Ethiopie: Avec les spiritains du Gamo Gofa, la mission prend un visage oecuménique
APIC Reportage
La mission catholique au service des orthodoxes dérange
Jacques Berset, agence APIC
Arba Minch/Addis Abeba, 22 novembre 2002 (APIC) Des religieuses orthodoxes éthiopiennes hébergées à la Mission catholique de Sawla, leur couvent financé par les OEuvres d’entraide catholiques Aide à l’Eglise en Détresse et Missio, des missionnaires catholiques qui aident l’Eglise orthodoxe à évangéliser. Décidément, les spiritains du Gamo Gofa, au sud-ouest de l’Ethiopie, ne font rien comme les autres. Ils dérangent la hiérarchie locale. Notre reportage.
«Ceux-là ne convertissent pas au catholicisme.». Abba Kidane Gebray hoche la tête, sceptique. Pensez donc: des missionnaires catholiques qui en trois décennies ont contribué – financièrement aussi – au développement de 120 paroisses. orthodoxes.
De quoi susciter bien des interrogations du côté de la minorité catholique qui représente moins de 1% des 60 millions d’Ethiopiens, qui sont en grande majorité, et à parts égales, orthodoxes ou musulmans. Et une méfiance certaine – on craint le prosélytisme catholique comme la peste! – de la part de la très ancienne Eglise éthiopienne, qui resta durant des siècles isolée sur les hauts plateaux. Son premier évêque fut le Syrien Frumentius, qui reçut au IVe siècle à Axoum le titre d’Abba Salama, le «père de la paix», ou encore celui de «révélateur de lumière».
Revêtu d’une longue soutane noire et de la coiffe traditionnelle des prêtres éthiopiens, le Père Kidane, un Tigréen au port altier, se tient sur la porte de l’archevêché catholique d’Addis Abeba. Il ne comprend pas notre intérêt marqué pour l’expérience oecuménique menée par les spiritains du Gamo Gofa et du Sud Omo, la région du vicariat apostolique de Soddo- Hosanna confiée depuis 30 ans aux missionnaires du Saint-Esprit. De solides Irlandais chassés par la guerre du Biafra s’y installent au début des années 70 dans le but d’évangéliser des populations tribales animistes.
Cette poignée de missionnaires, comme nous le verrons bientôt, changent rapidement leur fusil d’épaule, car la région n’est pas vide de chrétiens à leur arrivée. Comme ils ont étudié les documents de Vatican II sur l’oecuménisme, ils considèrent très vite l’Eglise éthiopienne comme une Eglise soeur. Elle a réussi à se maintenir pendant plus de 400 ans dans la région, séparée de ses racines situées loin dans le nord du pays.
Dans la vallée du Rift, sur la route de Sawla
Sur la longue piste qui nous amène à la Mission de Sawla par la profonde vallée du Rift écrasée par le soleil, le véhicule piloté par le Père Philippe Sidot soulève un nuage de poussière. Il zigzague entre les troupeaux de vaches et les litanies de femmes courbées sous de lourds fagots de bois. Le faranji, l’étranger qui débarque pour la première fois sur les hauts plateaux éthiopiens, est impressionné. Il va découvrir, sur des centaines de kilomètres, le spectacle d’un peuple qui marche du matin au soir: pour aller chercher l’eau, le bois pour cuisiner, se rendre aux champs, au marché, à l’école. L’hôpital est souvent à des dizaines de kilomètres, alors familles et voisins se relaient pour porter la civière du malade ou du blessé sur les épaules. Les paysages sont grandioses, mais la misère palpable le long du chemin.
Originaire de Metz, Philippe Sidot est depuis deux ans curé de la paroisse d’Arba Minch, «quarante sources» en langue amharique, au bord des deux lacs les plus méridionaux de la vallée du Rift éthiopien. La localité qui surplombe les lacs Chamo et Abaya, est située à quelque 500 km d’Addis Abeba, dans le Parc national de Nechisar. Le spiritain français est en charge d’une petite communauté d’une soixantaine de fidèles catholiques, dont 50 étudiants, et de la mission catholique de Chencha, située à plus de 3’000 m d’altitude.
