servir Dieu et le monde.Toujours les deux. Avec un fort accent sur Foi et Justice. Autrement dit, impossible de croire en Dieu si on ne crée pas les conditions de base pour l’Evangile, dans la société actuelle, et si on ne contredit pas les situations injustes. L’une des oeuvres internationales de la compagnie de Jésus actuellement le plus en croissance, c’est le Jesuit Refugee Service. Un service auprès des réfugiés, qui avait été créé par le Père Arupe, supérieur général, il y a 25 ans. C’est très typique des valeurs que nous voulons porter aujourd’hui. Le monde est à nos yeux un monde porteur. Porteur de grandes valeurs, de grands défis et de grands désastres. Ainsi, la pauvreté.
Mais nous aimons le monde et nous essayons d’être aussi des acteurs, dans la société. Aussi au niveau des sciences. Voilà pourquoi un quart des jésuites dans le monde est dans l’enseignement et la recherche.
Apic: Comment se porte la relève?
Albert Longchamp: En Europe occidentale, nous sommes certainement en diminution de nombre, donc d’influence et de présence, peut-être même de créativité. En revanche en Asie, je pense surtout à l’Inde mais aussi à l’Indonésie, aux Philippines et à d’autres pays, nous avons une présence qui s’affirme. Même dynamisme, je dirais, en Afrique, avec aussi des problèmes. Qu’est-ce qui motive des jeunes gens à entrer dans cet ordre religieux? La réponse est diverse: dans certains pays, c’est aussi une ascension sociale, une sécurité.
Chez nous au contraire, du fait que nous sommes tellement diffusés dans la société, on ne nous voit pas beaucoup, et c’est un problème pour le recrutement des vocations. Il y en a davantage pour les ordres contemplatifs, les moines par exemple. Peut-être aussi que cela paraît trop risqué de s’engager dans un absolu. Les jeunes aujourd’hui ont peur de la durée. Nous sommes environ 80 en Suisse, mais nous avons encore beaucoup de forces à venir, des jeunes qui sont actuellement dans la formation, qui est très longue chez les jésuites. Il faut compter 12, 15 ans. Avec aussi une formation pratique, des stages. Nous avons 3450 institutions ou établissements éducatifs dans le monde. On est encore engagés dans 2650 écoles appelées Faith and alegria.
Apic: En Suisse, depuis 1973 vous êtes un ordre bien reconnu?
Albert Longchamp: Oui, notre situation est celle d’un ordre religieux comme les autres. Mais 1973, c’est très récent. Avant, c’était la fameuse interdiction. Nous avons été, depuis le Sonderbund interdits d’enseignement, de présence dans notre propre pays.
Notre Province a été créée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale et… dans la clandestinité. (Les jésuites suisses furent en effet bannis de la Confédération en 1848, accusés d’avoir fomenté le Sonderbund. Leur «exil» a duré jusqu’à 1973). Je suis le premier jésuite ordonné prêtre, le 30 juin 1973, après l’abolition de l’article constitutionnel interdisant l’activité des jésuites en Suisse. Mais l’application du «bannissement» était assez souple pourvu que nous n’ouvrions point de collèges et que notre présence se fasse discrète. En fait clandestinement on a recommencé à vivre. Ceux qui voulaient devenir jésuites ont pu rester en Suisse à partir de la seconde guerre mondiale. Mais on y a pris des habitudes de clandestinité et de discrétion. Ne serait-ce aussi à cause du fait que nos communautés sont faites pour être dispersées, pour être dans l’activité, dédiées à des services, multiples.
Apic Un changement symbolique est intervenu avec la restitution aux jésuites de l’Eglise baroque des jésuites de Lucerne?
Albert Longchamp: Oui, c’est une petite nouveauté que notre retour à Lucerne à partir du 1er janvier 2006, où mon prédécesseur le Père Hansruedi Kleiber, ancien provincial suisse des jésuites, est devenu recteur de l’Eglise des jésuites, édifiée entre 1666 et 1672. Un symbole. C’est la fin de la guerre, puisque l’un des résidus de cette guerre, c’est que l’Eglise nous avait été enlevée. Elle ne nous est pas rendue, heureusement, dans le sens où l’Etat s’en charge beaucoup mieux que nous! Ce n’est pas une Eglise paroissiale, mais une église avec des activités culturelles et spirituelles multiples sans parler de tous les visiteurs. Et donc voilà ce qui va nous réintégrer dans l’Histoire. Très riche histoire en Suisse, à Porrentruy, Brigue, au collège St Michel, à Fribourg. Nous y avons tissé une présence qui était dès le 16e siècle, très importante.
