«Donald Trump a gagné du soutien chez les catholiques»

Alors que les élections présidentielles aux Etats-Unis n’ont pas encore désigné de vainqueur, au 4 novembre 2020, il apparaît que Donald Trump possède un très solide soutien dans le pays. D’après Massimo Faggioli, professeur en science des religions en Pennsylvanie, le président aurait même rallié à sa cause un grand nombre de catholiques.

Au soir du 4 novembre, Joe Biden et Donald Trump sont au coude à coude et l’issue des élections est incertaine. Joint par téléphone aux Etats-Unis, Massimo Faggioli, professeur de théologie et de sciences religieuses à l’Université de Villanova (Pennsylvanie) fait le point sur la situation, également du point de vue religieux.

Comment vit-on cette élection aux Etats-Unis?
Massimo Faggioli: Il règne une grande incertitude. Tout le monde est tendu et plutôt inquiet. Tous les citoyens ressentent à quel point cette élection est importante pour l’avenir du pays. Et ils sont conscients que le moment est crucial.

Cela pourrait-il déboucher sur des violences?
C’est possible. D’autant plus que le président Trump a parlé sur Twitter de fraude des démocrates, et annoncé que lui et ses troupes ne se laisseront pas «voler» l’élection. Il semble vouloir contester les résultats sur le plan légal. Mais on peut également l’interpréter comme un appel à ses partisans à «passer à l’action» d’une manière physique. Ce qui est beaucoup plus inquiétant. Il est clair qu’une victoire de Donald Trump pourrait aussi créer un soulèvement de la part de ses opposants. Donc, surtout dans les grandes villes, des violences ne sont pas à exclure.

On dit que les Etats-Unis ne seront plus jamais les mêmes après ces élections. Quel sera selon vous le changement le plus significatif?
Quel que soit le vainqueur, la principale observation est que Trump n’est pas une aberration de l’histoire, mais un phénomène bien installé. Il a d’ores et déjà engrangé plus de voix qu’en 2016.

Il a gagné du soutien aussi parmi les catholiques. Il est parvenu à garder sa base d’évangéliques et de catholiques blancs. Et il a élargi son électorat parmi les catholiques et évangéliques latinos, ce qui était inattendu.

«Cela représente un message inquiétant pour le pape François»

Comment expliquer cela?
Principalement par la peur provoquée par une certaine radicalisation du camp démocrate, notamment sur les thèmes de mœurs. Sur l’homosexualité, les questions de genre, l’avortement, les milieux religieux latinos sont très sensibles. Il semble que l’approche «raciste» de Trump, notamment envers les Mexicains, les aient moins effrayés que les idées libérales des démocrates.

De manière générale, les Républicains peuvent compter sur la méfiance des milieux religieux dans la société américaine envers les «avancées sociales». Ils trouvent ainsi des voix également chez les hindouistes ou les musulmans.

Joe Biden apparaît certes comme un modéré sur ces questions, mais ils ont voté plus pour un parti que pour une personnalité.

Pourtant, le pape actuel, François, va plutôt en sens inverse des idées de Trump?
Oui, et cela représente certainement un message inquiétant pour lui. Car il semble que sa popularité et son influence soient au plus bas en ce moment aux Etats-Unis. Les questions de solidarité et d’environnement prônées par François ne font pas le poids chez beaucoup de catholiques américains face aux questions de société.

La nomination de la catholique Amy Coney Barrett à la Cour suprême a-t-elle joué un rôle pour «séduire» les catholiques?
C’est difficile à dire pour l’instant. Mais politiquement parlant, c’était certainement bien joué de la part de Trump. Car la Cour suprême sera majoritairement de son côté si elle doit jouer le rôle d’arbitre en cas de contestation des résultats.

Qu’est-ce que la campagne électorale a dit de l’état de la démocratie, des valeurs chrétiennes dans le pays?
La démocratie américaine est malade. Donald Trump n’a fait que saper le processus démocratique, encourager à la violence et à la division, notamment en fournissant des tonnes de Fake News et en relayant des théories conspirationnistes. Cela n’a pas d’équivalent dans l’histoire des Etats-Unis.

Concernant les valeurs chrétiennes, c’est une question subjective. Mais si l’on considère des principes tels que l’honnêteté ou la vérité, il est sûr qu’une régression a eu lieu.

«Cette élection va exacerber les tensions dans le milieu catholique»

Egalement de la part de Joe Biden?
Je ne dirais pas. Il a au contraire fait son maximum pour restaurer la confiance. Il a fait une campagne classique, dans les règles et injecté de la réflexion et de la sérénité dans le débat.

Quelle Amérique va donc ressortir de ce vote?
Un pays certainement encore plus divisé qu’avant. Si une majorité nette avait pu se détacher, cela aurait peut-être apaisé les esprits et remis les pendules à l’heure.

De plus, selon les premières projections, nous aurons également un Congrès divisé. Donc, nous sommes dans une situation très délicate. Pour ce qui est de mon domaine de recherche, je prévois que cette élection va exacerber les tensions dans le milieu catholique. Avec une moitié de fidèles qui demandera de façon plus véhémente des réformes et une autre qui va se retrancher dans ses valeurs traditionnelles. (cath.ch/rz)