Bangladesh: Journalistes et intellectuels ciblés par les islamistes

Dacca, 31 mars 2015 (Apic) La série de meurtres contre des journalistes, blogueurs et intellectuels, commis par des islamistes fanatiques au Bangladesh, inquiète vivement la communauté internationale. L’assassinat à coups de couteau, lundi 30 mars, dans la capitale Dacca, du blogueur athée Washiqur Rahman, 27 ans, est le troisième de ce type en l’espace de deux ans.

Ce nouvel attentat sanglant commis par des étudiants d’une madrasa (école coranique), intervient un mois après le meurtre à la machette, le 26 février dernier à Dacca, du blogueur et écrivain Avijit Roy, âgé de 42 ans. Cet auteur de nationalité américaine et originaire du Bangladesh, était venu assister à un salon du livre où deux de ses ouvrages étaient présentés. Sa femme, la blogueuse Rafida Ahmed Bonna, a été grièvement blessée.

L’ONU condamne l’assassinat d’un blogueur athée

En 2014, Avijit Roy avait reçu des menaces de mort de la part de la Jamaat-e-Islami. Les intégristes l’accusaient de blasphème, lui promettant le même sort que celui du blogueur Thaba Baba, assassiné également à coups de machette en 2013. Auparavant, entre 2004 et 2013, deux écrivains avaient été assassinés par des extrémistes qui dénonçaient leurs écrits.

Les Nations Unies, Amnesty International ainsi que l’ambassade de France dans la capitale du Bangladesh ont dénoncé l’assassinat de Washiqur Rahman, le qualifiant de nouvelle et grave atteinte à la liberté d’expression. L’ONU, par la bouche de son porte-parole Farhan Haq, a estimé que ces attaques contre différents journalistes et intellectuels étaient «extrêmement préoccupantes». «Nous appelons les autorités du Bangladesh à faire toute la lumière sur ces actes révoltants (…) Nous rappelons à nouveau notre attachement à la liberté d’opinion et d’expression, y compris sur internet», écrit l’ambassade de France à Dacca.

Les autorités bangladaises sommées de se «réveiller»

Pour Amnesty, ce nouvel assassinat en un mois doit être un appel aux autorités à se «réveiller» pour créer un environnement sûr pour les journalistes et les militants, leur permettant d’exprimer leurs vues sans craindre d’être attaqués. «Combien de blogueurs vont-ils encore être attaqués avant que les autorités ne prennent des mesures ?», se demande Abbas Faiz, chargé du Bangladesh à Amnesty International. Et de déplorer l’absence de poursuites, même après qu’une enquête ait été menée. «Cela envoie le message que de telles actions barbares sont tolérées».

Reporters sans frontières a dénoncé le meurtre de Washiqur Rahman, appelant le Premier ministre du Bangladesh «à combattre l’insécurité croissante dans le pays, sous peine de voir la fuite de tous les penseurs laïques et l’installation définitive d’une autocensure stricte dans tous les débats publics». L’organisation de défense de la liberté de la presse a également déploré «la passivité des autorités en matière de protection des blogueurs, et particulièrement de ceux qui s’expriment et informent sur la religion, les libertés fondamentales et les extrémistes de toutes sortes».

Les libres penseurs dans le collimateur des islamistes

Washiqur Rahman travaillait dans une agence de voyage et menait, sur son temps libre, une activité de blogueur, où il se montrait, comme libre-penseur progressiste, opposé au fondamentalisme religieux. Selon la police bangladaise, les agresseurs suivaient leur victime depuis la veille au soir et ils ont attendu le matin du 30 mars pour l’attaquer.

Washiqur Rahman a été «brutalement poignardé à mort avec de gros couteaux à environ 500 mètres de chez lui», dans le quartier industriel de Tejgaon, au centre de Dacca, précise la presse locale, où l’on peut lire que les agresseurs ont attaqué Washiqur Rahman au visage, lui laissant peu de chances de s’en sortir, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).

Les partis islamistes exigent une ” loi anti-blasphème» comme au Pakistan

La victime a été déclarée décédée à son arrivée à l’hôpital. Sur les trois assaillants, deux ont été interpellés par la police, le troisième ayant réussi à s’enfuir. Il s’avère que les deux hommes interpellés étudiaient dans des écoles coraniques (l’une, Darul Ulum, située à Dacca, l’autre à proximité de Chittagong). «Les deux agresseurs étudient dans des madrasas, mais nous les soupçonnons d’appartenir à une organisation militante», a déclaré Biplob Kumar Saha, commissaire adjoint à Tejgaon.

EdA relève que selon les observateurs, la violence à l’encontre des athées et des libres-penseurs ne faiblira pas tant que les partis islamistes maintiendront leur pression sur le gouvernement pour obtenir le vote d’une loi anti-blasphème semblable à celle qui est en vigueur au Pakistan. «Même si l’actuel pouvoir en place a fermement affirmé son opposition à un tel projet, dans les faits, il n’a eu de cesse de contenter ces partis extrémistes en harcelant et en arrêtant nombre de blogueurs militant pour la défense du caractère laïque des institutions nationales. A chaque fois, le gouvernement a agi en utilisant les articles de loi qui, dans le Code pénal bangladais, punissent l’atteinte au ‘sentiment religieux’». (apic/eda/com/be)

31 mars 2015 | 14:33
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
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