Sgraffite représentant un dragon et Mélusine, Cinuos-chel (GR) | Christian & Hans Meisser © Fototeca dal DRG
Suisse

Héros et sorcières hantent le Musée national suisse

Diable, sorcières et agents du Bon Dieu se sont donnés rendez-vous à Zurich, en ces nuits hivernales, pour de nouvelles sarabandes ou combats entre forces surnaturelles. Le Musée national de la ville accueille, depuis le 16 décembre 2022, une exposition intitulée Légendes alpines. Elle met en scène quelques récits fantastiques qui hantent encore nos Alpes suisses et qui se sont aussi mêlés à la réalité historique.

Relatées au coin du feu, ces histoires souvent menaçantes, voire même terrifiantes, ont été inspirées par le climat et la topographie particulière des lieux, et par les conditions de vie très rudes auxquelles étaient confrontés nos aïeux.

Poupée de paille prenant vie, vert pâturage transformé en désert de pierre, métamorphose animale, sabbat démoniaque, femme volante… De la Blüemlisalp bernoise au pont du Diable valaisan, l’espace alpin est peuplé de créatures de contes ou de légendes reposant sur des faits présumés ou réels de l’Histoire. Longtemps transmises de bouche-à-oreille, ces histoires ont parfois été couchées sur le papier et «immortalisées». C’est le cas, bien entendu, de celle de Guillaume Tell, le plus célèbre des héros suisses.

Tell, un héros d’origine scandinave

Ce récit, rappelle l’exposition du Landesmuseum Zürich, trouve ses origines dans la mythologie nordique. «Il s’est parfaitement acclimaté aux traditions de la Suisse centrale et a évolué au fil du temps en un véritable mythe fondateur de la Suisse», explique Alexander Rechsteiner, du Musée national suisse.

C’est Hans Schriber, le chancelier d’Obwald, qui fixa pour la première fois sur papier la légende de Guillaume Tell, dans le Livre blanc de Sarnen, en 1470. «La force de ce héros légendaire est telle qu’il peut jouer plusieurs rôles: il nous emporte dans sa rébellion contre le souverain, il nous fait ressentir notre propre besoin d’indépendance et il nous donne le courage de résister. Par la suite, il est élevé en statue de héros national et son arbalète devient même un label de qualité pour les produits suisses.»

Découpage illustrant l’histoire de Tell, 1820 –1830 | Musée national suisse

Châtiments légendaires et vraies répressions

En 1707, au vu de son caractère édifiant, le médecin et naturaliste zurichois Johann Jakob Scheuchzer publie, dans Seltsamen Naturgeschichten des Schweizer-Lands wochentliche Erzehlung (Histoires naturelles étranges du pays suisse – récit hebdomadaire), une autre légende présentée dans l’exposition. Celle de la Blüemlisalp. Un vacher vaniteux, qui vit dans l’abondance d’un alpage fertile, gaspille les dons de la nature et refuse de partager sa richesse avec les villageois affamés de la vallée. Pire, il se moque d’eux. Le Ciel se charge alors de son châtiment: son alpage est transformé en un désert de pierre et de glace.

Ces légendes, hélas, croisèrent plus d’une fois la réalité. Combien de femmes ne furent-elles pas persécutées pour crime de sorcellerie, rappelle l’exposition! Attisée par le Marteau des sorcières (1486) de l’inquisiteur Heinrich Kramer, la chasse aux sorcières trouva en Suisse un terrain fertile. Nombre d’innocents, de femmes en majorité, furent accusés d’être à l’origine de maux ou de maladies frappant leurs congénères et condamnés à de terribles sentences par les juridictions locales.

La météo des sorcières, Michael Greyff, 1489. Dans les régions alpines, on les accuse de déclencher des avalanches, des glissements de terrain, etc. | Albertina (Vienna)/Musée national suisse

Les Grisons, à la pointe de la chasse aux sorcières

Avec plus de 500 procès documentés, les Grisons comptent parmi les régions d’Europe les plus touchées par la chasse aux sorcières. «Une virulence qui s’explique notamment par l’absence de juridiction commune, dans une confédération aux liens distendus», peut-on lire dans le magazine du Musée national suisse d’avril 2022. «Le personnage de la sorcière illustre l’influence que légende et réalité exercent l’une sur l’autre. On peut en effet aisément supposer que les récits rapportés à l’époque ont mené à l’emballement des procès et des condamnations. Inversement, ces événements ont très certainement donné naissance à des légendes toujours plus nombreuses.» (cath.ch/com/lb)

Objets insolites et éditions anciennes
L’exposition Légendes alpines occupe deux salles du Musée national suisse de Zurich. Œuvre d’art représentant une forêt et recomposition d’une cabane d’alpage font partie de la scénographie. On pourra y découvrir des livres et des parchemins en provenance de divers musées et bibliothèques du pays ou de collectionneurs particuliers, mais aussi des objets insolites. Le monde imaginaire des légendes se reflète en effet dans les objets destinés à se protéger des menaces. Un croix suffit souvent à chasser le mal. Les amulettes, médailles et plaques de bénédiction protègent contre l’emprise démoniaque, les maléfices, les arts diaboliques, les maladies et bien d’autres dangers.
Commissaire responsable de l’exposition: Daniela Schwab
Jusqu’au 23 avril 2023, au Landesmuseum Zürich. LB

«Légendes alpines»: objets insolites | Musée national suisse
Sgraffite représentant un dragon et Mélusine, Cinuos-chel (GR) | Christian & Hans Meisser © Fototeca dal DRG
15 décembre 2022 | 14:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture: env. 3 min.
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