Hansjörg Schmid, co-directeur du Centre suisse islam et société (photo: Grégory Roth)
Suisse

Fribourg: premier bilan positif pour le Centre Suisse Islam et Société

Plus de 450 responsables associatifs musulmans ont été formés par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, pour son premier cycle de fonctionnement. De septembre 2016 à mai 2017, le CSIS a organisé 25 ateliers dans toute la Suisse.

Le but de l’opération était de répondre à un besoin en formations continues émanant des organisations musulmanes et d’apporter une contribution à la cohabitation dans une société plurielle. En collaboration avec 18 organisations partenaires musulmanes, les quelque 450 participants ont contribué au succès de la démarche.

Hansjoerg Schmid, co-directeur du CSIS, éclaire les enjeux de cette expérience inédite.

Vous parlez de «succès» pour ce premier cycle de formations. Mais dans quelle mesure pouvez-vous estimer que la participation a été importante?
Hansjoerg Schmid: Nous avons collaboré avec quasi toutes les associations faîtières, qu’elles soient de dimension cantonale, nationale ou ethnique (albanophone, bosniaque, turque…). Les 450 participants représentent cette diversité dans les associations. Le nombre total de responsables associatifs musulmans en Suisse n’est pas connu. En revanche, des personnes occupant des rôles et des fonctions très diverses dans les associations ont pu bénéficier de notre programme. Nous pouvons juste dire que ce nombre a dépassé nos attentes. Et quand nous parlons de «succès», c’est principalement d’un point de vue qualitatif, car les débats ont été très constructifs.

Une organisation avec laquelle nous n’avons pas travaillé est le Conseil central islamique suisse (CCIS).

Pour quelles raisons?
Nous avons estimé qu’il nous manquait une base commune suffisante. Mais même si nous ne les avons pas contactés, ils reçoivent notre newsletter et sont au courant de nos activités.

Les débats en ateliers ont-ils fait apparaître des problèmes de sensibilités en rapport avec certaines visions de l’islam?
Nous avons fait en sorte que les ateliers soient des endroits de confiance où chacun pouvait s’exprimer librement, sans être jugé. Les musulmans présents n’étaient pas ici dans un rôle défensif, auquel ils sont souvent cantonnés, mais participatif. Il y a bien sûr eu quelques controverses, notamment sur le rôle des médias et l’image des musulmans ou de l’éducation sexuelle à l’école. Mais les participants sont toujours restés constructifs et l’atmosphère a toujours été bonne. Le but n’était de toute façon pas d’obtenir une opinion unanime, mais de faire découvrir des sensibilités différentes et d’ouvrir à d’autres perspectives.

Les ateliers ont en tout cas mené à des discussions d’une grande qualité. Une compréhension de l’autre a été acquise et beaucoup de préjugés surmontés.

Les femmes ont été étonnamment nombreuses (37,5%). Comment interprétez-vous cet intérêt?
Pour moi, c’est un très bon signe. Cela montre qu’elles ne veulent plus seulement occuper des postes subalternes au sein des associations, mais qu’elles veulent assumer un rôle actif, plus de responsabilités. Elles ont en tout cas participé très activement aux ateliers.

C’est une très bonne chose qu’elles soient venues aussi nombreuses, ainsi que les jeunes, car nous ne voulions pas focaliser les discussions uniquement sur des thèmes concernant les imams.

La nouvelle mosquée de Wil, dans le canton de St-Gall, a été construite uniquement grâce à de l’argent local. Si l’on relie cela à l’intérêt pour les formations du CSIS, peut-on parler de l’émergence d’un «islam suisse»?
Tout à fait. Les musulmans du pays voient leur futur dans le contexte suisse. Il y a chez eux une volonté de plus en plus forte de participer à la société civile. Ils veulent se former, comprendre profondément le tissu social, économique et politique du pays pour contribuer à son développement. Le but de nos formations est ainsi de mobiliser ces ressources, qui existent déjà dans les communautés. Faire en sorte qu’elles se rencontrent et s’organisent, pour renforcer le lien avec le reste de la société.

