Sierre: 70 ans de présence des Cisterciennes Bernardines à Géronde

Apic Reportage

Géronde, haut lieu du christianisme, a tout d’une «colline inspirée»

Jacques Berset, agence Apic

Géronde, 13 avril 2005 (Apic) Nous avons reçu plein de grâces, quand on voit ce que le Seigneur nous a donné comme lieu. Au milieu des vignes qui bourgeonnent et des arbres fruitiers en fleurs, dominant un petit lac d’un côté et surplombant le Rhône de l’autre, Géronde a tout d’une «colline inspirée». C’est là que vivent depuis 70 ans les religieuses de la communauté des Bernardines.

A la frontière des langues qui partage le Valais, en deça de la Raspille et en face du Val d’Anniviers, le monastère Notre-Dame de Géronde domine le cours du Rhône au sud-est de la ville de Sierre. Haut lieu des premiers siècles de l’histoire chrétienne en Valais, quand le fleuve se répandait encore partout dans la vallée, l’endroit a toujours respiré le sacré.

Les fouilles archéologiques ont trouvé les traces d’une église du Ve siècle. Restaurée à plusieurs reprises, elle est remplacée au XIe siècle par une église romane, qui sera dotée au XVe siècle d’un vaste choeur gothique, pour ne citer que les transformations les plus importantes

La magie de ces «lieux porteurs»

«C’était la première église de la région de Sierre, car il y avait des marais tout autour». Soeur Miryam, la Mère Prieure, est intarissable quand il s’agit d’évoquer la magie de ces «lieux porteurs». Un endroit qui fut longtemps difficile à vivre, car il fallait aller chercher l’eau dans le lac situé au pied de la colline!

Dans l’histoire, Géronde, qui abrita également le séminaire diocésain aux XVIII-XIXe siècles, a accueilli de nombreuses congrégations: chartreux, carmes, jésuites, dominicains, trappistes, avant que ne soit installé dans les bâtiments l’institut pour les sourds-muets, dirigé par les Soeurs d’Ingenbohl, de tradition franciscaine.

Dans les vignes du Seigneur

C’est Mgr Victor Bieler, évêque de Sion, qui, dans les années 30, demande aux Bernardines de Collombey, qui y étaient implantées depuis trois siècles, de venir dans le Valais central. Il voulait que les 7 soeurs qui vinrent s’installer le 2 mai 1935 redonnent vie au couvent de Géronde, vide depuis 1929.

A leur arrivée, les Bernardines travaillent d’arrache-pied; elles plantent des vignes – aujourd’hui 1,3 hectares -, cultivent des jardins potagers, soignent leur verger. Fendant, malvoisie, pinot noir, quelque 10’000 bouteilles d’excellent vin sont issus de ces nobles cépages. C’est d’ailleurs la vente de leurs vins qui leur procure près des deux tiers de leurs revenus, avec la production d’hosties, la confection de vêtements liturgiques et l’accueil. En effet, cinq chambres sont destinées aux hôtes pour des retraites individuelles.

«Vivre l’abandon dans la foi.»

A la tête d’une vingtaine de religieuses, la Mère Prieure reconnaît que «la moyenne d’âge avoisine aujourd’hui la septantaine!» Au pic de sa croissance, le couvent abritait une trentaine de soeurs.

A l’évocation de l’âge avancé de la communauté, qui ne compte pas de novice depuis quelques années, la moniale souligne que cette situation, partagée avec de nombreuses autres communautés religieuses et avec l’Eglise dans son ensemble, au moins en Europe occidentale, «conduit à un abandon plus grand entre les mains du Seigneur et nous enracine davantage en lui. En ce sens, elle recèle une part de grâce à découvrir et à vivre».

L’an dernier, d’ailleurs, la dernière des fondatrices de Géronde est décédée, à l’âge de 95 ans. «Cela voulait aussi dire qu’une page se tournait», déclare la Mère Supérieure, qui nous montre sa tombe, dans le cimetière des soeurs, sous les arbres, au sommet de la colline.

Proches de la Fille-Dieu, de la Maigrauge, des moines d’Hauterive

Les soeurs valaisannes, de spiritualité cistercienne, se sentent proches des religieuses fribourgeoises de la Fille-Dieu, de la Maigrauge, des moines d’Hauterive. «Nous faisons partie de la grande famille cistercienne. Nous vivons tous selon la règle de saint Benoît.»