Mais la plupart de son temps, ce solide Lorrain de 38 ans le consacre au projet pastoral oecuménique de l’Eglise orthodoxe éthiopienne. Il est en effet également le coordinateur pastoral du Gamo Gofa, une région de la grandeur de la Belgique, qui fait frontière avec le Kenya au sud et avec le Soudan à l’ouest. La zone, très diversifiée du point de vue ethnique et culturel, compte près de deux millions d’habitants. Ils se partagent entre ethnies vivant sur les «hautes terres» (entre 2’500 et 3’000 m d’altitude) et tribus des «basses terres» semi-désertiques du Sud Omo: Hamer, Geleb, Mursi, Dime, Ari et Malle, qui sont des éleveurs semi- nomades que l’Eglise orthodoxe tente d’évangéliser depuis quelques années.
Missionnaire dans cette région ? «C’est assez sportif!». Il faut être un chauffeur hors pair: le 4×4 est indispensable. En saison des pluies, certaines pistes sont impraticables. Les diacres employés par le projet pastoral du Père Sidot se déplacent souvent à pied sur de grandes distances, à moins qu’ils aient la chance de disposer d’une moto.
Aider l’Eglise orthodoxe à évangéliser ou faire de «bons catholiques»
Quelle idée d’aller servir l’Eglise orthodoxe, plutôt que de convertir les gens et faire de bons catholiques! L’évêque local est un capucin italien de 76 ans, depuis une vingtaine d’années à Wolayta Soddo. Mgr Domenico Marinozzi ne partage pas la vision de l’évangélisation des spiritains. La nonciature non plus. Prétextant leur petit nombre – Philippe Sidot est seul sur ce vaste territoire avec le Père John Skinnader, en attendant l’arrivée prochaine d’un troisième confrère irlandais – le vicariat et le nonce ont décidé de faire venir d’autres missionnaires dans le Gamo Gofa. Les spiritains, en accord avec le Saint-Siège, s’étaient engagés par contrat avec le vicariat de Soddo-Hosanna à faire de l’évangélisation catholique, mais seulement là où l’Eglise orthodoxe n’est pas présente.
Avec l’archevêché orthodoxe du Gamo Gofa, les spiritains ont également signé un engagement pour soutenir l’activité apostolique de l’Eglise éthiopienne dans le domaine du renouveau paroissial, de la catéchèse et de la formation du clergé, des prédicateurs et des chefs de communauté. L’évangélisation dans les coins les plus reculés des montagnes et auprès des tribus nomades est menée par une quarantaine de prédicateurs orthodoxes soutenus par les missionnaires catholiques. Cinq diacres orthodoxes agréés par leur l’archevêque ont été engagés par les spiritains pour mener à bien un programme oecuménique de longue haleine.
«Apparemment, le vicariat nous laisse continuer le travail commencé depuis 30 ans avec les orthodoxes. Du moment que d’autres missionnaires feront de l’évangélisation catholique. au risque de mettre en péril la relation de confiance établie avec l’Eglise éthiopienne après des années de dialogue. Si une concurrence s’installe, souligne le Père Sidot, nous serons complètement discrédités aux yeux des orthodoxes du Gamo Gofa, et cela aura des répercussions négatives à long terme dans les relations oecuméniques au niveau national!»
Les orthodoxes commencent à s’ouvrir, mais la méfiance reste
Dépassant des années de méfiance, l’attitude vis-à-vis de l’Eglise catholique a fini par changer favorablement, même si la situation reste fragile. «Bien que nous fassions tout pour aider l’Eglise éthiopienne, nous sommes occasionnellement exclus des célébrations publiques orthodoxes. Nous sommes encore perçus comme une menace par certains qui ne comprennent pas nos motivations missionnaires», lâche Philippe Sidot.
Aux yeux des spiritains, forcer une évangélisation classique, pour ne pas dire «catholique», serait périlleux. «Au plus haut niveau, l’Eglise catholique nous encourage à apprécier les traditions de l’Eglise orthodoxe, ses trésors de spiritualité, sa belle liturgie. Notre approche missionnaire est basée sur la reconnaissance de l’Eglise éthiopienne comme Eglise soeur, il ne faudrait pas remettre cela en cause en cherchant à récupérer des fidèles».
