Le Covid-19 qui se développe en République du Congo menace les populations pygmées de la forêt équatoriale |  © ACN
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Congo: les Pygmées, déjà précarisés, craignent l'arrivée du Covid-19

«Avec le Covid-19 qui est arrivé aussi chez nous, nous sommes très inquiets», confie à cath.ch l’abbé Franck Bango, curé de la toute première paroisse pygmée de la République du Congo (Congo-Brazzaville). Le coronavirus risque de provoquer une hécatombe parmi ces groupes de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs des forêts tropicales d’Afrique centrale aujourd’hui déjà confrontés à une précarisation croissante.

L’abbé Franck Bango était invité à la fin avril 2020 en Suisse alémanique par l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN), qui soutient son action auprès des Pygmées, une population autochtone de petite taille souvent marginalisée et discriminée. Le prêtre congolais aurait dû témoigner de son engagement auprès de cette population, mais a dû renoncer en raison de la pandémie du Covid-19.

Abbé Franck Bango, curé de la première paroisse pygmée de la République du Congo | © ACN

Curé de cette paroisse particulière, située dans le diocèse d’Ouesso, au nord de la République du Congo, l’abbé Bango relève qu’il existe certes des Pygmées catholiques depuis quelques années, mais leur présence reste très discrète.

La paroisse pygmée ‘Bienheureuse Marie de la Passion’

«Ils fréquentent les paroisses proches de leur village, dans plusieurs diocèses, cela grâce au travail de fond initié par les missionnaires spiritains dès les années 1960/1970, puis par les Sœurs franciscaines missionnaires de Marie». 

La vraie nouveauté, précise le prêtre congolais, «c’est de créer une paroisse dans leur village, tenue par eux-mêmes et commencée à leur demande. Cette initiative a pris forme. La paroisse s’appellera ‘Bienheureuse Marie de la Passion’, en l’honneur de la fondatrice des Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie, et aussi pour rappeler que les Sœurs franciscaines travaillent à leurs côtés depuis plusieurs décennies».

Absence d’une «culture du grenier»  

Les Pygmées n’ont pas encore vraiment la «culture du grenier», c’est-à-dire l’habitude d’économiser pour le lendemain. «Ils doivent travailler chaque jour pour pouvoir manger». Le 14 mars 2020, la nouvelle est tombée: la première personne infectée se trouvait à Brazzaville. Depuis lors, le gouvernement congolais a décrété un confinement général de toute la population.

«Nous sommes très inquiets pour la population pygmée et pour nous-mêmes. Quelques mesures d’accompagnement ont été prises par le gouvernement – gratuité de l’eau et de l’électricité – mais elles n’auront aucun impact sur eux, car ces deux denrées sont très loin de leur quotidien. Les Pygmées finiront par mourir non de maladie mais de faim. Nous sommes assez démunis pour leur venir en aide !»

«Aucun hôpital pour nous prendre en charge»

Si la maladie arrive dans la paroisse de l’abbé Bango – située à 800 km de Brazzaville – la population sera complètement démunie: «Nous serons peut-être tous emportés, tant eux que nous, si cela est grave. En effet, il n’y a aucun hôpital pour nous prendre en charge». Les Sœurs Missionnaires du Sacré Cœur ont certes un grand centre de santé, mais il se trouve à Sembé, à 200 km de là, et les Sœurs Franciscaines missionnaires de Marie ne disposent que d’une petite infirmerie, adaptée surtout aux maladies courantes comme le paludisme ou la typhoïde.

Présentant sa paroisse, le Père Franck Bango souligne qu’à l’exception de ce que fait le prêtre, presque tout le fonctionnement de la communauté incombe aux populations autochtones, comme on doit désormais appeler les Pygmées (selon la Loi n° 5-2011 de la République du Congo du 25 février 2011 portant sur la promotion et la protection des droits des populations autochtones, l’utilisation du terme pygmée est interdite. Elle est assimilée à l’infraction d’injure telle que prévue et sanctionnée par le Code pénal, ndlr).

