Dans l’atelier qui habille de voile en cape religieux et religieuses de France et de Navarre

Apic Reportage

Ou quand l’habit fait vraiment le moine et la moniale

Pierre Rottet, de l’Apic

Lyon, mars 2005 (Apic) Vatican II a eu des retombées insoupçonnées. Par exemple celle de plonger dans le chômage des centaines de personnes. Boutade? Que nenni. En France, par exemple, plus d’une dizaine de maisons tissaient avant 1960 des kilomètres de tissu pour les milliers de membres des ordres religieux de France et de Navarre, et même au-delà. De cette belle époque, il ne reste plus que 2 ou 3 ateliers, dont «La Maison de la tunique» à Lyon. Il faut dire qu’elle a eu l’idée de ranger à jamais ses métiers à tisser, pour les troquer contre des machines à coudre. Afin d’habiller de voile en cape religieux et religieuses. Reportage.

A une encablure de Lyon, à Irigny pour être précis, «La Maison de la tunique», ou «l’Artisan costumier», ne se distingue pas par sa taille, discrète par rapport aux bâtiments de cette zone industrielle. Un modeste bureau pour l’administration, un atelier attenant où s’affairent quelques ouvriers spécialisés en cette après-midi de fin d’hiver. Un coin expo aussi, vitrine de ce qui se fait dans la maison. Des machines à coudre, enfin, beaucoup de machines, pour répondre aux nécessités techniques de la fabrication du vêtement religieux notamment, sous toutes ses formes et coutures. Et jusqu’aux très nombreuses boutonnières des soutanes. Même si celles-ci ne se fabriquent plus guère. Encore un «coup» de Vatican II. De quoi y perdre son latin. et de nombreux clients. Heureusement, restaient les ordres contemplatifs, fidèles aux traditions. Même si ces derniers ne font plus recette auprès des jeunes.

Depuis 1843, année de la création de l’entreprise familiale, la Maison Fournier, six générations se sont succédé, et ont traversé nombre de crises, y compris celle des vocations. Baisse des commandes faisant foi. Aujourd’hui, en plus de 3 personnes dans l’administration, la fabrique emploie entre 10 et 12 employés. On est loin des 60 à 80 ouvriers à l’époque préconciliaire, qui battaient le fil sur une septantaine de métiers à tisser, uniquement pour le besoin des communautés religieuses, femmes ou hommes.

Des tissus au kilomètre

«Toutes ces personnes furent licenciées, comme l’ont été les centaines d’ouvriers de la dizaine d’entreprises qui, comme nous, tissaient pour les congrégations», confirme la gérante, Chantal Viornery. Une affaire alors florissante, à laquelle a succédé la déprime, puis la réflexion, avant la restructuration: exit la fabrication du tissu, salut le créneau de la confection «sur mesure» du vêtement religieux, de l’habit de voile en cape, en couleur ou en noir et blanc, de toutes les grandeurs et largeurs. Jusqu’à il y a une quarantaine d’années, bures, scapulaires, voiles, pèlerines ou autres robes étaient coupés, cousus et montés dans les couvents. «Jamais une communauté n’aurait seulement imaginé passer par l’extérieur pour fabriquer ses vêtements», confie la gérante.

Les archives de l’entreprise l’attestent d’ailleurs. Entre 1843 et 1965, des milliers de kilomètres de tissu sont partis tous azimuts dans les maisons mères pour être redistribués dans les couvents et congrégations dans le monde. «Au début du 20e siècle, des ballots entiers de tissu ont été livrés dans les cinq continents. Il était rare de vendre en dessous de 300 mètres. Le plus souvent, c’était 1’000, 2’000, voire 5’000 mètres de tissu qui sortaient de nos ateliers pour servir dans les monastères à la fabrication des vêtements religieux, femmes, hommes, contemplatifs ou actifs».

Chantal Viornery marque un temps d’arrêt, comme pour mieux se souvenir de l’effort consenti pour permettre à l’entreprise de s’adapter, de rebondir. «Dans les années 70, la vente de tissu au mètre représentait encore 100% du chiffre d’affaires. En 2005, la confection du vêtement religieux n’excède pas 30% de notre chiffre». Le reste étant assuré par la fabrication d’uniformes pour sociétés, d’habits de confréries, chevaliers du St-Sépulcre ou autres, et jusqu’aux robes noires de juges et d’avocats. Les mêmes à quelques détails près que celles des pasteurs. «Un créneau que nous souhaitons exploiter en Suisse d’ailleurs», commente, clin d’oeil à l’appui, la gérante de la fabrique.