Dès leur arrivée dans le Gamo Gofa, les spiritains font une étude attentive de leur zone de mission, et s’aperçoivent que les chrétiens orthodoxes y sont implantés depuis longtemps. En fidélité avec les documents du Concile Vatican II sur l’oecuménisme, comme «Unitatis Redintegratio», et dans la ligne du récent document de Jean Paul II «Ut unum sint», les missionnaires irlandais décident de proposer un témoignage commun. Venir évangéliser ne signifie pas pour eux faire du prosélytisme au milieu des fidèles d’une Eglise soeur dont les sacrements sont reconnus. Il serait d’ailleurs suicidaire de diviser les chrétiens alors que l’islam, soutenu financièrement par les pays du Golfe, est de plus en plus visible, et plante ses nouvelles mosquées au coeur des quartiers chrétiens.
Une histoire de désunion et de traîtrise
Quand arrive le Père Owen Lambert au début des années 70, il découvre l’existence d’une vieille chrétienté à l’occasion du pèlerinage de Saint-Gabriel, à deux jours de marche dans la montagne. A sa grande stupéfaction, le voilà en présence d’un rassemblement de 50’000 pèlerins. Il révèle à ses confrères l’existence d’une Eglise locale dynamique, vivante.
«Les orthodoxes, au début, n’ont pas compris notre présence, car l’histoire de désunion entre l’Eglise orthodoxe éthiopienne et l’Eglise catholique est encore bien présente à l’esprit. Aujourd’hui encore, la réconciliation reste un travail de longue haleine, vite fragilisé. Les relations entre catholiques et orthodoxes en Ethiopie sont caractérisées par des souvenirs de traîtrise et des tentatives de conversion par les jésuites portugais au XVIe siècle. Cet épisode s’est terminé dans le sang. N’oublions pas que l’Eglise éthiopienne est là depuis le IVe siècle et qu’elle a résisté à la pénétration de l’islam en se réfugiant sur les hautes terres du nord. Mais elle est ainsi restée isolée durant des siècles sans contacts avec l’extérieur. D’où la méfiance face au prosélytisme!»
Des soeurs orthodoxes qualifiées de «traîtres»
Après une journée de route, nous voilà arrivés dans la localité de Sawla, à 2’000 m d’altitude, alors que les derniers rayons de soleil dardent les murs du couvent orthodoxe en construction. «Depuis Sawla, Arba Minch n’est qu’à une septantaine de km à vol d’oiseau, mais je suis obligé de faire plus de 300 km pour contourner un massif montagneux, le Mont Guge, qui culmine à 4’200m. C’est plutôt physique!».
Les visiteurs sont accueillis à la Mission par les diacres orthodoxes Lamlak et Ayalkebet, et par Soeur Meret, une religieuse orthodoxe hébergée avec des consoeurs dans la concession catholique. Elles ont lancé il y a deux ans leurs premières activités sociales en faveur de la population de Sawla: jardin d’enfants, école de couture et cours de dactylographie. Les spiritains avaient été sollicités par les soeurs du monastère de Sabata, près d’Addis Abeba, qui appréciaient vivement leur orientation pastorale.
«Il y a quelques années, les soeurs orthodoxes elles-mêmes étaient victimes de tracasseries de la part de la population de Sawla qui les considérait comme des «traîtres» car elles travaillaient avec les catholiques; elles ont même été la cible de jets de pierre. C’est pour leur sécurité qu’elles sont venues vivre, en attendant, dans la maison des soeurs à la mission catholique, qui était inoccupée», relève le Père John Skinnader. Après quelques temps, les religieuses orthodoxes ont été reconnues et sont désormais très appréciées.
