Genève, le Festival Agapé est annulé face à l'ampleur des abus dans son sillage
Le Festival de musique sacrée Agapé devait se tenir à Genève du 28 mai au 1er juin 2025. Il a été annulé sur ordre des autorités du canton, suite à des enquêtes du Courrier et du Temps révélant que parmi ses organisateurs et artistes programmés se tiennent de probables abuseurs sexuels. Une affaire marquée par l’ombre du Père Marie-Dominique Philippe et ses dérives mystico-sexuelles de grande ampleur, fondateur de la Communauté des frères de St-Jean et dudit Festival.
La 17e édition du Festival de musique sacrée Agapé n’aura donc pas lieu en vieille-ville genevoise. Benoît-Emmanuel Peltereau-Villeneuve, 67 ans, l’un de ses cofondateurs, un ancien frère de la Communauté de Saint-Jean destitué de l’état clérical en 2022 par le pape François pour des abus sexuels, graviterait toujours autour de cette manifestation.
Le Festival a en outre a invité cette année deux artistes extrêmement controversés: le chef Jean Tubéry, spécialiste de la musique du seicento et du cornet à bouquin, condamné à 6 mois de prison avec sursis par le Tribunal correctionnel de Sens, dans l’Yonne, pour avoir tenu des «propos à connotation sexuelle imposés de manière répétée» dans le cadre d’une position d’autorité; et Jean-Luc Jeener, auteur de Pédophilie, une pièce publiée en 2014, dédiée à son ami le comédien Hubert Morel qui fut l’instigateur du premier réseau de pédocriminalité en ligne, sur minitel, 3615 ADO, selon le quotidien La Croix.
Un Festival déjà interdit dans les églises du canton
Supérieur d’un prieuré à Genève, entre 1988 et 2008, curé de la paroisse Saint-François de Sales dans le quartier de Plainpalais, Benoît-Emmanuel Peltereau-Villeneuve avait été démis de son poste sur décision du diocèse en juin 2008, suite à des soupçons d’abus sexuels sur deux femmes. En novembre dernier, Le Courrier alertait sur la proximité toujours en cours entre Benoît-Emmanuel Peltereau-Villeneuve et le Festival Agapé. La présidence du festival est désormais assurée par une femme qui ne serait autre que sa sœur, révèle pour sa part l’enquête du Temps.
Ayant eu connaissance de la décision du pape à l’encontre de Frère Benoît-Emmanuel, l’évêque de LGF Charles Morerod avait interdit en 2023 la tenue du Festival Agapé dans les églises catholiques genevoises. L’Église protestante du canton lui avait suivi le pas. «En 2023, des plaintes ont révélé qu’un religieux, exclu de l’état clérical, la plus haute sanction dans l’Église catholique, participait à ce festival, a expliqué au Temps Mgr Morerod. Il s’avère que celui-ci n’a pas respecté un certain nombre de mesures disciplinaires qui avaient été prises par l’Église catholique. Dès lors, l’Église catholique et l’Église protestante de Genève ont annoncé ne plus mettre leurs lieux de culte à disposition du festival, pour mettre fin à toute ambiguïté entre le Festival Agapé et les deux Églises.»
Les explications de l’État de Genève
Lors de sa dernière édition, en 2023, le Festival Agapé s’était alors principalement tenu à la Salle Frank-Martin du Collège Calvin, où il devait à nouveau se tenir ce 28 mai. Mais l’État de Genève a décidé la veille de résilier le contrat, ayant investigué à son tour sur ses organisateurs et les artistes programmés.
«Considérant que les faits allégués semblent solides et admis par nos institutions religieuses, il est aujourd’hui impossible pour l’État de Genève de permettre, en toute connaissance de cause, la tenue de ce festival dans des bâtiments publics alors même qu’il en a été exclu des murs des Églises catholique romaine et protestante de Genève et ce pour de graves motifs.» L’État ajoute, pour ce qui concerne les contrôles effectués lors des demandes de location, que «l’administration est tributaire des informations qui lui sont transmises. Dans ce cas particulier, c’est bien le travail journalistique qui nous a permis d’instruire le dossier et de prendre la décision en conséquence.»
Promue par Genève Tourisme, soutenue par la Loterie Romande à hauteur de 75’000 francs selon les informations du Temps, l’édition 2025 du Festival Agapé prévoyait en outre des manifestations pour les plus jeunes, avec des contes et des chants.
Des organisateurs qui se posent en victimes
Sur le site internet, les organisateurs annoncent consulter leurs avocats face à cette «ignominie» et se positionnent en «victimes de propos gravement calomnieux, d’intimidation, de harcèlement» et «d’amalgames».
Pourtant il semble bien que «la destitution de l’état clérical n’a pas suffi à pousser l’organisation du festival à prendre ses distances avec Benoît Peltereau-Villeneuve», comme le souligne le Temps. «Il a par exemple été vu lors du concert organisé par Agapé le 21 mars 2024 à l’Arena Genève, pour une version de la Passion selon saint Jean de Bach (…) Serrant les mains du public en amont du concert, Benoît Peltereau-Villeneuve ne semble pas être un spectateur parmi d’autres ce soir-là. De plus, Le Temps a pu consulter une photo prise lors de cette même soirée, où il porte une tenue qui s’apparente à l’habit religieux, chose qui lui a été interdite par le Vatican. Il semble que la couleur grise réglementaire ait été légèrement modifiée en bleue.»
L’ombre du Père Marie-Dominique Philippe
Ce festival, qui se déploie aussi à Reims et La Rochelle en France, ainsi qu’à Saltillo au Mexique, est une émanation directe de la Communauté religieuse des Frères de Saint-Jean, fondée à Fribourg en 1975 par le Père Marie-Dominique Philippe. Décédé en 2006, ce dominicain ›brillant’, reconnu aujourd’hui comme un dangereux prédateur d’ordre mystico-sexuel, avait enseigné la philosophie à l’Université de Fribourg de 1945 à 1982.

Voir notre dossier «Les frères de St-Jean face au choc des abus sexuels»
En 1992, sous son inspiration, avait été fondé Agapé, un Festival de musique et d’art sacré. Comme l’expliquaient alors les Frères de St-Jean, celui-ci se veut être «une voie privilégiée pour faire redécouvrir à l’homme la spiritualité de son existence» dans un monde «largement déchristianisé».
Condamné en 1957 déjà par le Vatican pour avoir été «mêlé» à une affaire comprenant «de nombreux cas d’abus sexuels», le Père Marie-Dominique Philippe poursuivra jusqu’à sa mort ses activités religieuses à l’intérieur de l’Église. Les dérives et abus spirituels et sexuels qu’il a commis, initiés et montés en véritable système culturel et mystique avec d’autres membres de sa famille ne seront révélés qu’après sa mort. Un rapport de 800 pages de la Communauté St-Jean, publié le 26 juin 2023, retrace ›de l’intérieur’ la terrible histoire ›incestueuse’ de la congrégation. (cath.ch/letemps/lb)