Saint-Maurice: Peintre et religieuse: les multiples facettes de Soeur Bachmann

Apic reportage

La vie en couleurs d’une «sacrée bonne soeur»

Pierre Rottet, de l’Agence Apic

Saint-Maurice, 3 février 2006 (Apic) Peintre, marionnettiste et religieuse, Isabel Bachmann est tout cela à la fois. Et même davantage, dans son emploi du temps partagé entre la peinture, la vie religieuse, son job de fleuriste et de sacristine à l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais. Un personnage aux multiples facettes, qui a su conserver une âme d’enfant à l’âge de 48 ans. Et qui sait s’émerveiller des choses de la vie, de la création.

Isabel Bachmann est membre de la Congrégation des soeurs de Saint-Augustin, à Saint-Maurice. L’Apic l’a rencontrée dans son atelier, aménagé au couvent, les pinceaux à la main, même si son voile et sa croix rappellent sa vocation. Qu’elle assume à sa manière, avec des aménagements de temps agréés par sa communauté, pour s’adonner à ses activités extra religieuses. Même si rien n’est vraiment dissociable chez elle.

Devant le balcon de son atelier, d’un vaste jardin sortent indifféremment poiriers, pommiers, cerisiers et même kiwis. Pas encore en fleurs. Le privilège climatique du Valais a des limites. Une carpe, bizarrement pas muette pour un sou, souhaite la bienvenue aux visiteurs, une fois la porte refermée sur l’univers visible de Soeur Isabel. Histoire de coller à la personnalité de la locataire des lieux, que trahit des yeux pétillants de spontanéité, de malice. De joie, tout simplement.

Aux murs, des toiles, sorties de l’imagination de l’artiste. Et aussi quelques natures mortes aux couleurs éclatantes, où les fruits et légumes semblent s’inviter à table. Histoire de se mettre en appétit pour déguster des bleus omniprésents, des jaunes qui n’en sont pas vraiment et des gris pourtant bien éloignés de la grisaille. L’atelier respire les couleurs, tantôt vives, tantôt tendres, mais omniprésentes, dans une ambiance où chevalets, tables de travail, piano y compris, pinceaux gouache et aquarelles font la fête aux tableaux accrochés. Qui sont autant de reflets d’un geste créatif spontané, d’un moment vécu, de l’imagination d’une «bonne soeur» qui se donne à chaque coup de pinceau autant de bonheur que dans chacun de ses actes de tous les jours. Comme religieuse, comme femme aussi.

«Je me laisse simplement attirer par les choses de la vie, par tout ce qui vit, les êtres et les objets, les odeurs et ce qu’offre la création, l’environnement, assure-t-elle. Tout commence par une intériorisation. puis par des impressions, qu’il convient ensuite de transformer, de traduire sur la toile. J’aime beaucoup l’évasion et l’aventure dans la peinture».

La chapelle du Rocher

Du talent, Soeur Isabel? Assez en tout cas pour s’attaquer à une fresque dans une chapelle située sur le Rocher, à Monaco. C’était en 1993, se souvient-elle. A l’époque, le curé de la cathédrale de Monaco, suffisamment impressionné en visitant une de ses expos à Martigny, lui avait proposé de «couvrir» les murs blancs de l’église du collège catholique de la principauté. Un défi qu’elle va relever trois ans plus tard: «Les murs de cette chapelle et moi sommes très vite devenus complices, et les thèmes des fresques allaient tomber les uns après les autres dans mon imagination, du soir au matin. En une nuit, tout était dans ma tête».

Résultat: 38 mètres d’oeuvres qui explosent de gouaches et d’acryliques, réparties sur l’ensemble des murs de l’église, avec trois thèmes par côté, tous inspirés des Ecritures, de l’ancien et du nouveau testament, où figurent en priorité des enfants. Quant à l’arrière de l’église, il est consacré à Jésus et à sa mère. Un Jésus enfant. pour donner aux gosses de le regarder les yeux dans les yeux.

Deux ans de travail, à raison de 10 jours tous les deux mois, ont eu raison du blanc initial immaculé de cette chapelle du 19e siècle. Manque aujourd’hui le choeur, auquel elle s’attellera ces prochains mois. «Demain, si je pouvais, lance-t-elle. Mais là, il faudra que je peigne sur des échafaudages, qui ne furent pas nécessaires jusqu’à présent». Pourquoi la gouache et l’acrylique? «Avec l’aquarelle, ce sont les matières que je préfère, parce qu’elles sont malléables à souhait». L’huile? «Mes yeux sont allergiques à la térébenthine».