Aujourd’hui, les premiers bâtiments du couvent, financé par les oeuvres d’entraide catholiques Aide à l’Eglise en Détresse, Missio Aix-la- Chapelle et Missio Munich, mais aussi par l’archidiocèse de Cologne et l’oeuvre d’entraide catholique autrichienne DKA, sont déjà sortis de terre. D’ici à Noël, la situation sera normalisée, car les soeurs vont pouvoir emménager dans leur propre monastère, où leur maison d’habitation est terminée. Elles transféreront leurs activités sociales dans la halle polyvalente du couvent. Les missionnaires spiritains, quant à eux, ont décidé de se placer un peu en retrait. L’Eglise orthodoxe doit s’identifier davantage au projet et prendre en charge la poursuite de la construction.
Comme le veut la tradition éthiopienne, c’est la communauté qui bâtit elle-même son église, qui deviendra le centre de la vie ecclésiale. Les missionnaires catholiques ont refusé de financer d’un coup la construction. Ils n’aideront que par la fourniture de sacs de ciment, de sable et de tôles ondulées pour le toit. «L’aide ne viendra qu’à partir du moment où la communauté décidera la construction.Il faut que la communauté s’approprie le monastère en tant que projet de l’Eglise orthodoxe.»
Pour que le lieu soit définitivement reconnu comme «orthodoxe», il a été décidé de construire dans l’enceinte du couvent un «Bethléem», c’est-à- dire le petit bâtiment situé à l’Orient de toute église orthodoxe. C’est là que les diacres éthiopiens préparent le pain et le vin pour la célébration de l’Eucharistie. Traditionnellement, on commence toujours la construction d’une église par ce petit édifice, où l’on place provisoirement le «tabot». Ce coffret figurant l’Arche d’Alliance, placé sur l’autel, contient les Tables de la Loi. Caché aux yeux des fidèles, il est abrité dans le «maqdas», le saint des saints réservé aux seuls célébrants. Quand le «tabot» sera installé, conclut Philippe Sidot, les orthodoxes se seront alors définitivement appropriés le monastère de Sawla. «Mission accomplie». JB
Encadré
Evangélisation de rue avec les jeunes protestants
Philippe Sidot est issu d’une famille catholique pas très pratiquante. Lors de son déménagement à Valence, dans la Drôme, en 1977, il cherche à s’engager dans la paroisse catholique locale, mais l’accueil est plutôt froid. Ce qui le pousse avec son frère et sa soeur à rejoindre un groupe de jeunes de l’Eglise protestante, pour faire de l’évangélisation dans la rue. Mais l’étudiant choisit finalement le scoutisme et reste, contrairement à son frère et à sa soeur, dans l’Eglise catholique.
En alternative à l’armée, Philippe Sidot fait son service civil au sein d’une association chrétienne, le Service de coopération au développement (SCD) à Lyon. Il est envoyé au Gabon, à Lebamba, à 650 km de Libreville, pour s’occuper des jeunes au sein d’une mission et des écoles catholiques. C’est là qu’il rencontre les Pères missionnaires spiritains.
L’oecuménisme a toujours été au coeur de son engagement. A Clamart, dans la banlieue parisienne, il est impliqué, comme séminariste, dans un stage pastoral de deux ans au sein d’une paroisse de l’Eglise réformée, dirigée par une pasteure hollandaise. Malgré la méfiance initiale, «ce fut cependant une expérience merveilleuse et beaucoup de malentendus et d’idées préconçues sur nos deux Eglises respectives ont été clarifiés… Je participais aux liturgies du dimanche avec les protestants, complètement inséré, mais je ne pouvais participer à la Sainte Cène, et cela nous faisait mutuellement souffrir. Cela a mûri mon engagement oecuménique», témoigne le P. Sidot. Comme il cherchait un projet d’orientation oecuménique, il a «flashé» pour la mission du Gamo Gofa. JB
Pour aider le couvent orthodoxe de Sawla: ’Aide à l’Eglise en Détresse Suisse, Cysatstrasse 6, 6000 Lucerne 5. Tél. 041 410 46 70 CCP 60-17700-3 e-mail: kinophch@tic.ch
Photos de ce reportage: Jacques Berset, agence APIC, téléphone 026 426 48 01, fax 026 426 48 00, e-mail apic@dm.krinfo.ch (apic/be)
APIC – Reportage
L’»homo sovieticus» à la recherche de son âme (150793)
L’Evangile sur les ondes étatiques de l’ex-URSS
Jacques Berset, Agence APIC
Lviv, 15juillet(APIC) Après l’euphorie qui a accompagné le dépeçage de
l’URSS, à l’instar des autres pays nouvellement souverains, l’Ukraine a la
gueule de bois. L’indépendance se paie au prix fort: 1’000 ou 2’000 o/o
d’inflation, 15 ou 20 % de chômeurs, des autorités elles-mêmes dans l’incapacité de chiffrer l’ampleur du désastre. Un désastre d’abord humain et moral auquel veut faire face une campagne catholique de réévangélisation par
les ondes à travers toute l’ex-URSS.