Apic: Un de vos lieux spirituels et lieu de formation qui rayonne, c’est Bad Schönbrunn, à Edlibach dans le canton de Zoug.
Albert Longchamp: Oui, nous avons créé des maisons de retraite spirituelle, comme Notre Dame de la Route à Villars-sur-Glâne ou Bad Schönbrunn. Bad Schönbrunn devait être à la base un lieu d’exercice spirituel ignacien. Avec le temps, et avec l’impulsion du Père Niklaus Brantschen, d’origine valaisanne, est entrée à Schönbrunn le courant Zen. (Ndlr. Niklaus Brantschen, jésuite et maître zen codirige dirige la maison Lassalle, «centre de spiritualité et de formation de la conscience sociale» ainsi que l’»Institut pour la promotion de la spiritualité en politique et en économie» -ISPW-, une offre de cours destinée aux dirigeants, «pour agir sur leur conscience») L’Institut attire beaucoup de monde. Des hommes et des femmes d’affaires, surtout qui veulent aussi des valeurs et une large ouverture au débat. L’évolution actuelle conduit cette maison vers le pluri religieux.
Apic: Quels sont les autres engagements importants des jésuites en Suisse?
Albert Longchamp: Ce sont les aumôneries universitaires à Bâle, Zurich, Berne, Genève et peut-être Lucerne fin 2006. Ainsi que les foyers d’accueil des étudiants. St Boniface, à Genève, a 120 chambres à peu près. 7 à 10 religions y représentées. Nous y tenons car comme nous avons perdu l’enseignement en Suisse et que nous n’avons pas la force de le reconstituer, malgré les demandes, on a trouvé ce biais pour réaliser une partie de notre vocation. C’est-à-dire la relation avec la jeunesse de toutes confessions. A Genève, c’est Luc Ruedin qui est aumônier à l’Université. A Zurich nous donnons plutôt aux étudiants une offre spirituelle, cultuelle, avec une messe presque tous les jours pour une minorité qui grandit quelquefois, mais nous sommes là au coeur de la vie universitaire. Et nous avons une magnifique terrasse qui est envahie l’été par les étudiants qui viennent y manger. Il n’y a pas de frontière entre l’Université et notre maison. Et ça c’est typiquement jésuite. On va peut-être accueillir des gens qui vont beaucoup nous occuper mais qui ne seront jamais catholiques et peut-être même jamais croyants.
Nos deux revues, Orientierung en Suisse alémanique et Choisir en Suisse romande, sont aussi des lieux qui rayonnent car en publiant une revue, on est très souvent appelé à faire des conférences, à entrer dans des débats.
Apic: Et la mission?
Albert Longchamp: Nous collectons des fonds pour les stations missionnaires où nous avons été engagés ou le sommes encore. Les jésuites suisses ont été très présents en Inde, et surtout sur la côte occidentale Poona-Goa, au sud de Bombay. C’était une vraie mission, mais maintenant ce sont des provinces indépendantes, qui ont encore besoin de forces financières. Nous avons encore quelque jésuites en Indonésie et, cas très particulier, un autre à Pékin, qui vit dans un appartement de notre province, le Père Stefan Rothlin, un Suisse, professeur d’économie chinoise à l’Université de Pékin et qui parle chinois. Nous soutenons aussi des gens qui ont besoin de nous en Afrique, en Pologne, etc.
Apic: L’année 2006 sera ignatienne…
Albert Longchamp: Une année ignatienne oui, parce qu’il y a 3 anniversaires. C’est le 500e anniversaire de la naissance de St François Xavier, de Pierre Favre, le bienheureux, beaucoup moins connu, et qui vient lui de Haute Savoie. Et le 450e anniversaire de la mort de St Ignace de Loyola. Ce sont vraiment les trois premiers «compagnons». Ils se sont trouvés à Paris. Ignace était beaucoup plus âgé que les deux autres. Xavier était un bouillant; Pierre Favre sera le premier prêtre jésuite, avant Ignace, un tempérament plus réservé, même un peu dépressif. Ignace a eu une vie tumultueuse, brisée par un coup de canon à Pampelune. Après avoir échoué partout, à 35 ans il s’est dit: il faut que j’étudie le latin, les arts, la théologie.C’est lui qui va rassembler ce petit noyau, à Paris. Quand ils arrivent au bout de leurs études, ils font les 3 voeux: pauvreté, chasteté, pas encore vraiment obéissance, mais le voeu d’aller à Jérusalem. Et ils se donnent rendez-vous en 1537 à Venise pour partir.
