En Bolivie, Sarah Burkhalter accompagne les réfugiés africains

Lausanne/Santa Cruz de la Sierra, 15.10.2015 (cath.ch-apic) «Les réfugiés qui arrivent en Bolivie ne sont pas nombreux: moins de 800 en moyenne annuelle ces dernières années, pour un pays de plus d’un million de km2 et une population de près de 11 millions d’habitants. La Bolivie est cependant le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud (*)», confie Sarah Burkhalter à cath-ch.

De passage en Suisse, l’assistante sociale vaudoise travaille à l’accompagnement des personnes migrantes au sein de la Caritas de l’archidiocèse de Santa Cruz de la Sierra.

«Coopér-actrice» de l’ONG COMUNDO, dont le partenaire romand est E-CHANGER, à Fribourg, la sociologue et anthropologue vaudoise participe au programme «Pastorale de la mobilité humaine» (PMH) de la Caritas diocésaine depuis juillet dernier. A Santa Cruz de la Sierra, la ville la plus peuplée de Bolivie avec 1,6 million d’habitants, située dans les plaines orientales du pays, elle travaille avec les migrants. Après un premier engagement pour E-CHANGER entre 2009 et 2012, Sarah Burkhalter est repartie en Bolivie. Pendant un an et demi, elle a travaillé dans l’organisation féministe «Colectivo Rebeldia» avant de rejoindre la PMH.

Les Africains se voient d’emblée refuser l’asile

«La majorité des réfugiés viennent de Colombie, fuyant les conditions de sécurité précaires dans ce pays, mais quelques Africains arrivent également, en provenance du Nigeria, d’Afrique du Sud, de Sierra Leone. La Bolivie n’a pas fait long feu pour leur refuser l’asile!», note l’assistante sociale. Elle connaît bien le problème de l’asile pour avoir travaillé au Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR), dépendant du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) de l’Etat de Vaud, qu’elle devrait rejoindre après son séjour en Bolivie, qui se termine fin 2016.
«La plupart de ces réfugiés africains arrivant à Sant Cruz ont été victimes de la traite d’êtres humains, ils ont dû payer des passeurs, et la plupart sont sans documents. Le délai pour la demande d’asile est de trois mois, mais ils ne font pas la démarche, ne connaissant pas la législation. Leur demande est rejetée, alors, avec l’aide d’un avocat bolivien, on lutte pour obtenir des visas humanitaires», poursuit la Vaudoise. «Mon job, c’est d’accompagner administrativement ces demandeurs d’asile. On m’a confié cette tâche parce que j’avais travaillé dans ce domaine en Suisse».

90% des Africains aidés par la PMH reçoivent un visa humanitaire

Ces réfugiés africains ne reçoivent ni aide sociale ni aide financière en Bolivie. «Certains d’entre eux font venir de l’argent de leur famille ou de leurs connaissances en Afrique, c’est un comble!»
S’ils arrivent si loin de leur destination première, qui était l’Europe, c’est parce que ces migrants africains étaient souvent restés bloqués au Maroc ou en Libye, à la merci des passeurs, avec le risque de se noyer en Méditerranée. «Alors ils sont arrivés au Brésil ou en Argentine, et pour différentes raisons, ils ont fini par débarquer en Bolivie. Ils n’auront un avenir dans ce pays que s’ils obtiennent un visa humanitaire. Mais c’est difficile: la plupart parlent anglais et non pas espagnol».
Ces migrants noirs ont d’immenses difficultés à s’insérer sur le marché du travail et sont souvent victimes de racisme. «Je ne sais pas comment ils font pour survivre, car ils ne reçoivent pas un centime d’aide de la part de la Municipalité ou de l’Etat…»
Ils obtiennent une aide ponctuelle de la part de la PMH, qui n’est dotée que de deux personnes: Sœur Osani, une religieuse scalabrinienne brésilienne, que seconde Sarah Burkhalter. «On paie un peu de matériel de départ, pour qu’ils puissent se mettre à leur compte, quelques cours, au cas par cas, et parfois une aide en cas d’urgence médicale. C’est ponctuel et sommaire!»

En butte aux contrôles d’une police souvent corrompue

L’Etat bolivien leur dit qu’ils ont le droit de travailler s’ils sont reconnus comme réfugiés, mais ils sont illégaux et sont en butte aux contrôles d’une police souvent corrompue, qui cherche à leur soutirer de l’argent. «Comme les réfugiés sont dispersés dans ce vaste pays – dans les villes de La Paz, Santa Cruz, Cochabamba – ils passent largement inaperçus. 90% des Africains dont nous nous sommes occupés ont finalement obtenu un visa humanitaire, et il leur est ainsi plus facile de trouver du travail».
Si la PMH dépend de l’Eglise, sa dotation financière et en forces de travail pose problème: «On a commencé de zéro, en obtenant un petit appui financier de la PMH nationale, mais c’est quasiment rien!» De plus, la Caritas doit faire face à d’autres priorités dans cette grande ville qui connaît de graves problèmes de sécurité: la violence est omniprésente dans la rue, avec son cortège d’assassinats, de vols et de viols. «On a perdu le sens de la citoyenneté, c’est la loi du plus fort, l’on ne fait plus confiance à son propre voisin».

Rapide dégradation de la cohésion sociale

Ces dernières années, le pays a vu une rapide dégradation de la cohésion sociale, et l’émergence du trafic d’êtres humains: chaque jour une personne est signalée disparue en Bolivie. Ces dernières années, la Bolivie est devenue le pays d’Amérique latine où l’on dénombre le plus de violences à l’encontre des femmes, et le deuxième de la région en ce qui concerne les violences sexuelles, selon l’Organisation panaméricaine de la santé.

«Des adolescentes sont enlevées et exploitées pour le commerce du sexe. De nombreuses Boliviennes qui partent travailler dans les pays voisins – Argentine, Brésil – sont exploitées. La grande ville compte de nombreux jeunes désœuvrés, laissés à eux-mêmes, confiés à des grands-parents souvent dépassés, tandis que leurs parents sont allés chercher du travail dans les pays voisins, voire en Europe. «Des trafiquants leur promettent des téléphones portables, des habits de marque, et ils se font entraîner dans toutes sortes de trafics, de la drogue à la traite humaine…  Pour tenter d’enrayer ce phénomène, qui atteint des proportions inquiétantes, la PMH fait tout un travail de sensibilisation dans les écoles, et travaille avec d’autres organisations pour sensibiliser la société». JB

(*) Taux de pauvreté en Bolivie selon la Banque mondiale (2014): 43 % (< 4 USD par jour); taux d’extrême pauvreté: 21 %.


Encadré

De plus en plus de réfugiés africains en Amérique latine

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en Amérique latine, si les centaines de milliers de demandeurs d’asile et de réfugiés sont en majorité originaires de Colombie, on trouve de plus en plus de personnes venant de pays d’Afrique et d’Asie dans ces mouvements migratoires. Ils viennent de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient, ce qui pose de nouvelles difficultés à des régimes d’asile parfois fragiles.

A quelques exceptions près, note le HCR, l’intégration locale des réfugiés continue de se heurter à des obstacles. L’intégration économique est entravée par la faiblesse des économies nationales et la dépression de marchés du travail discriminatoires. L’intégration locale des réfugiés extracontinentaux est encore plus problématique, en raison des différences culturelles et linguistiques et de l’absence de soutien communautaire ethnique et national. Cf. www.unhcr.fr/4ee713371e.pdf (apic/be)

 

 

 

 

La Vaudoise Sarah Burkhalter, Coopér-actrice à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie
15 octobre 2015 | 13:37
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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