Au film «soft porno» sur RTL succèdent, commentées en allemand, les images du Tour de France sur la chaîne sportive, puis le visage ripoliné d’un
télévangéliste californien devant sa cathédrale de verre, dont la prédication est doublée en ukrainien. Sur une autre chaîne, les vidéo-clips sophistiqués des groupes rocks anglo-saxons donnent du monde une image psychédélique, tandis que le dernier canal offre des plans fixes d’»apparatchiks» au discours politique stéréotypé.
A une table voisine, au restaurant de l’Hôtel Dniestr, dans une ambiance
restée «soviétique», des jeunes filles au joli minois boivent force champagne et dépensent en un instant l’équivalent d’un salaire mensuel moyen
(45’000 «coupons», soit 15 dollars!). A quelques pas, des maquereaux rabattent le client, touriste ou autochtone argenté. Ambiance mafieuse.
Un week-end comme les autres dans cette ville de Lviv, ancienne perle de
l’empire autrichien, à l’extrême ouest de l’ex-empire soviétique ? Pas pour
la jeune équipe de «Radio Voskresynnia» (Radio Résurrection), qui inaugure
solennellement en ce 10 juillet les locaux flambant neufs de son studio. Sa
mission, offrir l’Evangile à «l’homo sovieticus», héritier de l’absence
d’éthique et du vide idéologique laissés par l’effondrement du communisme.
Une «dévastation spirituelle»
«Les gens ici ont été dévastés du point de vue spirituel. On le remarque
dans toutes les choses de la vie; il n’y a pas de constance, de culture sociale, de respect de soi-même et des autres… Le Belgo-ukrainien Michel
Dymyd, de Charleroi, est depuis le début la cheville ouvrière de «Radio
Voskresynnia», dont les programmes en langue ukrainienne sont diffusés depuis le 1er avril par la radio d’Etat ukrainienne. Les émissions quotidiennes sont désormais produites à Lviv, sur le terrain, et non plus en Occident. C’est en 1989, sous les auspices du Catholic Radio Television Network
(CRTN) à Bruxelles, que «Radio Voskresynnia» a commencé à diffuser ses
émissions sur les ondes courtes de Radio Monte Carlo.
Docteur en droit canon oriental d’origine ukrainienne – son père, travailleur forcé déporté en Allemagne durant la guerre, a été ensuite mineur
de fond en Belgique – M. Dymyd porte un regard sévère mais lucide sur sa
patrie. Il a choisi d’y vivre il y a deux ans et s’est marié avec une peintre d’icônes de Lviv. Ils sont ainsi une poignée, venus de la diaspora
ukrainienne de l’Ouest, à mettre leurs talents au service de l’Eglise gréco-catholique (uniate) d’Ukraine.
«Les gens ici ne savent pas travailler…»
«Il y a une typologie particulière ici, note-t-il, celle de l’»homo sovieticus»: les gens ne savent pas travailler, ils pensent que l’interlocuteur est là pour profiter d’eux; il n’y a pas de confiance de base dans les
rapports humains, tout ce qui appartient à l’Etat, on peut le voler. Aucun
respect des institutions. Allez voir les WC, ce n’est souvent même pas pour
les animaux. Et pourtant, la société communiste exaltait la solidarité…
Il y a 200 millions de personnes de ce type dans l’ex-URSS. Même des gens
engagés dans l’Eglise manquent d’une éthique conséquente, il faudra une génération pour changer cette mentalité».
