Le clown Gabidou au Rwanda pendant une représentation
Suisse

Gabidou: un clown au Rwanda

Accompagné d’une vingtaine de jeunes, Casimir Gabioud, alias le clown Gabidou, a fait une tournée de spectacles au Rwanda durant le mois de juillet. L’artiste revient sur une expérience humaine riche. Il nous a ouvert son album photos.

«J’ai dû prendre sur moi pour partir un mois loin de mes montagnes et sans mon vélo, mais au bout d’un mois au Rwanda, on m’aurait proposé de rester trois semaines de plus, je n’aurais pas hésité une seconde. Il faudra revenir!», lance Casimir Gabioud, alias le clown Gabidou.

L’artiste partage avec enthousiasme, et parfois émotion, ses impressions d’une tournée effectuée durant le mois de juillet dans ce pays d’Afrique de l’Est plus petit que la Suisse. Une vingtaine de jeunes, actifs à l’aumônerie du collège des Creusets de Sion l’ont accompagné. Ils ont bouclé un tour de plusieurs centaines de kilomètres qui les a menés de Kigali au nord-ouest puis à l’extrême sud, dans des villages les plus reculés du pays.

Photo souvenir avec toutes les sœurs après une semaine passée à Kigali au Foyer de charité | DR

Le projet a débuté en 2022. «Lors de la montée vers Pâques, Damien Clerc, professeur de Philosophie est venu me voir en proposant le voyage dans le cadre de l’association ‘La tête au cœur’», précise Casimir Gabioud. Un samedi par mois et deux week-ends, le responsable de la pastorale des familles du diocèse de Sion a formé les jeunes de 16 à 23 ans à la scène à travers des ateliers de clown et d’improvisation. «Ils ont ensuite créé des sketches qu’ils ont joués dans les villages que nous avons traversés.»

Des chants et des danses pour accueil

Ce voyage n’aurait pu être qu’une tournée de spectacles et des visites de différents lieux. Casimir Gabioud évoque un périple avec une dimension humaine et spirituelle très forte. «Partout où nous arrivions, nous étions systématiquement accueillis avec des danses et des chants». Il aborde d’emblée la rencontre avec plusieurs sœurs qui ont accepté de raconter ce qu’elles ont vécu durant le génocide de 1994, durant lequel près de 800’000 Rwandais ont trouvé la mort, dont une majorité de Tutsis (voir encadré).

L’horreur du génocide

Les religieuses de plusieurs congrégations présentes dans le pays se sont confiées. «Elles n’en avaient jamais parlé entre elles», précise Casimir Gabioud. Membres de l’association «Des bâtisseurs de ponts de paix», les sœurs ont beaucoup œuvré pour la réconciliation entre les Hutus et les Tutsis après 1994. Un témoignage où se mêlent l’horreur, la foi et l’espérance. L’une d’elle a perdu les 40 membres de sa famille. Une autre a raconté le passage à tabac qu’elle a subi pour lui faire avouer qu’elle était en faveur des Tutsis et en dénoncer. Elle n’a pas cédé.

Félicie, 105 ans, reçoit la petite troupe. Elle a caché les deux sœurs d’une religieuse pendant le génocide | DR

A un homme hutu venu lui demander conseil, une religieuse l’a encouragé à épouser la femme tutsie qu’il aimait, malgré l’interdiction de sa famille. Le couple mourra assassiné pendant le génocide. La sœur éprouva une grande tristesse, jusqu’au jour où elle réalisa que l’amour avait gagné malgré tout.

La danse de la joie

Sœur God Bertha a raconté le drame des enfants traumatisés qu’elle a recueillis dans l’orphelinat qu’elle a ouvert. Notamment l’histoire de cette petite fille restée muette jusqu’à ce qu’elle raconte le meurtre de ses parents, tués sous ses yeux. A l’issue de son récit, la sœur a entamé la «danse de la joie». «Elle nous a expliqué qu’elle l’avait inventée pour calmer les enfants très traumatisés au moment du coucher.»

