Bourguillon: Interview bilan avec le directeur de l’Institut Philanthropos, avant la passation de pouvoir

Bientôt un Master en anthropologie comparée, en partenariat avec l’Université de Fribourg

Bourguillon, 1er juin 2012 (Apic) Depuis sa création en 2004, le Français Yves Semen dirige l’Institut européen d’études anthropologiques Philanthropos, à Bourguillon près de Fribourg. Le 30 juin prochain, le philosophe retournera dans la Drôme, confiant la direction à Fabrice Hadjadj. Entrevue pondérée et chaleureuse, entre deux volutes de fumée, avec celui qui a contribué à la conception du projet, à sa mise en route et à l’acquisition de sa maturité institutionnelle.

Yves Semen partage ce mot célèbre d’Albert Einstein: «Avant de répondre à une question, il faudrait toujours allumer sa pipe». La cinquantaine à peine entamée, ce chrétien engagé, père de huit enfants, a les épaules solides. Il le fallait pour se lancer dans l’aventure Philanthropos.

Apic: Yves Semen, vous avez porté l’Institut dès sa création en 2004. Quel bilan tirez-vous?

Yves Semen: Le premier bilan à tirer est que, sur l’essentiel, nous ne nous étions pas trompés. La question de l’anthropologie est la plus actuelle et la plus fondamentale à éclairer aujourd’hui. Si autant de jeunes ont été sensibles à notre proposition en matière anthropologique (250 étudiants en huit volées, ndlr), c’est la preuve qu’elle correspondait à un véritable besoin.

En même temps, il y a la certitude qu’il est nécessaire d’aller plus loin, de porter plus haut les perspectives honorées dans cet Institut. Je parle d’honorer une anthropologie «intégrale», c’est-à-dire l’approche de la personne humaine qui fasse converger, sans les confondre, le regard de la philosophie (anthropologie philosophique: ce que la raison humaine peut dire sur cette réalité qu’est l’Homme), le regard de la théologie (anthropologie théologique: ce que Dieu Lui-même nous révèle de son projet d’amour sur l’Homme), et le regard des sciences humaines (anthropologie des sciences humaines qui apportent des éclairages intéressants. Elles ne sont pas à négliger). Ces trois regards à eux seuls sont insuffisants pour dire en plénitude ce qu’est l’Homme.

Or, le problème actuel de l’anthropologie, c’est qu’elle est habituellement réduite au seul champ des sciences humaines. Et c’est là que Philanthropos fait œuvre novatrice, en dénonçant ce réductionnisme et en plaidant pour une approche «intégrale» de la personne humaine, admettant qu’il demeurera toujours dans l’Homme une part de mystère.

Apic: Quels sont les chantiers que vous laissez?

YS: Tout d’abord, la création d’un Master en anthropologie comparée, développé en partenariat avec la faculté de théologie de l’Université de Fribourg sur deux ans. Il intégrera une partie des enseignements de l’année de formation actuelle: les modules et les sessions. La deuxième année sera partagée à égalité entre les registres de l’anthropologie théologique, philosophique et des sciences humaines. Ce dernier registre est entièrement développé par Philanthropos. Tout porte à penser que la création de ce Master pourra être annoncée pour la rentrée académique 2012-2013, achevant ainsi un processus d’élaboration qui aura duré plus de trois années.

Un autre projet est la mise à disposition d’un enseignement à distance, assisté par ordinateur, sur une partie importante des enseignements de l’année de formation (modules thématiques sur les questions contemporaines d’anthropologie et sessions d’approfondissement). Ce système de e-learning nous permettra de rejoindre tous ceux qui ne peuvent pas libérer une année ou se déplacer pour suivre la formation en auditeur libre. Dès la fin juin, un premier package de trois modules thématiques sera accessible par ce système (La personne et entreprise, La personne et la conscience morale, Anthropologie et théorie du gender). A l’horizon 2014, nous prévoyons la mise en ligne de vingt modules thématiques et de cinq sessions d’approfondissement. Notre ambition est d’atteindre, par ce biais, plusieurs milliers de bénéficiaires.

Apic: Avez-vous des regrets?

YS: Je regrette de ne pas avoir pu mener à terme le projet commencé en 2008, à mon initiative, d’un essaimage de Philanthropos au Québec. Un certain nombre d’éléments favorables rendaient ce projet envisageable: un appel de l’Eglise par le cardinal Marc Ouellet, à l’époque archevêque de Québec, des possibilités de partenariat analogues à celles qui nous lient avec l’Université de Fribourg avec l’Université de Laval de Québec, des soutiens financiers locaux et le soutien d’une communauté nouvelle du Québec pour l’encadrement spirituel. Elle aurait pu jouer, à l’égard de cette nouvelle fondation, un rôle comparable à celui de la Fraternité Eucharistein à Bourguillon.

Il semble que la Providence nous invite à en différer la réalisation… Mais à terme, un essaimage de Philanthropos serait la meilleure preuve de la pertinence de notre démarche.

Apic: Certains voient la création de l’Institut comme une sorte de «doublon» avec l’Université de Fribourg. Que leur répondriez-vous?

YS: Cette volonté d’honorer une anthropologie «intégrale»: philosophique, théologique et scientifique qui caractérise Philanthropos, n’est pas offerte ailleurs. En ce sens, il n’y a nul «doublon» autre que sectoriel avec l’Université. C’est au contraire une heureuse complémentarité.

Apic: Yves Semen, avez-vous une recommandation à donner au philosophe français Fabrice Hadjadj, votre successeur?

YS: Une recommandation, ce serait peut-être présomptueux. Fabrice Hadjadj n’en a pas besoin. Un souhait oui, celui de poursuivre dans la ligne qui a été confirmée par la continuité et un rayonnement certain. Celui aussi de persister dans l’effort singulier de communication entrepris depuis deux ans. Il nous a permis de doubler nos effectifs (48 étudiants en 2012, ndlr) et d’accroître la notoriété de l’Institut.

Apic: Vous êtes Français tout comme le prochain directeur. N’y avait-il pas une personnalité suisse prête à relever ce défi?

YS: Dans le choix en 2004 d’un Français plutôt qu’un Suisse, je ne vois pas d’autres raisons que la volonté d’une véritable ouverture européenne qui ne se réduise pas seulement à des mots. Peut-être aussi la considération que la seule Suisse romande ne permettrait jamais d’atteindre un effectif suffisant pour une véritable fécondité pédagogique.

Apic: Mais revenons à votre ’fécondité’. Avez-vous des projets de publications?

YS: Oui, j’ai trois ouvrages en perspective, tournant autour de la promotion de certains aspects encore méconnus de la pensée de Jean Paul II. (apic/ggc)

Encadré

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