Frère Emile, de la communauté de Taizé, ici photographié au Liban, aime méditer les mots de  saint Augustin: "L’être humain a été fait pour des commencements" | DR
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Frère Emile de Taizé: «Dieu ne nous abandonne pas»

La pandémie est vécue comme une épreuve. C’est aussi le cas au sein de la communauté de Taizé en Bourgogne, mais la crise sanitaire nourrit également la volonté d’avancer. Frère Emile, bibliste et animateur spirituel, confie à cath.ch ses raisons d’espérer: Dieu n’abandonne pas l’humanité.

Originaire du Canada, Frère Emile vit dans la communauté œcuménique de Taizé depuis plus de 40 ans. Pour les frères qui accueillent des jeunes à longueur d’année, la pandémie de ce printemps 2020 a donc constitué un choc. «Vivre Pâques avec zéro jeune, c’était une épreuve pour nous», confie-t-il.

Mais la communauté est passée à l’action: «Par exemple, en allant vendre nos productions sur les marchés à Tournus ou à Cluny. Ça a donné lieu à des amitiés nouvelles». Et «nous avons avancé, en communauté, indique Frère Emile, sur la transition écologique que nous voulons vivre». Par téléphone, il témoigne de son espérance face à la maladie terrible qui frappe la planète.

Comment peut-on interpréter cette pandémie? Comme un malheur planétaire ou comme un «signe des temps»?
Frère Emile: Quand il parlait de signe des temps, le Père Marie-Dominique Chenu, un des grands théologiens du concile Vatican II, invitait à la prudence. Il s’agit de transformer le malheur en projet, de nous tourner vers l’avenir.

Pour le Père Chenu, un signe des temps est aussi une réalité humaine qui vient à la conscience des hommes. Face aux questions nouvelles auxquelles est confrontée l’humanité, des signes apparaissent, notamment sur les questions écologiques. On l’a bien vu: lorsque nous privons des espèces animales de leur espace vital, nous favorisons le spillover, c’est-à-dire le passage d’une espèce animale à l’espèce humaine, comme ce virus qui nous frappe.

«Nous nous persécutons nous-mêmes lorsque nous pensons que croire n’a plus de sens»

Donc la pandémie génère une réflexion nouvelle…
La pandémie témoigne d’une brèche à travers laquelle s’expriment des prises de conscience nouvelles de notre responsabilité à l’égard de la création. En ce sens, on peut parler de signe des temps.

Chez Jean XXIII, le signe des temps n’est pas un malheur qui frappe l’humanité, mais une réalité dont l’humanité prend conscience et qui ouvre des possibilités. On constate aujourd’hui, face à ces questions, un besoin de travailler ensemble. Les encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti du pape François témoignent de ce désir d’aborder ensemble les questions sur les nouveaux modes de vie.

Comment porter un regard d’espérance sur cette crise?
Quand tout va bien, on est moins sensible à l’espérance. Au-delà de la maladie et de la crise financière engendrée par la pandémie, il y a chez beaucoup l’impression de ne plus se retrouver dans le monde tel qu’il va. La tentation existe alors de nier la réalité et de vouloir tout laisser tomber.

«Le Christ nous accompagne dans notre histoire et ne nous lâchera pas»

L’Ecriture nous enseigne que c’est dans ces périodes-là que Dieu suscite des prophètes. Par exemple, Isaïe qui se bat contre le désespoir de son peuple. A l’époque d’Isaïe comme à la nôtre, nous avons la chance d’avoir un Dieu qui contredit notre penchant vers le désespoir. Dans Isaïe 40, verset 10, Dieu vient «avec vigueur»: il ne nous abandonne pas. Et c’est là que se puise notre espérance.

L’autre chose douloureuse avec cette crise, c’est que nous avons été habitués à vivre dans la maîtrise de nos calendriers, de nos projets. On découvre aussi quelque chose de positif dans cette non-maîtrise. Sans nier les aspects négatifs de la crise, il y aussi des découvertes à faire sur un autre style de vie.

