Vatican: Le pape François dans la salle des Bénédictions, au terme d'un colloque sur la réception d'Evangelii Gaudium, 30.11.2019 | © Grégory Roth
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'Evangelii Gaudium': la première exhortation du pape François a 10 ans

Le 24 novembre 2013, le pape François publiait le premier grand texte de son pontificat, l’exhortation Evangelii Gaudium (La Joie de l’Évangile), un texte «programmatique», dressant la trame centrale de son pontificat: l’évangélisation et sa dimension sociale, le refus de tout élitisme et l’attention au peuple de Dieu, particulièrement aux plus pauvres. Ce document a davantage situé son pontificat dans la continuité de celui de Paul VI, que dans ceux de Jean-Paul II et Benoît XVI.

Si le premier document magistériel crédité au pontificat de François fut l’encyclique Lumen Fidei (juillet 2013), – en réalité écrite ›à quatre mains’ avec son prédécesseur Benoît XVI –, l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, publiée au terme de l’Année de la Foi, fut le premier texte réellement personnel du pape François. Plus que de reprendre les travaux du Synode sur la nouvelle évangélisation qui s’était tenu au Vatican un an auparavant, le nouveau pape argentin a profité de ce texte pour tracer les priorités de son pontificat.

Dans la lignée du document de la Conférence épiscopale latino-américaine à Aparecida en 2007 – qui avait donné une feuille de route à l’Église locale en traçant un lien entre foi chrétienne et service des pauvres –, le pape François a développé dans Evangelii Gaudium une réflexion accessible au grand public sur les grands défis de l’Église. Adressé «aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux personnes consacrées, et à tous les fidèles laïcs», ce texte se penche sur «l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui» et compte de nombreuses références au Concile Vatican II.

Contre «l’idolâtrie de l’argent»

Le pape y coupe court à certaines revendications ›progressistes’ qui avaient pu émerger au début de son pontificat: François exprime clairement son refus de toute évolution de la doctrine de l’Église sur l’avortement et sur l’accès du sacerdoce aux femmes. Mais il développe une réflexion sur «l’éternelle nouveauté» que représente selon lui l’annonce de l’Évangile, lui donnant un relief social. Dans ce texte, il insiste notamment sur la responsabilité de l’Église de lutter contre «l’idolâtrie de l’argent» et de se mettre prioritairement à l’écoute des pauvres.

Contre le conditionnement induit par la société de consommation qui alimente une «tristesse individualiste», le pape argentin met en avant l’importance de la rencontre personnelle avec Jésus. «Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur de l’isolement», martèle-t-il dès son introduction. Développant le thème de «l’Église en sortie» qui sera une constante dans son pontificat, le pape invite à une «conversion missionnaire» qui ne mette plus les prêtres et consacrés au centre de l’attention des théologiens et du magistère, mais le peuple dans toute sa diversité.

«L’infaillible» Peuple de Dieu

«Le Peuple de Dieu est saint à cause de cette onction qui le rend infaillible ›in credendo’. Cela signifie que quand il croit, il ne se trompe pas, même s’il ne trouve pas les paroles pour exprimer sa foi», écrit le pape. François y dénonce toute forme d’élitisme et met au contraire en relief la foi des gens simples et «la force évangélisatrice de la piété populaire», qui ne doit pas être sous-estimée. «Regardée avec méfiance pendant un temps, elle a été l’objet d’une revalorisation dans les décennies postérieures au Concile», remarque François, qui salue le rôle de Paul VI dans cette réhabilitation de la piété populaire.

Ce texte éclaire en effet le lien entre François et ce pape italien qui régna de 1963 à 1978. Le pontife argentin a construit son exhortation comme une continuation de Evangelii Nuntiandi, le dernier grand texte de Paul VI, publié le 8 décembre 1975, exactement dix ans après la conclusion du Concile Vatican II, et au terme de l’Année Sainte 1975 qui connut un notable succès d’affluence.

Oser évangéliser en période de crise

Cette décennie ayant suivi le Concile fut une période de crise identitaire pour l’Église, certains de ses acteurs s’interrogeant sur le sens même de la mission et de l’annonce de l’Évangile, notamment parce que les processus de décolonisation avaient déstabilisé certaines congrégations missionnaires associées aux pays européens. Mais le pape Paul VI – qui n’a plus publié d’encyclique après la mauvaise réception d’Humanae Vitae dans certains pays en 1968 – s’est appuyé sur les travaux du Synode de 1974 sur l’évangélisation pour publier un document plus incisif qu’attendu, relançant la dimension missionnaire de l’Église. Le pape y rappelait ainsi la «nécessité d’une annonce explicite» au nom du «Christ, premier évangélisateur», y compris auprès d’un «monde déchristianisé».

Dans sa biographie Paul VI, le souverain éclairé (Cerf, 2015), après avoir évoqué la crise des années 1968-1974, l’historien Philippe Chenaux présentait ainsi «le succès inattendu de l’Année Sainte 1975 et des grands textes sur la joie chrétienne et l’annonce de l’Évangile» comme des clés de lecture essentielles pour réévaluer l’héritage de ce pape italien, quelque peu éclipsé par la suite par le long et spectaculaire pontificat de Jean-Paul II, qui dura plus d’un quart de siècle. 

«Il faut toujours revenir à Paul VI», confia le pape François au cardinal français Paul Poupard lors d’une conversation privée à Rome. Ce pape que Jorge Mario Bergoglio n’a pas personnellement connu mais dont le pontificat couvre la fin de sa formation jésuite, son ordination sacerdotale en 1969 et sa difficile expérience de provincial des jésuites d’Argentine à partir de 1973, a en effet marqué et structuré la pensée du futur pape François.

Des pontificats de réformateurs

Depuis 2013, tout comme Paul VI dans les années 1970, le pape François est confronté au risque d’une fragmentation du catholicisme, dans un monde qui voit la circulation des personnes et des idées s’accélérer au risque du relativisme ou, inversement, d’un choc des civilisations. Mais au-delà des tensions idéologiques souvent difficiles à canaliser, ces deux papes cherchent avant tout à revenir à la source en rendant l’Évangile accessible à l’humanité de leur temps, dans tous les contextes sociaux et culturels.

En béatifiant Paul VI en 2014, puis en le canonisant en 2018, François a ancré son pontificat dans la filiation de ce pape qui eut la délicate mission de mettre en œuvre le Concile Vatican II. Avec son exhortation Evangelii Gaudium, enrichie par son expérience de terrain en Amérique latine, le pape François a prolongé le pontificat réformateur de Paul VI tout en faisant sortir la papauté de sa matrice européenne et en relisant les signes des temps avec le regard d’un catholique de l’hémisphère Sud. (cath.ch/imedia/cv/gr)

Vatican: Le pape François dans la salle des Bénédictions, au terme d'un colloque sur la réception d'Evangelii Gaudium, 30.11.2019 | © Grégory Roth
24 novembre 2023 | 10:39
par I.MEDIA
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