Pour le jeune théologien gréco-catholique, l’attitude des gens prouve
que l’homme ici est dévasté, parce qu’il peut, à l’extérieur, dire des choses extraordinaires, faire semblant d’être saint, et à l’intérieur, avoir
une toute autre personnalité. «Même ceux qui fréquentent les églises, dans
leur grande majorité, ne sont plus les mêmes quand ils sortent de la prière. Ils retombent dans les travers quotidiens: travail au noir, corruption,
vol des biens publics, absentéisme. C’est le règne du double jeu, le dédoublement de la personnalité. Il fallait bien survivre sous la répression,
mais aujourd’hui, ce qui est mal, c’est que cette attitude persiste. Très
difficile par conséquent de construire une nouvelle société».
«On vivait mieux au temps de Brejnev!»
Alcoolisme, prostitution, banditisme, comportements mafieux, on ne fait
pas cent mètres dans les rues de la métropole galicienne, à n’importe quelle heure du jour, sans tomber sur l’un de ces phénomènes. «Je me suis fait
voler au moins dix fois depuis que j’habite ici». Dans la rue, face à la
mairie, un homme vieilli par les épreuves de la vie, récupère les mégots
jetés par les passants qui vont s’entasser dans le vieux tramway brinquebalant. Appuyé contre le mur, il recompose une cigarette avec les déchets de
tabac ramassés entre les pavés inégaux. Sur le trottoir, un ivrogne avance
en titubant, le visage tuméfié, tandis qu’une femme mendie, assise dans la
poussière, avec un bébé mal soigné dans ses bras. «On vivait mieux au temps
de Brejnev, davantage à manger, plus d’ordre, moins d’insécurité!», lance
en signe de défi un vieil homme qui arbore une médaille soviétique sur son
veston élimé… Des jeunes passants sont d’un tout autre avis. La liberté,
le sentiment d’être «chez soi», cela compte bien plus!
Les autorités ne trouvent pas davantage grâce aux yeux de Michel Dymyd.
Incompétentes, elles savent bien parler devant les étrangers, mais quand il
s’agit de faire quelque chose de pratique, il n’y a plus personne. «Pour
notre radio, comme pour l’Eglise, elles pensent que c’est une bonne vache à
traire, qui peut leur procurer des dollars. Ce sont des gens du type soviétique, souvent des anciens apparatchiks. Certes, ils ont été élus par le
peuple, mais les gens ne les connaissaient que par un ou deux discours…».
Le théologien belgo-ukrainien reconnaît que si l’on raisonne du point de
vue humain, on perdrait l’espoir. «Mais si on pense que c’est Dieu qui conduit le monde, on ne peut pas désespérer. Si en venant ici, je n’avais fait
confiance qu’à mes propres forces, je n’aurais jamais rien pu faire. C’est
le Seigneur qui m’a guidé, sans lui, il n’y aurait pas cette radio».
Une radio destinée à tous les chrétiens, qui refuse le prosélytisme
«Radio Résurrection» est chapeautée par le CRTN et l’Eglise catholique
ukrainienne. L’esprit dans lequel travaille la radio de Lviv est oecuménique, à l’instar d’un autre programme du CRTN, les émissions en langue russe
de Radio Blagovest, (Radio Bonne Nouvelle – Invitation à la prière). Ces
émissions, préparées à Paris par Irina Ilovaiskaya-Alberti, directrice de
«La Pensée Russe», et enregistrées dans les studios de Radio Notre-Dame,
sont diffusées par la radio nationale lituanienne et biélorusse, et par le
réseau de la radio d’Etat russe, relayé par le satellite Horizont. Pour la
Sibérie, par l’émetteur catholique de «Radio Veritas», à Manille.
M. Dymyd souligne que les programmes sont destinés à tout le monde et ne
sont pas strictement confessionnels. «Radio Voskresynnia» et «Radio Blagovest» ont des correspondants orthodoxes; elles informent sur la vie des
Eglises catholique et orthodoxe, dans un esprit de fraternité et de vérité.
