Pour Catherine Ulrich, membre du Réseau des femmes en Eglise, la décision du Pontife d’ouvrir les ministères du lectorat et de l’acolytat aux femmes a représenté un véritable booster pour la légitimité de son combat | © Bernard Hallet
Suisse

Diocèse LGF: «On assiste à une libération de la parole des femmes»

En cette journée du 8 mars, les catholiques qui se battent pour une participation plus large de femmes dans les instances décisionnelles de l’Eglise dénoncent aussi les abus de pouvoir en son sein. Membres du Réseau des femmes en Eglise du diocèse LGF, Catherine Ulrich et Isabelle Vernet font le point. 

Les abus de pouvoir dans l’Eglise, Catherine Ulrich connaît. Avec le Réseau des femmes en Eglise, dont elle est membre, elle recueille actuellement la parole de femmes qui subissent cette forme de discrimination dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg: «Un prêtre, se souvient-elle, a dit sur le ton de la ‘plaisanterie’ à l’une de mes collègue assistante pastorale, très heureuse d’avoir animé une retraite spirituelle: Tu as dû faire baisser le niveau».

Des témoignages de ce type, qui fleurent bon le mépris et le sexisme, selon Isabelle Vernet, il y en a des dizaines. Elle qui s’occupe avec Myriam Stocker de les réunir au sein du Réseau le confirme: «J’en entends régulièrement dans les milieux l’Eglise». Cette aumônière à l’Ecole hôtelière de Lausanne, responsable de la coordination du bénévolat pour l’Eglise catholique vaudoise précise: «La différence, c’est qu’aujourd’hui, les femmes osent prendre la parole pour dénoncer ces comportements. Depuis une petite année, on assiste dans le diocèse à une libération de la parole des femmes.»

Effet Metoo

La peur serait-elle en train de changer de camp? «La peur est un point fondamental, réagit Isabelle Vernet. Des femmes salariées d’Eglise n’osent pas parler, de peur des répercussions sur leur lieu de travail. Mais c’est par la parole qu’on va casser ce cléricalisme dans lequel le prêtre est toujours au-dessus de tout, alors qu’il est censé être là pour servir! Il faut déconstruire nos habitudes!» Il y a une quinzaine de jours, elle a donc envoyé un mail aux sympathisantes du Réseau en les invitant à faire part de leur expérience: «Le processus vient de démarrer et nous sommes très déterminées à le poursuivre», souligne Isabelle Vernet.

Dans l’émission RTS Mise au Point diffusée le 21 juin 2020,  Mgr Morerod, évêque du diocèse LGF, s’était engagé à ce qu’une femme puisse disposer d’un pourcentage de travail pour récolter ces témoignages, «mais cela ne correspondait pas à la stratégie de nomination officielle de l’Eglise», leur a -t-il finalement été répondu. Responsable à Genève de l’Aumônerie catholique des personnes handicapées et de leurs familles, Catherine Ulrich et les cinq autres femmes du Réseau, salariées comme elle par l’Eglise, ont donc été autorisées à prendre sur leur temps de travail pour mener cette tâche. 

Prendre la mesure des abus

Ces témoignages serviront à être entendus par Mgr Charles Morerod, que les femmes du Réseau souhaitent rencontrer une fois par an: «Nous voulons qu’il prenne la mesure de tous ces abus qui existent dans notre milieu de travail», explique Catherine Ulrich, qui assure le lien avec la Conférence des évêques suisses. 

Derrière cette prise de conscience qu’elles estiment nécessaire et urgente, se profile un autre enjeu: «Nous demandons que les femmes soient largement représentées dans les instances décisionnelles de l’Eglise», résume Catherine Ulrich. Elle cite en exemple la Conférence des ordinaires romands (COR), qui réunit évêques et vicaires épiscopaux et qui discute des principales décisions à prendre au sein de l’Eglise en Suisse romande: «C’est dans cette instance que se discute des questions comme celle des divorcés remariés, par exemple. C’est un lieu de réflexion sur l’organisation et les pratiques de notre Eglise et il n’y a que des hommes». 