Avec Mère Gilberte, de Collombey, la Mère Prieure de Géronde est invitée au moins une fois par année par les trappistes du Sud de la France. De telles rencontres maintiennent les religieuses cloîtrées dans le mouvement de l’histoire et contribuent à l’approfondissement de leur vocation.

Et la clôture à Géronde justement ? «Nous sommes des religieuses cloîtrées, mais il nous arrive de sortir de nos murs, pour aller chez le médecin, le dentiste.» Avant ils venaient au couvent, mais cela fait bien longtemps! Avec l’âge également, il faut aller consulter à l’extérieur, sans compter les hospitalisations, la rééducation quand une soeur a un accident. «Aujourd’hui, certaines d’entre nous vont aller mettre notre vin en bouteilles chez nos voisins qui sont aussi les neveux de l’une de nos soeurs.»

La clôture est désormais moins lourde

En effet, quand on monte la pente pour se rendre à l’église, on aperçoit le vaste domaine des frères Jean-Bernard et Dominique Rouvinez, des producteurs qui donnent le ton dans le monde de la viticulture valaisanne. Une poignée de soeurs quitte justement le couvent pour s’installer à la chaîne. La mise en bouteille se fait dans la bonne humeur, mais au rythme des soeurs. Sûr qu’elles ne pourraient pas suivre celui des ouvriers! A l’heure de l’apéritif, le succès est garanti: la malvoisie des soeurs, élaborée à partir du pinot gris, est «divine». C’est que le sol de la colline, d’origine morainique, caillouteux et filtrant, constitue un terroir de choix pour les cépages cultivés par les moniales.

A l’heure actuelle, la viticulture reste une activité importante pour les soeurs qui se font certes aider pour les gros travaux, et aussi pour la taille.

Mais elles ne se laissent pourtant pas distraire de l’essentiel de leur vocation: dès 4h55 du matin, les voilà dans l’église pour les Vigiles, à 7h20 pour les Laudes, avant de chanter la messe à 8h00, puis Tierce à 9h20, Sexte à 11h45. Après le repas de midi, ce sont None à 14h45, les Vêpres à 17h30, et finalement les Complies à 19h45, après le souper fixé à 18h30. L’écoute constante de la Parole entendue dans la liturgie et approfondie dans la lectio divina personnelle soutient la fidélité. «Elle nous permet de discerner ce que Dieu attend de nous aujourd’hui, lance Mère Miryam, nous sommes appelées à vivre un moment de grâce, de pauvreté et de dépouillement. Nous sommes solidaires de cette humanité du XXIe siècle et il n’y a pas de limite d’âge pour l’offrande notre vie et de notre prière». JB

Le 2 mai prochain, l’évêque de Sion, Mgr Norbert Brunner, est attendu sur la colline, pour célébrer la messe d’anniversaire, qui réunira les Bernardines de Géronde et leurs «aînées» de Collombey, qui ne sont plus que 18. JB

Encadré

L’incendie du 1er mai 1980

Le 1er mai 1980, les Bernardines s’apprêtent à fêter les 45 ans de leur arrivée. Des ouvriers travaillent à la rénovation du toit: soudain, le carton bitumé, soudé au chalumeau, s’enflamme et, aussitôt, le feu se propage à une vitesse foudroyante, trouvant en la vieille charpente un aliment de choix. La toiture de l’édifice du XIV siècle est la proie des flammes et les étages inférieurs sont très endommagés par l’eau. Les soeurs seront hébergées à Sierre, puis dans des baraquements militaires, pendant que les locaux sont restaurés. JB