Les autochtones sont eux-mêmes catéchistes, tiennent la trésorerie, font le programme des célébrations liturgiques, forment la chorale et les servants de messe… sans pour autant se replier sur eux-mêmes. Dans leur paroisse, chacun est le bienvenu, y compris celui qui n’est pas pygmée. «Nous commençons aussi à fonctionner déjà comme une paroisse, avec un conseil pastoral et des mouvements d’apostolat qui commencent à se structurer timidement».

Depuis six ans au service des Pygmées

En 2014, quand il est arrivé dans sa nouvelle paroisse, l’abbé Bango ne venait ni donner de l’argent, ni dispenser des services humanitaires comme le font les sœurs, toujours présentes aujourd’hui pour les soins de santé et les écoles. «Je venais évangéliser. Point. Les autochtones étaient un peu réticents, car ils ne me connaissaient pas. Deux ans ont été nécessaires pour qu’ils m’acceptent».

Le prêtre missionnaire a vécu avec eux, est allé à la pêche avec eux… «Ils pensaient que le Christ n’était pas compatible avec leurs traditions, mais j’ai découvert qu’ils vivaient déjà certaines valeurs évangéliques sans même le savoir. Ils se méfiaient aussi, car ils avaient l’expérience des promesses non tenues par les candidats aux différentes élections: législatives, municipales…»

Des valeurs évangéliques

Evoquant les valeurs qui prévalent au sein de ces populations autochtones, l’abbé Bango souligne que les couples se marient pour la vie. Le concept de divorce n’existe pas chez eux. Ni celui de polygamie. Ils ne sont pas matérialistes, n’ont pas d’argent pour acheter une télévision.

Cérémonie de mariage chez les Pygmées Ces populations autochtones se marient pour la vie | © ACN

«Leurs biens, c’est la famille. Ils sont très attachés à la vérité. Une vérité entre eux surtout, mais aussi avec toute personne de l’extérieur. Pour cela, il faut cependant une bonne période de découverte mutuelle».

Quand l’abbé Bango leur a expliqué leur proximité avec la doctrine de l’Eglise, les choses ont commencé à changer. «Ils m’ont écouté et, comme ils sont dotés d’une mémoire hors norme, ils retiennent tout. Du coup, en juin 2016, nous avons célébré les deux premiers mariages avec baptêmes. En 2017, les mêmes ont été confirmés. L’un d’eux est déjà formé comme catéchiste». 

En 2018, il y a eu de nouveaux mariages, des nouveaux confirmés et baptisés. La cérémonie s’est déroulée pendant un grand rassemblement des autochtones de tous les grands villages pygmées du diocèse de Ouesso, à Zoulabouth, dans la Sangha, une région proche des frontières avec le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine.

C’était une rencontre pendant trois jours sur le thème: «autochtones et chrétiens: une rencontre pour le témoignage». Il y a eu un temps de formation sur l’animation liturgique en l’absence du prêtre pendant deux jours, un grand concert religieux des chorales des différentes communautés et la célébration des sacrements lors de la fête de la Sainte Famille.

Des populations autochtones nomades  

Il n’est pas facile de dénombrer ces populations, car elles sont nomades. Mais le Père Bango les estime à 3’000, se répartissant un peu partout dans le diocèse, et à une centaine, là où commence la paroisse, dans le village de Péké.

De nombreux Pygmées d’Afrique centrale ont été expulsés de leur habitat traditionnel en forêt | © Salomé/Survival


Dans l’ensemble, ces fidèles viennent à la messe tous les dimanches. Mais les premiers temps, quand arrivait le week-end et qu’il y avait une fête de la circoncision (fête traditionnelle pygmée), ils buvaient tellement le samedi que le dimanche, ils étaient trop saouls. Ils disaient alors au Père Bango: «monsieur l’abbé, tu vas prier seul !» Alors le prêtre essayait de leur montrer que l’alcool diminuait le respect que leurs femmes et leurs enfants pouvaient leur porter.