Ils seront finalement 10. A cause de la guerre avec les Turcs, ils ne peuvent pas partir à Jérusalem. Ils iront donc à Rome dire au pape: «Voilà nous sommes un petit groupe, nous voulons servir Jésus Christ dans l’Eglise – ils soulignent 3 x, car c’est un temps de réformes». En 1540, Paul II accepte qu’ils deviennent un ordre religieux. Ils inventent ce nom, Compagnie de Jésus, qui paraissait bien audacieux – tout chrétien est compagnon de Jésus – mais ça a été accepté et l’Ordre créé en 1540. Maintenant nous sommes 19’850 dans le monde, Pères, frères et étudiants – en Allemagne surtout. (apic/gs/vb)
Sigi Feigel, président de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme
Apic – Interview:
Il existe encore trop de grossièretés politiques dans notre pays
Josef Bossart / traduction Bernard Bovigny
Zurich, 10 octobre 2003 (Apic) Combattre les préjugés racistes par la provocation. Tel est le but de la campagne d’affichage lancée début octobre en Suisse allemande et qui devrait atteindre sous peu la Romandie. Cet humour au deuxième degré, peu apprécié par certains milieux concernés, vise en premier «ceux qui ne racontent pas des blagues xénophobes, mais ne se gênent pas pour en rire», soutient Sigi Feigel, un des principaux initiateurs de cette campagne.
Lui-même juif, âgé de 82 ans, Sigi Feigel préside depuis 25 ans la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme, auteur de cette campagne controversée. Il a répondu le 8 octobre aux questions de l’Apic.
Apic: D’abord faire rire les destinataires avant de provoquer la réflexion. Pourquoi avoir choisi un style si provoquant pour cette campagne contre le racisme et l’antisémitisme?
Sigi Feigel: Que faire d’autre? Nous avons déjà organisé des conférences, produit du matériel pédagogique, travaillé avec les Eglises. Malgré tout cela, nous connaissons encore trop de grossièretés politiques dans notre pays, et il est nécessaire de prendre une fois la parole contre elles. Autrement dit: il faut se montrer grossier avec qui est grossier.
Cette fois, nous ne lançons pas une campagne bon-enfant, et nous disons: «C’est ainsi que des ragots stupides sont véhiculés en Suisse sur les étrangers ou les noirs, et c’est ainsi qu’il en est en réalité». Mais trouver les bons sujets est naturellement difficile. On peut effectivement discuter pour savoir si cette campagne est réussie ou non.
Apic: Lorsque vous évoquez des «grossièretés politiques», vous pensez peut- être à des campagnes de l’Union Démocratique du Centre (UDC) qui s’en prennent de préférence aux étrangers .
S.F: Non, je pense à des grossièretés en général, véhiculées dans le monde politique. Nous sommes des membres responsables d’un Etat démocratique. Si nous voulons transmettre cette valeur aux générations futures, nous devons apprendre à réfléchir par nous-mêmes, à porter un jugement sur les comportements, mais en aucun cas à utiliser des préjugés!
Apic: Beaucoup craignent que la campagne ne provoque un autogoal, à savoir qu’elle renforce les préjugés chez certains .
S.F: Cela est tout à fait possible. Mais c’est un risque à prendre. Ce que nous voulons, c’est amener la discussion et susciter l’attention sur cette problématique. Et nous voulons montrer que notre pays ne présente pas que des affiches avec des agresseurs au couteau, et qu’il faut compter avec d’autres forces (NDR: L’UDC avait publié en 1993 une annonce montrant un homme agressant une femme avec un couteau. Le dessin était accompagné de ce texte: «Ca, nous le devons aux gauchistes et aux «gentils»: davantage de criminalité, de drogue et de peur»)
Apic: La Suisse vit actuellement un campagne électorale, marquée le 19 octobre par les élections au parlement fédéral. Avez-vous délibérément choisi ce moment pour lancer votre campagne?
S.F: Non, c’est une pure coïncidence. Mais nous avons de la chance. Nous travaillons depuis longtemps sur cette campagne, car nous sommes une fondation et non des spécialistes de la communication. L’agence publicitaire Wirz à Zurich, qui a conçu la campagne, a travaillé gratuitement pour nous. Cela est très heureux, car nous n’aurions jamais pu nous permettre une telle dépense.
Apic: Et pourtant la Confédération finance votre campagne à hauteur 200’000 francs, notamment à travers le Service de lutte contre le racisme.
S.F: C’est vrai, mais notre fondation a dû débourser le double.
Indication: D’autres informations sur cette campagne sont disponibles sur le site www.gra.ch
(apic/job/bb)