Encadré

Une origine savoyarde

Le départ des Bernardines de Géronde se trouve en Haute-Savoie. Elles tirent leur origine, il y a quelque 350 ans, du monastère des Bernardines de Rumilly (1622). Les 5 fondatrices étaient moniales cisterciennes à l’Abbaye de Sainte-Catherine du Semnoz, à quelques kilomètres d’Annecy. Encouragées par Mgr François de Sales, évêque de Genève résidant à Annecy et petit cousin de la Supérieure, Mère Louise de Ballon, ces religieuses voulaient retrouver un style de vie plus conforme à l’idéal monastique. Le monastère de Rumilly accueillit très rapidement de nombreuses vocations, ce qui permit la fondation d’autres communautés. Mais à la Révolution française, la Congrégation des Bernardines dut se disperser et elle connut alors son déclin en France. Elle comptait à l’époque une trentaine de monastères, dans la vallée du Rhône jusqu’à Marseille. Le monastère de Rumilly fut laïcisé à la Révolution, et c’était récemment encore une quincaillerie. A l’époque, tous les couvents des Bernardines furent fermés, à l’exception de Collombey, en Valais, dont est issu Notre-Dame de Géronde en 1935. JB

Encadré

La «famille cistercienne»

La « famille cistercienne » est nombreuse et diversifiée. Elle comprend :

– l’Ordre de Cîteaux (O.C.) qui compte 86 monastères de moines et 61 monastères de moniales, situés surtout en Europe, mais aussi en Amérique du Nord, au Vietnam, au Brésil, en Ethiopie, en Bolivie;

– l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (OCSO) qui compte 96 monastères de moines et 66 de moniales, implantés dans le monde entier;

– la Congrégation cistercienne de St-Bernard (monastères féminins espagnols), les Cisterciennes Bernardines de Suisse romande, les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes, les soeurs Bernardines d’Oudenaarde, ainsi que des laïcs cisterciens. JB

Les illustrations de cet article sont à commander à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/be)

13 avril 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Guinée: L’esprit des moines bâtisseurs

APIC – Reportage

De Charente à la forêt africaine

Dominique Noël, pour l’agence APIC

Fribourg, 6 août 1997 (APIC) Dans l’histoire de l’Eglise comme dans celle de l’Europe, les moines bâtisseurs jouèrent souvent un rôle décisif. Aujourd’hui cinq femmes de l’Abbaye de Maumont, non loin d’Angoulême, perpétuent la tradition des pionniers en Guinée, au cœur de la forêt africaine, pour y implanter l’idéal de contemplation et de travail de saint Benoît.

Quel dépaysement pour les cinq religieuses bénédictines de Charente, aux confins du Périgord, lorsqu’elles débarquèrent à la nuit à Conakry, en Guinée; quel contraste pour ces voyageuses entre le climat tempéré de la province française et la chaleur de la terre africaine. Quelle dissemblance entre l’office des Vigiles à l’Abbaye Sainte Marie de Maumont, et les bruits de la nuit guinéenne à travers Conakry éclairée à la bougie, au milieu d’une mélée indescriptible de personnes courant en tous sens, criant, chantant, se hélant de toute part.

A Kindia, en ce mois d’octobre 1996, à leur grande surprise Mère Jean Baptiste, Sœur Françoise, Sœur Dorothée, Sœur Vianney et Sœur Pierre sont reçues par les danses des chrétiens du lieu. Elles sont poussées sur un podium pour être vues de tous et interviewées par la télévision.

Une aventure commencée en 1994

L’aventure a commencé en 1994 par l’appel lancé par Mgr Robert Sarah, archevêque de Conakry, aux moniales de la communauté Sainte-Marie de Maumont, à Juignac de Montmoreau, en Charente. En fait l’idée de la fondation d’un monastère en Afrique a mûri lentement grâce aux nombreux contacts avec le continent africain. Le jumelage du diocèse d’Angoulême avec celui de Koudougou, au Burkina-Faso, valut plusieurs visites de chrétiens burkinabés à la communauté de Maumont. Des soeurs de Maumont furent envoyées en aide temporaire à des monastères de l’Afrique de l’ouest.

La Mère Abbesse proposa alors le projet d’une fondation africaine. Après des semaines de prière et de débats, la communauté fit part de sa disponibilité à l’Aide Inter-Monastique (A.I.M.). Des appels des cinq continents arrivèrent à Maumont. Le choix se porta sur la Guinée jusque-là dépourvue d’une présence contemplative dans son Eglise.

En septembre 1994, l’Abbesse de Maumont partit en Guinée pour visiter les trois endroits proposés par l’Eglise Guinéenne en vue de l’implantation du monastère. Ce fut aussi déjà le choix du nom du futur couvent proche de la ville de Kindia – elle-même placée sous la protection de la Sainte-Croix . Au retour de leur supérieure, les moniales décidèrent à l’unanimité que ce premier monastère de Guinée s’appellerait «Monastère Sainte-Croix».

