L'héroïsme d'Arnaud Beltrame a été largement honoré en France | © MAXPPP Pascal Bonnière/Keystone
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Arnaud Beltrame: «Prenons garde aux stéréotypes»

Arnaud Beltrame, le gendarme français tué par un terroriste islamiste après avoir pris la place d’une otage, est porté aux nues dans son pays en tant que «héros de la nation» ou «nouveau martyr». Philippe Gonzalez, sociologue des religions à l’Université de Lausanne, met toutefois en garde contre la création de figures stéréotypiques clivantes.

Un hommage national sera rendu, le 30 mars 2018 à Paris, au gendarme de 44 ans. Depuis le 23 mars, lorsqu’il a péri sous le couteau d’un «soldat de Daech», dans un supermarché de Trèbes, dans le sud de la France, des flots de louanges pour son acte de bravoure inondent la sphère publique.

Laïcité pas de mise

Français de souche, fervent catholique et patriote, sur le point de se marier, Arnaud Beltrame est un «héros archétypique», souligne Philippe Gonzalez. «Sans que cela n’enlève quoique ce soit à la grandeur de son acte, il est important de constater qu’il existe de considérables enjeux derrière cette affaire», relève le sociologue lausannois. Il interroge la couverture médiatique, qui a mis particulièrement en avant les convictions religieuses du gendarme. «Il y a une tendance à souligner cet aspect particulier de sa personnalité». Plusieurs médias ont notamment publié la lettre d’hommage du chanoine qui le préparait à son mariage.

«Le terroriste du Super U de Trèbes constitue un parfait profil de ‘méchant’»

Pour le spécialiste des religions, cela fait partie d’un processus de construction ‘après coup’ de la figure héroïque. Cette démarche établit un certain nombre de liens, en particulier entre la France et ses racines chrétiennes. «On peut se demander pourquoi, dans un Etat aussi laïc que la France, les convictions religieuses d’un individu sont ainsi mises en exergue. Après tout, les fonctionnaires morts en exercice tombent avant tout au service de la nation». Arnaud Beltrame n’a en effet pas été tué parce qu’il était catholique, mais parce qu’il représentait l’ordre public.

Un manichéisme qui peut faire le jeu des extrêmes

Le sociologue remarque que l’aspect confessionnel des victimes musulmanes du terrorisme islamiste fait rarement l’objet d’un développement par la presse. Alors que, par exemple, la première victime de Mohamed Merah, en 2007, était un militaire d’origine maghrébine. Ce dernier a été visé comme «mauvais» musulman, car il servait sous les couleurs de l’État français. Il s’agit ainsi de se demander à quel moment la foi d’un individu est pertinente dans le cadrage médiatique.

«A l’opposé, le terroriste du Super U de Trèbes, petit délinquant, naturalisé et musulman radicalisé, constitue un parfait profil de ‘méchant’», relève Philippe Gonzalez.

«Il faut distinguer entre la réalité empirique de la prise d’otages de Trèbes, et le récit héroïque stéréotypé que peuvent en tirer certains médias». Pour le sociologue, opposer ainsi des stéréotypes peut empêcher de percevoir la complexité du phénomène terroriste. «Il faut garder à l’esprit que cette forme de manichéisme peut être récupéré pour faire le jeu des extrêmes, des deux côtés», prévient Philippe Gonzalez. (cath.ch/rz)

 

L'héroïsme d'Arnaud Beltrame a été largement honoré en France | © MAXPPP Pascal Bonnière/Keystone
27 mars 2018 | 17:32
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 2 min.
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