Ne craignez-vous pas que le succès de ce premier cycle ne soit qu’un feu de paille, un engouement provisoire dû à la nouveauté du concept?
Le fait est que les ateliers ont d’ores et déjà permis de créer des liens et des réseaux. De nouvelles demandes en ont émergé, de nouvelles associations viennent à nous. En rapport aux attentes formulées, nous désirons ainsi offrir dans le futur des formations plus longues et plus approfondies.


Les musulmans cherchent des moyens de se présenter de manière constructive

Au cours des 25 ateliers, il a été possible de mettre en lumière un besoin en formation continue très diversifié, affirme le CSIS, dans un communiqué du 15 mai 2017. Des imams, des responsables associatifs, des aumônières et aumôniers ont composé la plus grande partie des participants. Des thèmes tels que la définition des rôles et des identités religieuses dans le contexte scolaire, l’aumônerie, ou encore l’image des musulmans et de l’islam dans les médias suisses ont été évoqués de façon critique, précise le CSIS.

Rôle toujours plus actif des femmes

Ces ateliers ont principalement souligné que les imams souhaitent des formations continues en matière de conduite d’entretien, de pédagogie, de médiation et d’aumônerie. Ils atteignent, en effet, souvent leur limite face au nombre et à la diversité des sollicitations qui leur sont adressées.

Le rôle des femmes au sein des associations a également gagné en importance et visibilité. Elles ont compté pour plus d’un tiers des participants au niveau national et pour près de la moitié en Suisse romande. Le CSIS souligne qu’elles ne sont plus uniquement actives sur le plan organisationnel, mais aussi en tant que présidentes, de comités ou personnes chargées de l’encadrement religieux.

La question des jeunes était également au centre des discussions. De plus en plus, ceux-ci réfléchissent à leur place dans la société suisse en tant que musulmans et cherchent des lieux de réflexion pour des questions théologiques. Ils mettent ainsi à profit les offres émanant des associations musulmanes, qui proposent des conférences et des soirées de discussion sur des thèmes religieux et des sujets sociétaux d’actualité. Ces activités dans le domaine de l’encadrement de la jeunesse sont placées sous la direction de jeunes musulmans d’origine suisse.

Fonction centrale des associations

Les organisations musulmanes n’offrent pas seulement des prestations de nature religieuse, mais également des services de conseils, des formations et des activités pour différents publics. Elles se positionnent déjà largement en tant qu’acteurs sociaux, même si elles ne sont pas toujours connues du grand public, affirme le Centre Suisse Islam et Société.

Si elles se montrent sceptiques envers les médias, ces organisations cherchent cependant des moyens de se présenter de manière constructive en s’occupant de la prévention contre la radicalisation et en exprimant leur volonté de travailler avec les autorités, assure le CSIS. Les ateliers ont également permis de constater qu’une méfiance réciproque influence souvent les relations des musulmans avec le reste de la société. C’est pourquoi, les associations musulmanes ont plus que jamais besoin de bien connaître les institutions et offres étatiques, souligne le centre de l’Université de Fribourg.

Une base pour un futur programme d’études

Les résultats de ce projet seront rendus publics dans cinq cahiers thématiques en lien avec la pratique qui paraîtront dès l’année prochaine. Sur cette base, le CSIS organisera des filières de formations continues, qui seront développées pour des groupes cibles issus communautés musulmanes.

Les ateliers ont été organisés dans le cadre du projet «Les organisations musulmanes comme actrices sociales», soutenu par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et le Service de lutte contre le racisme (SLR).

Centre Suisse Islam et Société

Le CSIS est un centre de compétences suisse soutenu par la Confédération et traitant des questions liées à l’Islam et à la société. Il travaille en étroite collaboration avec les institutions publiques et les organisations musulmanes. Le CSIS externalise aussi ses compétences en matière de formations continues, de consultations et d’expertises. (cath.ch/com/rz)

Hansjörg Schmid, co-directeur du Centre suisse islam et société (photo: Grégory Roth)
15 mai 2017 | 16:54
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 5 min.
CSIS (30), Islam (394)
Partagez!