Le bâtiment de la Cour suprême, à Washington | Domaine public
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Etats-Unis: la Cour suprême s'attaque à la séparation Église-État

Une série de décisions de justice de la Cour suprême des Etats-Unis fait craindre un retour de la religion dans le système politique. Un développement paradoxal alors que le pays ne cesse de se séculariser.

La récente annulation par la Cour suprême de la jurisprudence Roe v. Wade, qui interdisait aux Etats d’interdire l’avortement, a été largement médiatisée. Mais d’autres verdicts de la plus haute instance judiciaire américaine, passés davantage inaperçus, ont provoqué une controverse dans le pays.

En mai 2022, la Cour suprême s’est notamment prononcée en faveur d’un groupe chrétien qui souhaitait faire flotter un drapeau arborant une croix sur l’hôtel de ville de Boston (Massachusetts), rapporte le journal britannique The Guardian. L’action était réalisée dans le cadre d’un programme visant à promouvoir la diversité et la tolérance entre les différentes communautés de la ville.

Ce même mois, les magistrats ont approuvé l’utilisation de l’argent des contribuables pour financer la fréquentation d’écoles religieuses dans le cadre d’un programme d’aide à la scolarité dans le Maine.

La Cour suprême a également soutenu l’entraîneur de football d’un lycée public de l’État de Washington. Ce dernier avait été suspendu pour avoir refusé de cesser de diriger des prières chrétiennes avec les joueurs sur le terrain après les matchs.

Attaque contre les pères fondateurs?

Dans ces trois cas, la Cour a renversé des mesures prises par des autorités publiques pour éviter de violer le premier amendement de la Constitution, connu sous le nom de «clause d’établissement» (Establishment Clause), qui empêche le gouvernement d’établir une religion d’État et de favoriser une confession particulière. Thomas Jefferson, le troisième président des Etats-Unis, avait déclaré en 1802 que cette disposition devait établir un «mur de séparation» entre l’Église et l’État.

De nombreux observateurs notent que la Cour suprême actuelle est la plus favorable à la religion depuis 70 ans. Alors que ses détracteurs l’accusent de saper les traditions juridiques, ses partisans saluent des avancées dans la liberté religieuse.

Carrie Severino, présidente du Judicial Crisis Network, a déclaré que «l’évolution récente de la Cour montre (…) qu’une majorité de juges continue de faire preuve d’une volonté claire de protéger la liberté et l’expression religieuses, ce que la Constitution garantit explicitement.» Certains républicains d’extrême droite remettent ainsi aujourd’hui frontalement en cause l’Establisment Clause. La députée du Colorado Lauren Boebert a ainsi déclaré lors d’un service religieux en juin: «Je suis fatiguée de cette séparation de l’Eglise et de l’Etat qui n’est pas dans la Constitution.»

Une évolution à contre-courant

Les analystes soulignent le déplacement du curseur juridique sur la liberté individuelle aux dépens de la non-discrimination. Rachel Laser, présidente d’Americans United for Separation of Church and State, rappelle que la ligne de démarcation entre l’Église et l’État a été cruciale pour les avancées en matière de droits de LGBTQ, de justice raciale, de liberté de reproduction, de protection des minorités religieuses, d’enseignement des sciences à l’école et de sauvegarde de la démocratie elle-même.

Mais si la plupart des décisions de la Cour en matière de droits religieux ces dernières années concernaient des plaignants chrétiens, elle a également soutenu des adeptes d’autres religions, notamment des bouddhistes et des musulmans, note The Guardian.

Le paradoxe est que cette tendance s’inscrit dans le contexte d’une nation de plus en plus diversifiée et profane. Une enquête Gallup de 2021 a révélé que la part des Américains fréquentant des lieux de culte était passée pour la première fois sous les 50%. La proportion de citoyens déclarant croire en Dieu était également la plus faible de tous les temps (81%). Cette évolution va de pair avec la diminution de la population chrétienne blanche. Elle était de 45% en 2021, contre 54% en 2008.

Le baroud d’honneur de l’Amérique chrétienne blanche?

Le tournant conservateur pris par la Cour suprême provient principalement de la nomination de trois juges ultra-conservateurs sous le mandat de Donald Trump, à la suite de décès ou de départs à la retraite. Il s’agit d’un nombre important de nominations pour un mandat de quatre ans.

Mais même si le virage à droite était prévisible, il est considéré par les analystes politiques comme particulièrement rapide et radical. Selon Robert P. Jones, fondateur et directeur général du groupe de réflexion Public Religion Research Institute, à Washington, «nous assistons à une prise de pouvoir désespérée alors que le soleil se couche sur l’Amérique chrétienne blanche. Dans les tribunaux, au lieu d’avancer lentement et systématiquement, c’est la fuite en avant.»

Le politologue redoute la création d’une situation «d’apartheid» aux Etats-Unis. «Nous aurons une domination minoritaire par ce groupe de moins en moins nombreux qui a pu s’emparer des leviers du pouvoir, alors même que leur représentation démocratique culturelle dans le pays se réduit.» (cath.ch/guardian/arch/rz)

Le bâtiment de la Cour suprême, à Washington | Domaine public
4 juillet 2022 | 17:52
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 3 min.
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