Un des théologiens les plus marquants du XXe siècle

France: mort du Père dominicain Marie-Dominique Chenu (120290)

Paris, 12février(APIC) Le Père dominicain Marie-Dominique Chenu, l’un des

théologiens marquants du XXe siècle, est décédé dimanche au couvent SaintJacques à Paris, où il résidait depuis 1942. Il était âgé de 95 ans. C’est

une grande figure de l’histoire de l’Eglise qui disparaît. Historien de la

théologie des XIIe et XIII siècles, il est aussi l’initiateur d’une réflexion sur la «théologie du travail». Son engagement pour les prêtres ouvriers valut à ce Père dominicain une condamnation romaine. Il a été, sans

le savoir, l’un de ceux qui ont préparé le concile en 1962.

Né le 7 janvier 1895 à Soisy-sur-Seine (Essonne/France), Marcel Chenu

entre au noviciat dominicain en 1913 et prend, comme religieux, le nom de

Marie-Dominique. Il est ordonné prêtre en 1919. Comme novice d’abord, puis

plus tard comme professeur, il réside de nombreuses années au lieu dit Le

Saulchoir, à Kain (Belgique). Professeur d’histoire des doctrines, spécialiste du Moyen Age, il est ensuite nommé recteur de l’Université dominicaine, qui a gardé le nom du Saulchoir après son retour en France.

Envoyé à Rome pour ses études, le Père Chenu découvre la «surnaturalité

de la foi» et le sens de la condition humaine: deux valeurs qui vont orienter toute sa réflexion théologique. Théologien engagé, le Père Chenu est

toujours resté un contemplatif et un méditatif. Dès 1934, il a orienté sa

réflexion théologique sur les réalités sociales et les grandes mutations de

la société. C’est à ce titre qu’on le considère comme l’un des théologiens

qui ont inspiré et soutenu l’engagement des prêtres ouvriers.

Le théologien a raconté lui-même les grandes étapes de son évolution

théologique. Ayant à animer un séminaire sur saint Thomas, il pratique une

méthode historique, devenue aujourd’hui banale, mais révolutionnaire pour

l’époque: l’analyse des textes restituait ceux-ci dans leur ordre chronologique et dans leur contexte, ce qui donnait un relief nouveau à la pensée

thomiste tout en la relativisant. Le Père Chenu appliqua ensuite ce principe d’historicité non seulement au contexte littéraire de la théologie scholastique, mais aussi à l’objet même du travail théologique.

Condamnation pour son engagement aux côtés des prêtres ouvriers

En 1937, le Père Chenu publie les grandes lignes de cette méthode théologique sous le titre «Une école de théologie, Le Saulchoir». Le livre, qui

ne ménage pas certains théologiens, est mis à l’index en 1942. Le Père Chenu est alors obligé de renoncer à l’enseignement. De l’entrevue qu’il aura

alors avec le cardinal Suhart, archevêque de Paris, il racontera: «Il (réd.

le cardinal) m’a fait venir, et il m’a dit textuellement: ’Petit Père, ne

vous troublez pas, dans vingt ans tout le monde parlera comme vous’.

C’était en 1942; en 1962, Jean XXIII ouvrait le Concile!»

Le Père Chenu va également prendre des engagements apostoliques en lien

avec la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, la Mission de Paris, la Mission de

France et les prêtres ouvriers, ce qui lui vaudra d’avoir de nouveaux démêlés avec Rome, lors de la condamnation des prêtres ouvriers en 1954. Il

avait alors publié, en tant que théologien, un article sur les prêtres ouvriers. Sanctionné par le Vatican, comme les Pères Féret et Congar, dominicains eux aussi, le Père Chenu doit quitter Paris et se retire au Havre. Il

revient pourtant régulièrement à Paris, pour retrouver les nombreux petits

groupes qu’il continue d’animer.

L’oeuvre du Père Chenu, au plan théologique, est considérable. Spécialiste de théologie médiévale, il a fondé et dirigé pendant plusieurs années

le «Bulletin thomiste»; il a également été le directeur de la «Revue des

sciences philosophiques et religieuses». Un des livres les plus marquants

du Père Chenu est «La théologie comme science au XIIIe siècle». Il est aussi l’auteur de nombreux articles.

Les sanctions romaines n’ont jamais pu entamer la sérénité ni l’ardeur

de ce Père dominicain, qui a accueilli le Concile avec une très grande

joie. Jusqu’à tout récemment, malgré les infirmités de l’âge, le Père Chenu

a gardé un regard critique et prospectif sur le monde et sur l’Eglise à

l’horizon du troisième millénaire. Les obsèques du Père Chenu auront lieu à

Paris jeudi 15 février. (apic/cip/mjh/pr)

12 février 1990 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 3 min.
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