Du rêve à la réalité

Avant de devenir religieuse, Isabel Bachmann, Schwytzoise d’origine, de mère autrichienne, rêvait de faire les beaux arts. Las, c’est finalement vers un apprentissage de fleuriste qu’elle se tournera, avec un diplôme au bout. «Depuis mon enfance – elle est née en 1957 à Freienbach (SZ) -, j’ai toujours été attirée par le dessin. En fait, dès que j’ai été en mesure de tenir un crayon pour griffonner». Et le choix de devenir religieuse? «Je n’ai pas choisi de le devenir. Je me sentais tout sauf destinée à la vie religieuse. A la rigueur, je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait être, cette vie là. Adolescente, je pensais comme toutes mes amies à me marier et avoir des enfants». Jusqu’à ce jour, à l’âge de 22 ans, où tombera sur elle ce qu’elle nomme un coup de «gong», frappé par Dieu pour l’appeler». «Comment il a fait pour m’avoir? Il faut le lui demander!».

La foi n’a jamais été une barrière pour les vocations. artistiques. Très vite, ses consoeurs vont lui laisser exprimer ses qualités. Surtout qu’une artiste parisienne, Madeleine Diener, de passage à St-Maurice pour un travail de gravure sur bois, va lui donner le coup de pouce nécessaire. Le destin, quoi! «Après avoir regardé mes dessins, l’artiste parisienne est allée voir ma supérieure, afin de lui proposer de m’emmener à Paris». Avec la bénédiction de sa communauté, Soeur Isabel fera le voyage, et s’en ira quelque temps suivre comme élève libre des cours à l’Académie des beaux arts et perfectionner son dessin académique, y compris en anatomie humaine. Autodidacte jusqu’alors, elle voyait là son rêve d’ado s’accomplir. «Au début, confie-t-elle, moi qui éprouvais une véritable passion pour esquisser des chevaux, je me souviens avoir failli dessiner des jambes de cheval à l’homme-modèle qui posait devant nous». De retour dans sa communauté agaunoise, la religieuse poursuivra durant deux ans «sa formation d’artiste», avec des cours à l’Ecole des beaux arts, mais à Lausanne cette fois. C’était en 1989.

L’art. de ne pas passer inaperçue

Les expos personnelles ou collectives vont aussi s’enchaîner. Depuis 2000, chaque deux ans, elle participe à la biennale organisée à Art Forum, à Montreux, en compagnie de plusieurs dizaines de peintres et sculpteurs. Presque une consécration, puisqu’il faut passer «l’examen» sélectif préalable d’un jury. Au milieu de ses collègues artistes, Isabel ne passe pas inaperçue. Et encore moins lorsque débarque dans l’enceinte de l’expo la joyeuse cohorte des consoeurs de Saint-Maurice, pour visiter et encourager leur protégée. «Mes premiers contacts avec mes confrères peintres? Au premier abord, ils ont eu du mal à ne pas laisser transparaître leurs sentiments», qu’un regard presque inquisiteur trahissait: «Mais qu’est-ce qu’une bonne soeur vient f. ici?» Toujours ces idées préconçues. «Elle est religieuse, donc elle peint des trucs religieux». Logique. Comme si un boulanger s’adonnant à ses heures à la peinture devait obligatoirement peindre des petits pains. Ou des croissants pour varier.

Une fois passé le premier «choc», les préjugés tombent, assure Soeur Isabel. Au sein du cercle des faiseurs de couleurs, «personne ne m’a jamais fait sentir que je n’étais pas à ma place, y compris les plus ronchonneurs, les athées convaincus. Surtout lorsqu’ils ont compris que j’étais aussi l’une des leurs, et pas là pour leur faire la leçon».

Le fait d’être religieuse n’a jamais constitué une barrière à son inspiration, assure-t-elle. Mon «esprit créatif ne s’en trouve pas amoindri». Pas d’autocensure dans les idées? «Non. Ni ma communauté d’ailleurs, qui me fait entière confiance». Les contraintes? «Il faut les incorporer dans son quotidien. Avec mes tableaux, je voyage partout, en imagination s’entend. J’ai besoin de tout cela pour éveiller mon esprit, même si je trie, pour refuser de voir ce qui trop enténèbre l’humanité, les hommes». PR

Encadré

Combien ça coûte?