Rien n’est décidément plus comme avant.

Dans un coin de l’atelier, une quinzaine de bures pour les cisterciens d’un monastère français attendent les dernières retouches avant d’être livrées. Signe des temps, on ne se contente plus d’un vêtement «pour la vie», une fois passée la porte du couvent. Consumérisme? Pas vraiment. Naguère, le vêtement était fait pour durer des années, voire toujours, du moins jusqu’à la mort du moine ou de la moniale. Aujourd’hui, cette notion n’est plus de mise. Dieu merci! «La durée de vie d’un tel vêtement oscille entre 3 et 5 ans maximum». Il fallait bien cela pour compenser les effets de la crise des vocations. D’autant que la plupart des religieux et religieuses, dont on a simplifié les costumes sous Vatican II, possèdent maintenant deux sinon trois tenues de rechange. Sans parler de celles qui se mettent pour faire face aux rigueurs de l’hiver, ou qui se changent, parce que plus légères, au gré des climats plus doux, selon les latitudes.

Signe des temps encore: «A l’époque, la jeune fille qui entrait au couvent savait coudre, assez du moins pour se confectionner ses habits. Tel n’est plus le cas actuellement. Et rares sont les monastères à avoir conservé en leur sein des frères tailleurs, ou des soeurs couturières». De quoi mettre du baume au carnet de commandes de notre interlocutrice, qui a assis la réputation de sa maison bien au-delà de la France. De la Belgique à l’Allemagne, en passant par l’Angleterre et la Suisse, du côté de Romont et Fribourg, notamment.

«La qualité et la précision de notre travail à l’unité est reconnue, pour sa couture minutieuse, avec plus d’un quart du travail fait à la main». De plus, observe la gérante, un cistercien, un chartreux un dominicain ou un franciscain se vêtira de la même façon, qu’il soit en France, en Suisse, en Afrique ou en Amérique latine. Un avantage certain, qui n’est pas prêt de disparaître. Une aubaine aussi, pour la «Maison de la tunique», le seul atelier en France, du moins dans les habits ecclésiastiques, à travailler pour de grosses quantités. Une chance également, à l’heure où le vêtement religieux est de plus en plus abandonné par certaines congrégations, au profit de l’habit civil.

Encore de beaux jours, malgré la baisse des vocations

Bon an mal an, l’entreprise réalise plus de 1’000 vêtements pour la clientèle religieuse, sans parler des sous-vêtements. La réputation de la maison y est certes pour beaucoup. Cela ne saurait toutefois suffire à remplir le carnet de commandes. Chaque année ou presque, Chantal Viornery et Chrytele, l’une de ses filles à qui elle passe la main en douceur, font le tour d’un grand nombre de couvents et monastères de France, de Belgique et de Suisse. Soit quelque 300, sachant que son carnet d’adresses compte près de 1’800 clients. Un chiffre qui s’élevait encore à 10’000 au début des années 70. Mais l’entreprise familiale a encore de beaux jours devant elle: en 2003, selon le guide 2005 de l’Eglise catholique de France, on recensait 9’407 moines et 43’039 moniales. Même si celles-ci, qui ne portent pas toutes l’habit religieux, tant s’en faut, étaient encore 51’512 en 1999.

En réalité, seule la Grande Chartreuse, fidèle à sa stricte tradition, ne lui a pas ouvert les portes. Cela n’empêche toutefois pas la «PDG» de la société de connaître tailles et mensurations des chartreux qui y vivent. Question de professionnalisme. Et il en faut pour respecter au détail près les nombreux «gadgets» qui se dissimulent, mine de rien, dans les plis et replis des vêtements religieux, histoire de faciliter et de rationaliser les gestes de tous les jours. Ainsi ces cordelettes munies de petits crochets, sur lesquelles on tire afin d’accrocher le vêtement et le soulever légèrement, pour rendre plus facile les mouvements liés au jardinage, par exemple. Ainsi les nombreuses poches, que n’importe quel oeil même exercé ne parviendrait pas à déceler. «Et elles sont bien plus nombreuses chez les hommes, ce qui rend le vêtement masculin plus compliqué à faire», assure Chantal Viornery.

