Construite au VIe siècle, la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO | wikimedia commons Sami Mlouhi CC BY-SA 4.0
International

Istanbul: Sainte-Sophie redeviendra une mosquée

La décision du Conseil d’État turc, du 10 juillet 2020, de révoquer le statut de musée de la basilique Sainte Sophie, à Istanbul, pour en refaire une mosquée a suscité une vague de protestation dans le monde occidental. Les Eglises chrétiennes, mais aussi les chancelleries ont vivement dénoncé une nouvelle provocation du président autocrate Recep Tayyip Erdogan. La première prière à la mosquée de Sainte-Sophie est annoncée pour le vendredi 24 juillet.

Le plus haut tribunal administratif de Turquie a répondu favorablement aux demandes formulées depuis des années par plusieurs associations soutenues par le président Erdogan, arguant que le sultan Mehmet II, le conquérant ottoman de Byzance en 1453, en avait fait une mosquée «à perpétuité». En conséquence, ce statut, estime le Conseil d’État, n’aurait pas dû être modifié.

Dès l’annonce de cette décision de nombreuses voix ont clamé leur indignation voire leur consternation. L’Unesco a «regretté vivement» la décision des autorités turques de modifier le statut de Sainte-Sophie, «prise sans dialogue préalable». La ministre grecque de la Culture a dénoncé une «provocation envers le monde civilisé». Le patriarcat de Moscou a réagi en regrettant que les «voix de millions de chrétiens n’aient pas été entendues». Le Conseil œcuménique des Eglises (COE), qui réunit environ 350 églises chrétiennes, a exprimé son «chagrin et sa consternation». Les mises en garde inquiètes s’étaient multipliées ces derniers jours, émanant du monde orthodoxe, mais aussi des chancelleries occidentales.

Rester accessible à tous

La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, dit «déplorer» cette décision qui remet en cause «l’un des actes les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque». Du côté des Etats-Unis, Washington s’avoue «déçu» par cette décision. «Nous prenons acte de l’engagement du gouvernement turc de garantir un accès à Sainte-Sophie à tous les visiteurs, et nous avons hâte de voir ses plans de gestion de Sainte-Sophie pour qu’elle reste accessible à tous sans entrave», a détaillé la porte-parole de la diplomatie américaine, Morgan Ortagus.

Victoire de l’appel à la prière contre le son des cloches 

Le président Erdogan n’a pas perdu de temps pour entériner la décision du tribunal. Le jour-même, il a ramené la gestion du bâtiment sous la coupe de la Direction des Affaires religieuses. «Avec ce changement de statut de musée en mosquée, l’entrée de Sainte-Sophie sera désormais gratuite, a-il précisé lors d’une allocution. Comme toutes les autres mosquées, les portes de Sainte-Sophie seront ouvertes à tous: aux Turcs comme aux étrangers, aux musulmans comme aux autres croyants.»

Côté turc, cette transformation du statut de l’édifice est célébrée comme une «victoire de l’appel à la prière contre le son des cloches», un «accomplissement de la conquête de la ville» et un sauvetage «de l’héritage turco-islamique». C’est une nouvelle revanche des milieux islamo-nationalistes sur l’occidentalisation du pays entreprise par Mustafa Kemal Atatürk lors de la fondation de la république turque en 1923.

La décision n’a pas cependant pas manqué de surprendre certains observateurs. Régulièrement remobilisée ces dernières années par le président Erdogan en période de difficultés, la thématique du changement de statut de Sainte-Sophie faisait office de joker. En le tirant de sa manche, il perd ainsi un atout important.

Erdogan veut resserrer les rangs

En chute dans les sondages d’opinion, Erdogan compte ainsi resserrer les rangs dans son camp à la veille de l’anniversaire du coup d’État du 15 juillet 2016. Cette décision doit aussi lui permettre de réaffirmer son autorité sur la métropole d’Istanbul, dont son parti a perdu la mairie en 2019 au profit du Parti républicain du peuple (CHP).

Le porte-parole de la présidence turque Ibrahim Kalin a déclaré que l’ouverture au culte de Sainte-Sophie ne fera rien perdre de son identité d’héritage historique mondial. Il a dévié le débat sur le plan israélien ›d’annexion’ de la Cisjordanie. «C’est une nouvelle politique, initiation et démarche d’usurpation et d’occupation. Personne ne doit se laisser prendre à ce jeu», a-t-il martelé. (cath.ch/mp)

La sagesse divine
Sur les rives du Bosphore, ses coupoles sont reconnaissables entre toutes. La basilique Hagia Sofia (la sagesse de Dieu, nom que les Turcs ont conservé ndlr) fut construite au VIe siècle par l’empereur Justinien. Symbole du pouvoir byzantin, les empereurs y étaient couronnés. Le magistral édifice, qui recèle de somptueuses mosaïques, fut converti en mosquée lors de la prise de la ville par les Ottomans en 1453.
En 1934, Mustapha Kemal, père de la Turquie moderne, prit la décision de la transformer en musée, désireux, disait-il de «l’offrir à l’humanité». Elle figure sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et représente l’une des plus importantes attractions touristiques d’Istanbul. MP

Construite au VIe siècle, la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO | wikimedia commons Sami Mlouhi CC BY-SA 4.0
12 juillet 2020 | 10:11
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 3 min.
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