«Ça a commencé à les interpeller, petit à petit. Maintenant, ils vont toujours à leur fête mais ils  boivent modérément… pour pouvoir aller à la messe le lendemain ! Aujourd’hui, c’est intégré. La messe du dimanche n’est plus seulement une option. Elle fait partie des exigences de la vie de foi. Il faut dire qu’il y a toujours ceux qui viennent à la messe quand ils ont le temps ou s’il y a la fête, mais ils sont encore nombreux chaque dimanche à participer».

La foi catholique change quelque chose dans leur vie

Ces populations voient d’un bon œil que l’Eglise tente de les éloigner de leurs pratiques de fétichisme, qui consistent à jeter des sorts et qui provoquent des dissensions internes, constate le missionaire. «J’essaye aussi, par exemple, de leur enseigner à ne pas prendre ce qui ne leur appartient pas. Ils n’ont pas la «culture du grenier», des économies, car ils ne disposent pas forcément des moyens matériels pour le faire, notamment d’un réfrigérateur, et ça les expose à la précarité».

Autrefois, poursuit-il, ils travaillaient toujours dans les champs des autres. «Maintenant ils apprennent à travailler pour eux-mêmes. Avec le confinement décrété par le gouvernement pour barrer la route au coronavirus, ils ont mis en valeur ce temps pour travailler dans leurs propres champs. Ce qui est une avancée notable !»

A Péké, quand l’abbé Bango est arrivé en 2014, il y avait chez eux notamment «l’Eglise du Dieu de l’huile» et celle de la «Pentecôte», auxquelles s’est ajoutée la «Chapelle des vainqueurs international».  Mais comme ces sectes proclamaient que quand on est malade, la maladie ne vient pas de Dieu mais d’un oncle ou d’une tante qui a jeté un sort, cela divisait les familles. «Pour les Pygmées, la famille restant sacrée, ces églises ne les ont pas complètement convaincus. Avec le coronavirus, ces églises ont plié bagages. Quand on vit aux côtés de ces populations autochtones, il faut avoir beaucoup de patience… malgré les moments de découragement. Et les aimer, les aimer de tout son cœur !» (cath.ch/be)

Une population menacée de disparition

Les populations autochtones (pygmées) sont divisées en groupes distincts, tels, par exemple, les Twa, les Aka, les Baka ou les Mbuti, répartis dans plusieurs pays d’Afrique centrale: la République centrafricaine, la République du Congo, la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, l’Ouganda, le Cameroun et le Gabon. Selon les sources, les Pygmées dans les zones équatoriales seraient plusieurs centaines de milliers, les estimations allant jusqu’à 900’000. Ils seraient près de 600’000 en RDC.

Accaparement des terres traditionnelles

Dans de nombreux endroits, les populations autochtones (pygmées) tout comme d’autres communautés locales, ces dernières décennies, sont victimes de l’accaparement de leurs terres traditionnelles pour l’agriculture et l’exploitation du bois. Les Pygmées souffrent de la déforestation, de l’intrusion des compagnies minières et des guerres qui ravagent leurs terres. Ils assistent impuissants à la destruction de leurs sites traditionnels dans lesquels se trouvaient des arbres fruitiers (manguiers, safoutiers, avocatiers…) voire les tombes de leurs ancêtres.
Durant des millénaires, ces peuples indigènes avaient vécu de la chasse et de la cueillette dans les forêts tropicales d’Afrique centrale, d’où il arrive aussi qu’ils soient délogés par l’expansion des zones protégées, ce qui menace leurs moyens de subsistance et les liens étroits qui les unissent à la forêt. Le grignotage de  leur espace vital menace plus que jamais leur mode de vie ancestral qui remonte à l’Antiquité. JB

Le Covid-19 qui se développe en République du Congo menace les populations pygmées de la forêt équatoriale | © ACN
6 mai 2020 | 15:15
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 7 min.
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