Comment mettre en lien la foi au Christ avec cette maladie planétaire?
Dans les discours de Jésus sur la fin, il y a l’appel à veiller. Jésus ne voulait pas que ses disciples cèdent à la panique. Il veut les équiper d’une confiance fondamentale. Si on compare les Evangiles, on constate des différences. Chez Matthieu, Marc et Luc, quand Jésus évoque les catastrophes et les persécutions, il dit aux disciples que tout leur sera donné sur le moment. Car «ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit saint».

Taizé, une école de fraternité pour les jeunes d’Europe | © Maciej Bilas/Flickr/CC BY-NC 2.0

Chez Jean, le même Esprit est promis aux disciples, mais ce n’est plus dans un contexte de jugement extérieur. Comme si Jean avait compris que le problème peut être à l’intérieur de nous: nous nous persécutons nous-mêmes lorsque nous pensons que croire n’a plus de sens. Au milieu de ce combat, le Christ promet l’Esprit saint. «Je vous enverrai le Consolateur, le Paraclet» qui vous fortifiera de l’intérieur, dit Jésus. Nous avons à nous remettre à la présence de l’Esprit promis par le Christ

Dans cette pandémie, nous pouvons aussi être un reflet de la compassion du Christ. Je le vois dans les initiatives que les frères [de Taizé] prennent à l’égard des malades ou des personnes âgées de la région par des visites, des coups de fil. Nous manifestons aussi quelque chose de la bonté de Dieu pour d’autres.

Comment rester fidèle à l’idée de pèlerinage de confiance, chère au Frère Roger?
Je me suis souvent rappelé d’une phrase de Frère Roger: «Le meilleur en nous se construit à travers une confiance toute simple». C’est dans la confiance qu’on construit quelque chose, et pas dans la panique. C’est cette confiance qui donne accès à l’espérance, la confiance que le Christ est là. Il nous accompagne dans notre histoire et ne nous lâchera pas.

«Le meilleur en nous se construit à travers une confiance toute simple»

Quels échos nourrissent votre foi et votre confiance en l’avenir?
On reçoit beaucoup de messages, notamment en écho à la prière quotidienne transmise sur internet. Car beaucoup ne reçoivent que des informations anxiogènes. Bien sûr, il faut s’informer, mais il faut aussi créer des espaces pour nourrir cette confiance.

Le pèlerinage de confiance sur la terre continue à Taizé. Comment?
On voit que les intuitions de Frère Roger, dans les années 1970-1980, sont encore d’actualité. La confiance, ce n’est pas simplement espérer que ça ira mieux. Mais c’est une prise de conscience qu’on peut agir, qu’on n’est pas appelé à la résignation ou au défaitisme. Avec la confiance, on arrivera à trouver des réponses.

Quelle est votre parole d’espérance pour les jeunes, aujourd’hui?
Pour mon nouveau livre A vous de commencer [paru en juin 2020, ndlr], j’ai médité la parole de saint Augustin, dans La Cité de Dieu: «L’être humain a été fait pour des commencements». Nous avons raté beaucoup de choses dans notre rapport à l’environnement. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’opérer de nouveaux commencements. Alors saisissons cette occasion et rejoignons ce qui aide à construire. (cath.ch/bl)

Taizé sans la Rencontre européenne
La grande rencontre européenne 2020, prévue à Turin entre Noël et Nouvel An, a été reportée à l’an prochain. Toutefois, la communauté de Taizé prévoit de faire vivre la rencontre sur internet du 27 décembre au 1er janvier: prières quotidiennes, réflexion biblique, ateliers, ainsi qu’une veillée de prière pour la paix le 31 décembre au soir. BL

Frère Emile, de la communauté de Taizé, ici photographié au Liban, aime méditer les mots de saint Augustin: «L’être humain a été fait pour des commencements» | DR
12 novembre 2020 | 17:00
par Bernard Litzler
Temps de lecture: env. 5 min.
Coronavirus (579), France (492), Frère Emile (1), Laudato si (216), Taizé (98)
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