«C’était un témoignage d’autant plus fort que ces religieuses n’avaient jamais parlé entre elles de ce qu’elles avaient vécu», répète Casimir Gabioud.

Une soutane pour seule arme

Casimir Gabiou relate également l’accueil «incroyable» de Mgr Célestin Hakizimana. L’évêque de Gikongo a offert et servi le repas à tout le groupe. Alors prêtre à Kigali, le Père Célestin a caché des centaines de personnes. «Chaque fois que les rebelles sont venus prendre des Tutsis, il s’est interposé», rapporte Casimir. «Mon seule arme état ma soutane», leur a dit l’évêque. A la fin du génocide, le seul jour où il alla ouvrir aux soldats en colère qui tambourinaient à la porte sans avoir mis sa soutane, ils exigèrent qu’il leur livre «ce prêtre pour le tuer». «Je leur ai répondu qu’il était parti. Ma soutane a sauvé tant de gens lorsque je la portais et m’a sauvé la vie le jour où je ne l’avais pas mise».

Quel accueil pour un clown?

L’artiste s’interroge sur la manière dont va réagir le public face au jeu d’un clown, un personnage inconnu de l’assistance. «C’était la même chose pour les tours de magie, ils n’en avait jamais vus». Casimir Gabioud a été vite rassuré. Le public est enthousiaste. Sans compter qu’aux étapes prévues, s’ajoute l’inattendu. «Un jour, nous nous étions arrêtés pour un picnic, 200 personnes sont venues à notre rencontre! Six jeeps qui arrivent dans un village, c’est un événement qui suscite la curiosité». L’équipe a finalement décidé de jouer le spectacle à l’improviste, remportant un vif succès.

Le souvenir de scène le plus marquant reste notamment le spectacle donné à Muzanse, au nord-ouest du pays. Les Suisses sont accueillis par le Père Barteck, un carme vivant depuis 40 ans dans le pays. «Les gens arrivaient de nulle part, c’était incroyable!». 2’000 personnes ont applaudi les artistes. D’abord intrigués par le clown, les spectateurs ont beaucoup ri aux numéros de magie, «les enfants comme les adultes! C’était très touchant, surtout après le spectacle, lorsque les gens se pressaient vers nous pour nous remercier.»

Casimir Gabioud évoque également l’aspect spirituel du périple. Les messes avec 1’500 personnes. «On n’a pas l’habitude ici…» Il s’attarde sur les temps d’adoration auxquels participaient tous les jeunes du groupe. «Ceux qui n’étaient pas dans la foi ont été très touchés par les intentions de prière et les chants auxquels ils ont participé.» (cath.ch/bh)

800’000 morts en trois mois
Le génocide des Tutsis au Rwanda s’est déroulé du 7 avril au 17 juillet 1994. D’une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus rapide de l’histoire et celui de plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour. La commission indépendante d’enquête sur les actions de l’organisation des Nations unies lors du génocide estime qu’environ 800’000 Rwandais, en majorité tutsi, ont perdu la vie durant ces trois mois. Les faits ont eu lieu à la fin du XXe siècle, mais les causes sont plus anciennes.
Dès 1959, des conflits sont apparus entre les Hutus et Tutsis. En 1962, le Rwanda a proclamé son indépendance. Les Hutus, ethnie majoritaire, ont pris le pouvoir, et la situation s’est inversée. Les Tutsis, qui jusque-là constituaient l’élite, n’ont plus accès à rien. Les tensions ne font que s’amplifier au fil des ans. Des milliers de Tutsis sont régulièrement massacrés, et sont nombreux à fuir le pays.
Une guerre civile débute en 1990. Mais le tournant intervient le 6 avril 1994 lorsqu’un avion fourni par la France est visé par un attentat. Les passagers, le président rwandais, Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, sont tués dans l’attaque. Quelques heures après, les milices Hutu se mettent à abattre tout individu identifié comme Tutsi, ainsi que les Hutus soutenant les Tutsis. BH

Le clown Gabidou au Rwanda pendant une représentation
16 août 2023 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 5 min.
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