La prochaine expo de Soeur Isabel Bachmann aura lieu du 10 février au 28 avril à la Médiathèque à Saint-Maurice, dans le cadre du centenaire de la Congrégation à laquelle appartient la religieuse. Combien coûte une de ses toiles? «Entre 200 – pour les plus petites -et 2’000 francs», valeur affective comprise. Et l’argent ainsi gagné? «Seule me revient une partie de la somme. Quand je vends un tableau, avec ma communauté, nous avons convenu d’une caisse, dont une partie va pour renouveler le matériel de travail, couleurs, toile, pinceaux, où faire face à d’autres frais liés à des expos et à des déplacements pour mon travail de peintre». Et les toiles de Soeur Isabel se vendent. Une expo à Martigny dans le cadre d’une action humanitaire avait vu plus de la moitié de ses tableaux partir, sans doute plus d’une cinquantaine. Combien de temps pour faire une peinture? Cela dépend. Mais jamais au-delà d’une semaine.

Son autre «mi-temps», Soeur Isabel le consacre à l’abbaye de St-Maurice. Preuve que les diplômes servent, la sacristine de l’abbaye en a bien besoin pour la préparation des cérémonies liturgiques, les décorations et arrangements floraux, selon les saisons ou la liturgie. Un travail rémunéré. «Une manière pour moi de faire ma part de boulot et ne pas être une charge pour ma communauté», commente-t-elle avec l’humour la caractérisant. PR

Encadré

Austère, la vie de couvent?

Entre la peintre, la religieuse, la sacristine et la fleuriste, l’harmonie de la vie de Soeur Isabel trouve dans la fabrication de marionnettes un complément à sa personnalité. Dans son atelier, le théâtre qu’elle a fabriqué, marionnettes et costumes compris, n’attend plus que les rires du public. Les scénarios et les textes? C’est elle qui les construit, les invente, leur donne forme. Des personnages de Pinocchio à Gepeto, revus et corrigés par elle, à Jonas, son bateau et son avaleuse de baleine, en passant par des scènes de la vie de Jésus, sans parler du sens de l’improvisation. Ses consoeurs ne sont du reste pas les dernières à rire des frasques des héros mis en scènes. «Un jour, se souvient-elle, devant un public d’enfants, j’avais eu recours à une collègue québécoise, pour prêter sa voix à Jésus. J’avais pensé à tout ou presque. Sauf à l’accent québécois de mon assistante. La pièce n’avait rien de spécialement comique. Mais de mémoire de marionnettiste, on n’avait jamais entendu une salle rire autant». Mais qui donc a dit que la vie de couvent était austère? PR

Des illustrations de cet article reportage peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: info@ciric.ch

Dorénavant, les photos de CIRIC peuvent être aussi commandées automatiquement par nternet sur le site www.ciric.ch

(apic/pr)

3 février 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Un lieu pour renaître: la Maison de la Grâce, en Galilée

APIC – Reportage

Quand tout semble perdu, il y a toujours au bout du chemin Kamil et sa famille

Jacques Berset, Agence APIC

Haïfa, Israël, automne 1998. «L’alcool, j’ai commencé tout jeune; la drogue, dès l’âge de 11 ans…» Le parcours classique d’un toxicomane précoce: vols, prison, tentatives ratées de s’en sortir. Une vraie descente aux enfers pour le jeune Abed, puis enfin la baraka, la dernière planche de salut: la Maison de la Grâce, institution créée à Haïfa par Kamil et Agnes Shehade-Bieger, un couple palestino-suisse.

Initiative unique en son genre en Israël, généreusement soutenue par les chrétiens de Suisse, la Maison de la Grâce est une lueur d’espoir pour les ex-prisonniers, drogués, familles à la rue et proscrits de toute la Galilée. Arabes israéliens pour la plupart. Travailleurs immigrés roumains à la dérive, voire immigrants juifs de Russie mal intégrés dans la société israélienne, ils sont de plus en plus nombreux à frapper à leur tour à la porte de Kamil Shehade et de son équipe de travailleurs sociaux.

