Un policier monte la garde à un carrefour de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti | © AP Photo/Odelyn Joseph/Keystone
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Haïti: «Parfois, j’annule une visite, tant le danger est grand»

Action de Carême est toujours à pied d’œuvre en Haïti, en dépit d’une situation très délicate. Le coordinateur local de l’œuvre d’entraide catholique suisse explique que les défis sécuritaires rendent l’accompagnement des projets d’autant plus important.

Ralf Kaminski, Action de Carême

Comment progressent les projets d’Action de Carême en Haïti?
J. V.*: Bien, pour l’instant. Les techniques agroécologiques et les groupes de solidarité promeuvent la sécurité alimentaire, améliorent la situation financière et renforcent la confiance en soi des communautés villageoises. Toutefois, notre programme, qui touche plus de 20’000 personnes, n’avance que parce que la situation sécuritaire est encore plus ou moins bonne en zone rurale.

Et pas ailleurs?
Non. La situation n’a cessé de se dégrader depuis que je suis entré en fonction en 2019, au beau milieu d’une crise politique.

Quelles sont les causes de cette crise?
C’est un soulèvement populaire contre la corruption des dirigeants qui en est à l’origine. Mais, aujourd’hui, des groupes lourdement armés ont mis un terme aux manifestations et sèment la terreur dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, ce qui entrave gravement les déplacements.

Un exemple?
Il vaut mieux ne pas quitter la ville avant de s’être renseigné sur la situation à notre destination et tout au long du trajet. Pour ce faire, je suis plusieurs groupes sur WhatsApp pour me tenir au courant des événements, j’appelle les gens sur place, j’écoute la radio. Et il arrive fréquemment que j’annule une visite parce que le danger est simplement trop grand. Souvent, la solution consiste à prendre l’avion pour une partie du trajet, puis de poursuivre en voiture.

«La déliquescence de l’État est la résultante d’événements historiques et de lacunes structurelles»

Que font ces groupes?
Ils dressent des barrages sur les routes et prélèvent un «péage». Les enlèvements sont aussi monnaie courante. En 2023, durant les neuf premiers mois de l’année, il y en a déjà eu plus de 900, dont 63 concernant des personnes étrangères. De plus, des bandes pillent des quartiers entiers et en chassent les habitants. Les personnes déplacées se comptent déjà par dizaines de milliers.

L’accès aux projets en souffre-t-il aussi?
La plupart d’entre eux se trouvent à la campagne, dans des zones moins exposées aux dangers. Toutefois, cela fait deux ans que, pour des raisons de sécurité, je ne peux plus rendre visite à deux de nos organisations partenaires situées dans le département d’Artibonite.

Or, les événements rendent le travail d’Action de Carême d’autant plus important. Grâce à l’agroécologie, les familles paysannes cultivent elles-mêmes les aliments dont elles ont besoin et grâce aux groupes de solidarité, elles peuvent emprunter de petites sommes d’argent. En revanche, nous avons de la peine avec toutes les activités pour lesquelles le bon fonctionnement des institutions est indispensable.

Pendant un an, un millier de policiers étrangers supervisés par l’ONU contribueront à la lutte contre les groupes armés. Cela va-t-il changer quelque chose?
La dernière mission de ce genre s’est terminée il y a cinq ans sur un résultat manifestement mitigé, d’où le scepticisme de la population. Il est cependant indéniable qu’un soutien armé est nécessaire, car Haïti n’a pas d’armée et moins de 10’000 policiers pour 12 millions d’habitants.

La situation en Haïti est difficile depuis plusieurs décennies. Où est le problème?
La déliquescence de l’État est la résultante d’événements historiques et de lacunes structurelles. L’élite corrompue presse Haïti comme un citron et ne se soucie absolument pas de léguer à ses descendants un pays en état de marche. Et les pays bailleurs de fonds craignent toujours que la situation devienne complètement incontrôlable, raison pour laquelle ils soutiennent même des gouvernements très corrompus. La fuite des cerveaux est un autre grave problème: plus de 80 % des Haïtiens titulaires d’un diplôme universitaire vivent à l’étranger. (cath.ch/adc/com/rz)

*Le nom n’est pas mentionné pour des raisons de sécurité

Un policier monte la garde à un carrefour de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti | © AP Photo/Odelyn Joseph/Keystone
5 février 2024 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 3 min.
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