«Non, répond cette dernière qui a devancé notre question, les contacts dans les monastères hommes sont excellents. Ils sont ravis d’avoir la visite d’une femme. C’est dire qu’on est franchement heureux de nous accueillir, surtout qu’ils s’y prennent souvent à la dernière minute pour leur commande, et changer l’un ou l’autre vêtement déjà fort élimé. Ce qui n’arrive pas chez les religieuses, ou beaucoup moins, car plus prévoyantes». Selon notre interlocutrice, on est un peu plus exigeant chez ces dernières, sur la qualité s’entend. Rien de nouveau sous le soleil. Mais c’est là une autre histoire. PR

Encadré

Et si les histoires belges étaient vraies?

Des anecdotes, la gérante de la «Maison de la tunique» en a plein la mémoire. Ainsi cette Mère supérieure, qui passait commande pour une série de sous-vêtements, après avoir constaté de visu que les temps avaient bien changé dans les magasins. Y compris la petite lingerie. «Il n’y avait plus de tissu sur les petites culottes, mais alors plus rien», confiait la Soeur, pas très au courant des tendances mode. Et de l’arrivée du string. Autre anecdote, choisie parmi d’autres: «Je visitais un monastère en Belgique, raconte-t-elle, afin de présenter notre catalogue à la Supérieure, fort dépitée de la qualité d’une commande passée à un tailleur belge. La religieuse lui avait demandé une reproduction exacte du modèle soumis. C’était sans compter sur l’interprétation des mots. Il avait confectionné l’habit, mais en y incluant les multiples tacons reprisés sur le vieux vêtement». Il n’en faut pas davantage pour faire une réputation. et gagner un nouveau client. PR

Encadré

Un bon prix pour de bons payeurs

Confectionner du vêtement religieux n’est pas donné à tout le monde. Et ce n’est pas pour rien que «la mode» du prêt-à-porter n’a jamais cherché à s’infiltrer dans ce créneau. «Religieux et religieuses doivent quelque part impressionner». Pourtant, confirme la gérante de l’entreprise, ce sont de très bons clients, qui payent, surtout. Et par les temps qui courent. Le prix moyen pour un vêtement de religieuses est de 200 euros, voire un peu plus. A peine moins cher que pour un homme: 250 euros. La faute aux nombreuses poches. Quant au prix d’une soutane, il varie entre 480 et 600 euros, selon les modèles, romains ou français. Le matériel utilisé? Le tergal-laine ou le tergal-coton le plus souvent. Quant aux délais de fabrication, ils peuvent être de 3 à 4 semaines selon l’importance de la commande. Et pour une seule pièce? «Un certain temps». On n’en saura pas davantage. Petite info encore: il n’est pas rare que les producteurs de films ou de série TV fassent appel à la «Maison de la tunique» pour confectionner les costumes, surtout si ceux-ci ont à voir avec une histoire, d’Eglise cette fois. PR

Des photos de ce reportage sont disponibles à l’Agence Apic, à Fribourg

(apic/pr)

2 mars 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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Togo : Un grand féticheur reçoit le baptême

APIC – Reportage

«Dieu m’a fait roi «

Pascal K. Dotchevi, pour l’agence APIC

Lomé, 8 décembre 1997 (APIC) L’histoire de Jean-Paul Mawuedomfiè ressemble à celles qu’on lit dans la Bible. Elle s’est pourtant passée cette année dans le village d’Abobo, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Lomé, au Togo. Abobo est réputé dans tout le pays pour ses grands féticheurs.

Depuis le 15 août 1997, le plus grand praticien des cultes animistes a pris la décision de revenir sur «le chemin du salut» Agbéniké Klusakpo âgé de 84 ans est devenu après son baptême Mawuedomfiè Jean-Paul (en langue locale Ewe : «Dieu m’a fait roi»). Son histoire a fait le tour des paroisses à Lomé, à cause de la personnalité de la «nouvelle recrue» qui était un grand chef religieux.

«Je suis né dans une famille très puissante sur le plan satanique: vaudou et sorcellerie, raconte le vieillard. . D’ailleurs à ma naissance ma main contenait déjà des pouvoirs. Ce n’est que plus tard que mes parents m’en ont parlé. J’étais réputé dans ma région. Tout ce que je demandais, je l’obtenais des divinités. J’avais toujours des adeptes dans mon ’couvent’ toutes les saisons. J’ai vécu dans l’abondance et l’opulence avec neuf femmes et beaucoup d’enfants. Mais j’ai tout abandonné sans trop de regrets.»