Terre rouge forêt verte

Une fois par semaine, les religieuses quittent Kindia où elles sont installées provisoirement et montent dans la voiture de Diallo pour se rendre par la piste de terre rouge jusqu’à «Friguiagbé», lieu choisi pour l’implantation du monastère où l’eau coule en abondance, à 130 kilomètres de Conakry, sur l’axe routier qui traverse la Guinée de part en part. Le site est magnifique et les arbres splendides. Tout est propice à la construction à cet endroit.

Le terrain est maintenant déboisée et dessouché. La maison du colon, dont il ne reste que quelques pans de murs, a été dégagée de la végétation envahissante. A gauche les ouvriers ont installé un toit de chaume. C’est là que seront fabriquées les briques pour la construction du monastère.

A l’aide de cordeaux jaunes, les religieuses déterminent l’implantation d’un premier bâtiment qui sera le plus proche de la piste. La construction se fera par étapes. Dans un premier temps, il est urgent de construire l’hôtellerie comprenant un oratoire, la cuisine et une salle de réunions qui serviront d’habitation aux cinq soeurs de la communauté dans l’attente de la suite des travaux de construction du monastère. La maison du colon deviendra un lieu d’accueil selon la Règle de Saint-Benoît qui demande que «tous les hôtes soient reçus comme le Christ».

Prière et travail, «ora et labora»

La vie quotidienne de la communauté guinéenne, à l’instar de celle de tous les monastères bénédictins se partage entre le travail et la prière à laquelle participent les chrétiens et la communauté de base de Kindia. Chacune des soeurs a décidé individuellement de se porter volontaire pour l’Afrique en accord avec la Mère Abbesse qui a tenu compte des désirs exprimés ou proposé des choix mais n’a rien imposé.

L’équipe est pluridisciplinaire. La prieure Sœur Jean-Baptiste, 50 ans, mène tous les contacts avec les autorités locales religieuses et civiles, Sœur Françoise, 43 ans, a vécu plusieurs années dans une Arche de Jean Vanier, avant son entrée au monastère, Sœur Dorothée, 36 ans, est bibliothécaire, Sœur Vianney, 35 ans, est infirmière. Lorsqu’elle a fait profession en janvier 1996, Sœur Pierre, 35 ans, savait déjà qu’elle allait partir pour la Guinée.

La Règle des religieuses est celle de saint Benoît. Les fondatrices vont adapter progressivement leur prière liturgique à la culture africaine. La mère prieure a passé plusieurs mois en Côte d’Ivoire, chez les bénédictines de Bouaké pour s’en imprégner avant de rejoindre ses compagnes à Kindia. Des liens avec les trois diocèses du pays et avec les autres congrégations religieuses oeuvrant dans le pays ont été établis dès 1995.

Rosalie. 13 ans veut devenir religieuse

Il ne peut être question de postulantes ou de novices africaines pour l’instant puisque les bâtiments sortent tout juste de terre. Mais un jour le Père Bernard, un prêtre du lieu, annonce aux sœurs. «J’ai un problème… Ce matin après les Laudes, une jeune fille est venue me voir et m’a demandé en pleurant de pouvoir partir avec les soeurs bénédictines pour vivre avec elles.» Le Père lui a demandé d’aller chercher sa maman pour en parler avec elle. La maman – pour toute réaction – se mit à genoux pour prier silencieusement; ensuite, elle se releva et commença à expliquer à sa fille la portée d’un tel choix. C’est ainsi que les sœurs ont fait la connaissance de Rosalie âgée de treize ans et de sa maman. C’est promis, Rosalie pourra venir voir comment les sœurs vivent à Friguiagbé. Pour le reste, il lui faudra encore grandir et continuer à vivre bien insérée dans sa paroisse.

Pour les religieuses, l’avenir des deux communautés ne peut aller que vers un développement certain. Celle de France, qui compte encore 64 moniales, doit profondément se renouveler pour faire face au vieillissement. Celle d’Afrique est appelée à se construire en s’attachant de nouvelles forces pour que vive la tradition des moines bâtisseurs (apic/dno/mp)

9 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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