«Nous ne faisons pas de polémique et nous ne parlons pas des questions qui
peuvent provoquer des tensions. Par exemple, nous n’informons pas quand il
y a des disputes entre les diverses Eglises chrétiennes pour la possession
des lieux de culte confisqués par les communistes, mais bien quand il y a
des réconciliations. C’est seulement à cette occasion qu’on parle des églises occupées. Notre politique: donner des nouvelles positives, insister sur
ce qui nous unit, ne pas mentionner ce qui nous divise».
La preuve que les programmes de «Radio Blagovest» trouvent un certain
degré d’acceptation dans un environnement majoritairement orthodoxe dans
lequel on dénonce souvent le «prosélytisme» des catholiques: un échange régulier d’émissions a lieu avec Radio Sofia, la radio du Patriarcat orthodoxe russe de Moscou. Maja Kriutchkova, directrice de Radio Sofia, accompagnée de l’archiprêtre Sviridov, avait d’ailleurs fait le déplacement à
Lviv, pour la bénédiction des locaux de la radio catholique «Voskresynnia»
par le cardinal Miroslav Ivan Lubachisky, chef de l’Eglise catholique ukrainienne. «Je suis venue en signe d’oecuménisme, confie-t-elle, pour contribuer à l’amélioration des relations entre les orthodoxes et les catholiques, et entre les Russes et les Ukrainiens». Le signe que l’oecuménisme
progresse malgré tout sur cette terre quasiment en friche – pendant 70 ans,
pratiquement aucune catéchèse n’y fut possible! – où les Eglises ont mieux
à faire que de se livrer bataille pour la reconquête des âmes. (apic/be)
Encadré
CRTN, au service de la réévangélisation de l’ex-URSS
Financé à part égale par l’Aide à l’Eglise en détresse (AED) et la Fondation hollandaise «Témoignage de l’Amour de Dieu» de l’homme d’affaires
néerlandais Piet Derksen, le projet de programmes pour l’ex-URSS est porté
par le Catholic Radio Television Network (CRTN) à Bruxelles. Au début, en
1988, les émissions ne pouvaient être réalisées sur place. Elles étaient
confectionnées à Bruxelles et à Paris, et les bandes envoyées par avion
pour être diffusées sur les ondes courtes, notamment par Radio Monte Carlo
ou Radio Veritas, à Manille. C’est seulement avec l’ouverture politique que
la production d’émissions et leur diffusion ont pu commencer sur le sol de
l’ancien empire soviétique.
Pour obtenir la diffusion des émissions des radios «Blagovest» et «Voskresynnia», le CRTN a dû mener des négociations ardues avec les différents
Etats, les pesanteurs bureaucratiques subsistant. En Russie notamment, les
responsables de GOSTELERADIO à Moscou ont d’abord émis la crainte que des
émissions d’origine catholique ne provoquent des tensions interreligieuses
dans ce pays orthodoxe. Ils ont donné leur accord provisoire après en avoir
contrôlé le contenu. Le CRTN loue des temps d’antenne ou procède par troc,
en fournissant des équipements pour les studios de Moscou. L’AED – qui finance pour moitié ces programmes de réévangélisation par les médias – a dépensé 600’000 dollars l’an dernier dans ce secteur.
Le CRTN, dirigé par le Brésilien J. Correa, développe également des projets audiovisuels pour l’Europe de l’Est. Il s’agit de sélectionner des
émissions religieuses de qualité produites par les tv occidentales et convenant au public des anciens pays communistes. CRTN négocie avec les producteurs pour qu’ils cèdent gratuitement leurs droits, et ces émissions
sont ensuite traduites. J. Correa précise que la plupart des producteurs
contactés ont donné leur accord et les droits ont déjà été accordés pour
250 émissions, par ex. de ZDF en Allemagne, de la Radio Télévision Catholique Belge, du Centre de Télévision du Vatican, des télévisions autrichienne
et suisse italienne, de producteurs français, etc. (apic/be)
Des photos de ce reportage sont disponibles à l’agence APIC