Des lieux exprimant une vision féminine de la société

Pour Catherine Ulrich, l’Eglise se prive ainsi d’un apport précieux: «Nous représentons la moitié du peuple de Dieu en marche et la vision que les femmes ont de la société complète celle des hommes et donne à la réflexion une vision plus large de la communauté chrétienne. En outre, j’estime que la femme a un droit légitime à donner son avis sur la stratégie de l’Eglise.» Elle espère donc que les lieux d’Eglise se transforment peu à peu en lieux d’altérité permettant aux hommes de se confronter à une vision féminine de la société. 

Certes, nuance-t-elle, il y a en Suisse la volonté d’intégrer davantage de femmes au sein de l’Eglise, citant la Fribourgeoise Marianne Pohl-Henzen nommée déléguée épiscopale pour la partie germanophone du canton de Fribourg ou encore Joëlle Carron, une femme laïque au poste de déléguée épiscopale de la diaconie valaisanne. «Mais il en faudrait bien plus pour que les femmes se sentent soutenues dans leur vision des choses et pour qu’elles ne subissent pas la pression que l’on connaît, lorsqu’elles sont ultra-minoritaires dans un milieu d’hommes.» Bref, il y a encore, à l’écouter, «un énorme travail à faire pour changer les mentalités dans les milieux d’Eglise, où l’on constate une inertie pesante et de nombreuses résistances».

Parler d’une même voix

Depuis la grève des femmes, le 14 juin 2019, le Réseau des femmes en Eglise a ouvert le dialogue avec la Ligue suisse des femmes catholiques (SKF), «pour parler d’une même voix auprès de la Conférence des évêques suisses.» La SKF a invité une délégation du Réseau des femmes en Eglise à participer à une journée de dialogue, le 15 septembre 2020. Si Catherine Ulrich, qui y a participé, estime que les évêques sont conscients de la nécessité de changer notre système par rapport à la place faite aux femmes, «il faut convaincre chaque évêque, si l’on veut que les choses bougent, et une certaine inertie empêche de nouvelles actions de se mettre en place.» Depuis, le dialogue se poursuit. 

En cette Journée internationale des droits des femmes, Catherine Ulrich a répondu à l’appel d’»Helvetia prêche», qui promeut des femmes comme prédicatrices pour le dimanche du 1er août: «Je serai en vacances, mais je vais m’inscrire, déclare-t-elle. Je l’avais aussi fait lors de la grève des femmes, et de voir des femmes prêcher fait évoluer les mentalités. Et puis, le vrai pouvoir est selon moi dans la prédication. Je vais m’engager pour que d’autres femmes le fassent aussi».

Une décision qui renforce la légitimé du combat

Dans les évolutions récentes qui ont fait avancer la cause des femmes en Eglise, pour elle, pas de doutes, la nomination de Sœur Nathalie Becquart comme sous-secrétaire du Synode des évêques, a été un signal fort: «C’est un exemple que donne que le pape et il faut que les évêques suisses fassent preuve de créativité à ce niveau-là». Quant à la décision du pontife d’ouvrir les ministères du lectorat et de l’acolytat aux femmes, elle a représenté un véritable booster: «Sa décision, sourit-elle, renforce la légitimité de notre combat». (cath.ch/cp)

Les revendications du Réseau des femmes en Eglise
Les femmes du Réseau revendiquent notamment …
-Une participation significative de femmes dans les instances décisionnelles et de formation: Conseil épiscopal, conseil de vicariat, Conférence des ordinaires romands, équipe et conseils pastoraux, conseil de paroisse et de communauté, Institut de formation aux ministères, séminaires, etc.
-La mise en place de commissions paritaires afin de repenser la diversité des ministères et des fonctions et de lutter contre le cléricalisme.
-Une rencontre avec l’évêque et les vicaires épiscopaux «au moins une fois tous les deux ans», dans chaque diocèse de Suisse romande, pour toutes les femmes engagées en Eglise, professionnelles et bénévoles, afin d’accompagner l’avancement des propositions. CP

Pour Catherine Ulrich, membre du Réseau des femmes en Eglise, la décision du Pontife d’ouvrir les ministères du lectorat et de l’acolytat aux femmes a représenté un véritable booster pour la légitimité de son combat | © Bernard Hallet
8 mars 2021 | 18:05
par Carole Pirker
Temps de lecture: env. 5 min.
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