Une table très confortable était dressée

Le vieux Jean-Paul, assis sur son lit douillet, nous montre sa jambe gauche amputée du pied. «j’ai été souvent malade, j’avais le cancer. On m’a opéré à plusieurs reprises sans succès. On a dû amputer un de mes pieds il y a déjà prés de quarante ans. Plusieurs fois j’ai été déclaré mort… On avait même préparé mon cercueil. Mais finalement je suis encore revenu à la vie.»

«En mai dernier la situation était grave, toujours mon cancer. J’ai passé deux mois dans le coma. Et c’est à ce moment que ma vie a changé». «Pendant mon coma, j’ai été transporté dans une grande ville . Je vis beaucoup de monde couvert d’or. On m’attribua une jolie maison où une table très confortable était dressée. Mon guide, que je n’ai pu identifier, me serrait contre lui et refusait de me laisser boire à cette table. J’avais tellement soif que j’ai protesté plusieurs fois. Mais il a toujours refusé. Tout à coup une voix m’interpelle:«  Tu as beaucoup d’enfants ici..; et tu aimes beaucoup les femmes…’’. J’étais un peu surpris car c’était vrai. J’ai alors demandé à voir le chef.»

« Tu ne peux pas le voir. Parce que tu es sale. Il faut que tu te laves d’abord.’’, me répondit sèchement mon guide. Puis tout devint noir. Et la porte de la ville se referma si fortement que je suis devenu sourd. Dehors à côté de moi je vis plusieurs milliers de personnes qui étaient dans un grand feu. J’étais horrifié par le spectacle. C’est alors mon guide me lança plusieurs fois: « cherche trois personnes qui vont te laver’’, puis il disparut. Je revins ensuite à la vie.» «A la surprise générale de mes médecins, j’allais mieux dès mon réveil. Je ne sentais plus de mal et c’’est ainsi que j’ai été guéri.»

L’énigme des trois personnes

«Dès mon réveil, j’ai raconté l’histoire à ma fille, poursuit le vieux Jean Paul . C’est elle qui m’a conduit au prêtre». «Lorsqu’il m’a raconté l’histoire j’ai un peu réfléchi. J’ai compris tout suite que les trois personnes dont il était question ne sont autres que le Père, le Fils et le Saint Esprit. En lui demandant d’être lavé par trois personnes, Dieu voulait qu’il soit baptisé au nom du Père, du fils et du Saint-Esprit», explique le Père Christian, curé de la paroisse Sainte Rita de Tokoin-Wuiti à Lomé qui a guidé les premiers pas du féticheur vers la foi chrétienne.

Pendant tout le mois de juillet, le vieux et sa femme ont été confiés à une équipe de jeunes du renouveau charismatique qui leur ont appris la catéchèse. «J’ai dû abandonner huit de mes femmes pour épouser Marie-Madeleine, celle qui est restée avec moi pendant ma maladie. Puisqu’on m’a dit que je ne peux avoir qu’une seule femme», affirme Jean Paul.

Le15 août fut vraiment le grand jour . Le couple est baptisé, reçoit la première communion et la confirmation et célèbre son mariage. «Ce fut un événement dans tout le village». Aujourd’hui, Jean Paul vit avec sa femme dans la maison de leur fille dans la banlieue de Lomé.

Une trahison impardonnable

«C’est grave ce qu’ils ont fait. Les dieux ne vont pas leur pardonner cette trahison’’ Au village, les autres féticheurs ne comprennent pas pourquoi le vieux Jean-Paul et sa femme ont «commis cette grave erreur». Parmi les villageois, même ceux qui trouvent sage la décision du couple sont animés de tristesse. Le vieux était en effet incontournable dans toutes les cérémonies. Maintenant qu’il a tout abandonné, c’est un peu triste. D’autres sont plus catégoriques: «ils ont trahi les dieux et ils doivent être châtiés par eux».

«On a raconté au village que je suis devenue aveugle, parce que j’ai changé et les fétiches m’ont puni’’, confie Marie-Madeleine. Le vieux, marqué par la mort en octobre d’un de ses fils qui assurait l’intérim au ’couvent’ affirme avec regret: «Il ne me reste qu’à retourner avec le curé au village pour brûler tous mes effets sataniques, sinon il y aura encore des victimes».

« J’ai dit à mes amis au village, qu’ils sont encore dans les ténèbres et qu’il est encore temps pour eux de suivre mon exemple. En tout cas j’irai régulièrement leur parler>>, conclut Jean Paul. (apic/pd/mp)

30 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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