Au 10 de la rue Pal Yam à Haïfa, la métropole trépidante du nord d’Israël, la Maison de la Grâce a pris ses quartiers il y a 18 ans dans les locaux de l’ancienne cathédrale melkite. Au cœur de la vieille ville arabe aujourd’hui vidée de ses habitants et rasée, le bâtiment est une oasis cernée de toutes parts par la masse de béton des buildings modernes.

Tous les lits pour les ex-prisonniers sont occupés

Près de 40 personnes y vivent: d’abord Kamil, sa femme Agnes et leurs cinq enfants. A leurs côtés, des travailleurs sociaux et criminologues salariés, des conseillers, du personnel de cuisine, des volontaires étrangers venus de Suisse, d’Allemagne, de Hollande et de Suède. L’originalité de la maison ? L’accueil d’ex-prisonniers: le dernier lit vient d’être occupé, 21 taulards sont actuellement placés là par les autorités pénitentiaires. Abed, 33 ans, est de ceux-là. Il vient de la ville voisine d’Akko, la mythique St-Jean d’Acre des croisés. Dans le bruit strident des perceuses, Abed émerge de la poussière soulevée par les ponceuses dans l’atelier dirigé par Peter t’Lam, un volontaire hollandais à la barbe poivre et sel. >, déplore le fondateur de la Maison de la Grâce.

Les Palestiniens existent enfin

Figure emblématique de la communauté arabe de Galilée, militant non-violent engagé dans de nombreuses activités pour la paix en compagnie de Palestiniens et d’activistes juifs, Kamil Shehade est une personnalité respectée par les Israéliens. Dans le passé, les autorités lui ont pourtant longtemps attribué des . N’a-t-il pas été arrêté à l’aéroport Ben Gourion, un jour de 1974, à son retour de New York. Il avait alors plaidé aux Nations Unies pour l’existence d’un Etat palestinien à côté de l’Etat d’Israël…

Dangereux pour les Juifs, qui le soupçonnaient de fomenter la révolution dans la communauté arabe d’Israël – Golda Meir n’avait-elle pas déclaré: >

Entre deux bouffées tirées d’un magnifique narguilé, Kamil parle d’une voix douce, mais déterminée. Il aligne les données, précises et documentées. L’homme sait de quoi il parle: sa famille vit depuis quatre générations à Haïfa, d’où vient sa mère. Son père est originaire de Shefar’am, une localité arabe israélienne à une vingtaine de km au nord-est de Haïfa. Avant la création de l’Etat d’Israël, Haïfa était majoritairement arabe, avec d’importantes communautés chrétiennes, qui ont été décimées. Ainsi l’Eglise melkite disposait de 5 églises desservies par 22 prêtres. >

Les Israéliens, affirme Kamil Shehade, ont toujours une bonne raison pour faire des différences, le du service militaire est imparable.

Ces cinq ou six dernières années, avant l’arrivée massive des immigrants russes, on trouvait à Haïfa de bons appartements à louer pour 200-250 dollars mensuels, alors que le salaire moyen est de quelque 1200 dollars. Ces mêmes loyers ont doublé avec l’arrivée des Juifs de Russie.

«Secnot», l’organisation qui s’occupe des nouveaux immigrés, n’a pas suffisamment de maisons à disposition, alors elle loue pour eux des appartements àà bon prix. Résultat: les propriétaires se débarrassent de leurs anciens locataires. Comme ils encaissent le loyer d’une année directement des pouvoirs publics, ils préfèrent ainsi loger les nouveaux arrivés: c’est garanti et cela rapporte plus! Les jeunes couples ne trouvent plus d’appartements abordables, ils cherchent alors à émigrer.

Pour une population qui dépasse le quart de million, le gouvernement a bâti pour l’ensemble des Arabes d’Haïfa quelque 80 appartements, en tout et pour tout !

L’espoir malgré tout…avec un autre gouvernement

Comment qualifier cette politique, questionne tout haut le fondateur de la Maison de la Grâce ?

Kamil Shehade, qui travaille en vue de l’an 2000 à un projet de avec le leader travailliste Shimon Peres, ne le cache pas: les travaillistes sous cet aspect ne se sont pas mieux comportés envers les Arabes que le Likoud et le reste de la droite. Historiquement, ce sont eux qui ont mené une politique de confiscation des propriétés arabes; la plupart des kibboutz ont été installés sur des terres prises aux Arabes sous le régime travailliste. Mais le militant palestinien israélien pense à l’avenir et réfléchit à voix haute à l’après-Netanyahou:

30 novembre 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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