Dans son atelier au monastère des Bernardines, Joy habille les prêtres et les mariées | © Bernard Hallet
Suisse

Joy: les vocations de fil en aiguille

L’atelier de couture du monastère des Bernardines de Collombey (VS) a retrouvé une activité. Joytika Cristina l’a investi et y confectionne des robes de mariée et des habits liturgiques: du sur mesure pour habiller deux vocations.

Pas d’allées et venues ni d’effervescence particulière dans ce grand atelier de couture où Joytika Cristina – «Mais tout le monde m’appelle ‘Joy’» – a commencé son activité il y a un an. Et pour cause: nous sommes au monastère des Bernardines, à Collombey (VS). Le silence est perturbé seulement par la cloche qui sonne les heures et les offices . «Si on m’avait dit qu’un jour je travaillerai dans un monastère à confectionner des habits liturgiques et des robes de mariée…», sourit-elle. Attablée derrière sa machine à coudre, mètre souple autour du cou, la couturière raconte son parcours plutôt atypique.

Il n’a pas été question de vocation religieuse pour la jeune femme de 26 ans, indienne d’origine et adoptée, même si elle a grandi dans une famille pratiquante. Sa maman est catéchiste, en plus de son métier d’institutrice d’école enfantine. «J’avais du plaisir à aller à la messe. J’aimais y chanter».

De 10 à 24 ans, Joy fait partie du chœur des filles de la Schola de Sion. Adolescente, elle fréquente le conservatoire. Elle fait partie du groupe Des jeunes qui prient (DJP).

Joy présente la chasuble que Valentin Roduit lui a commandée. Il souhaitait une croix, la montagne et l’inscription «Verso l’alto» | © Bernard Hallet

Le souvenir de la grand-maman

Après l’école obligatoire à Vétroz et le cycle à Conthey, se pose la question d’un métier. «Ce devait être créatif. J’ai hésité entre la coiffure et la couture». Joy garde, bien ancré, le souvenir de sa grand-maman reprisant des vêtements quand elle rentrait de l’école. «Cela me fascinait». En 2016, elle débute une formation à l’école de couture de Sierre. Elle obtient un CFC de créatrice de vêtement pour dames. Le chemin est esquissé, mais on est encore loin du monastère.

Un stage estival de costumière de théâtre l’écarte de cette voie, «trop astreignant, ce n’était pas pour moi!» Autour d’elle, les amies et les proches de sa génération commencent à se marier. Lui revient alors l’idée de confectionner des robes de mariée, une activité qu’elle a envisagée, mais sans pouvoir la concrétiser: «Durant mon apprentissage, j’avais cherché à faire un stage dans un atelier de confection, mais je n’en ai trouvé nulle part.»

Un second apprentissage en Italie

Le destin s’en mêle l’été de ses 20 ans. En vacances en Italie, à Castiglione della Pescaia, en Toscane, Joy passe devant un magasin de robes de mariée. Elle pousse la porte et demande à la femme qui la reçoit si elle confectionne ce qu’elle vend. «Oui, et nous faisons du sur mesure». Cette rencontre, déterminante pour son orientation, débouche sur un stage de trois mois, programmé à l’automne. «Ce fut un vrai apprentissage! Elle m’a appris ses secrets.» Joy tient sa vocation pour ce qui est des robes de mariage. La confection liturgique se profile d’une manière inattendue.

«Un jour un prêtre a débarqué dans le magasin. Il venait de Rome et souhaitait acheter une aube faite sur mesure. Je m’en suis occupé». En parallèle des robes blanches, Joy travaille sur des aubes et brode des chasubles. «Cela m’a intéressée! Je me suis plongée dans des livres sur les habits liturgiques.» En plus de la littérature spécialisée, sa formatrice lui conseille d’observer attentivement les habits des prêtres qui célèbrent la messe à laquelle elle va tous les dimanches.

Tout un univers

«Je savais que ce stage allait m’apporter beaucoup, mais pas j’étais loin de penser aux habits liturgiques!». Les aller-retours à Rome chez le fournisseur de l’atelier complètent sa formation. «Au milieu des tissus, des accessoires, des galons, j’ai découvert tout un univers.»

De retour en Suisse, ses parents l’incitent à se lancer. Joy installe son atelier dans la maison familiale. Quelques retouches, la reprise d’une robe de mariage achetée dans le commerce et le bouche à oreille permettent des débuts encourageants, mais rapidement contrariés par la pandémie de covid-19. Joy confectionne quelques masques, s’occupe de l’administration. et profite pour créer sa marque: «Joycreation».

Deux chasubles pour une ordination

Le réseau des DJP lui amène des futurs mariés et, «Cela a été une surprise», les frères Valentin et Simon Roduit la sollicitent pour créer la chasuble de leur ordination sacerdotale. «Ils voulaient que figurent sur la chasuble une croix, une montagne et l’inscription «Verso l’alto». Ils m’ont fait confiance pour la création.» Faire connaissance des clients et des futures mariées est un aspect du métier qui plaît à la couturière. «Cela permet de commencer à créer à partir de leurs souhaits, mais aussi avec ce que je perçois de leur personnalité.»

Joy a créé les chasubles de Valentin et Simon Roduit | © Bernard Hallet

Les chasubles des frères Roduit ne sont pas passées inaperçues. La couverture médiatique de la double ordination a donné un coup d’accélérateur à la carrière de la jeune couturière.

La joie des religieuses

La pièce, d’environ 30 m2, est un ancien atelier de couture, le grand crucifix fixé entre deux fenêtres rappelle la vocation du lieu, où des religieuses ont confectionné pendant plus de 100 ans des drapeaux, des aubes, des nappes et des trousseaux pour les mariages. La grande pièce est restée inoccupée durant vingt ans.

A un moment où rester à la maison devient difficile pour elle, Valentin Roduit suggère à Joy d’aller voir les sœurs et de proposer la reprise de l’atelier. Moyennant quelques retouches, Joy occupe l’atelier depuis un an, pour la grande joie des religieuses.

«Les commandes se répartissent à parts égales entre des retouches et les robes de mariée et les habits liturgiques», détaille la couturière, fan de Givenchy pour l’élégance et admiratrice de Chanel. Un bracelet orné d’une plaque aimantée a remplacé le traditionnel bracelet pelote. Joy fait glisser habilement une pièce de tissu blanc sous l’aiguille de la machine à coudre qui ronronne à chaque coup de pédale. Il s’agit d’une des douze aubes de servant de messe commandées par la paroisse voisine de Monthey. «J’ai aussi trois robes de mariée sur mesure en commande et une aube pour le curé de Monthey».

Travail sur une aube | © Bernard Hallet

Quelque chose de monastique

Deux jours suffisent à réaliser une aube. «Pour une chasuble, il faut compter de une à deux semaines, tout dépend des demandes des clients et de ce qu’il faudra broder.» Joy accepte aussi les retouches et les petits travaux. «Une activité d’indépendant, c’est fragile. Je prie Saint-Joseph pour ne pas manquer de travail».

Si elle n’a pas l’intention de devenir religieuse, Joy reconnaît qu’il y a quelque chose de monastique dans son rythme de travail: «Je suis à l’atelier à 8h30. A midi, je dîne avec les prêtres (deux logent au monastère, ndlr) et quand sonne l’heure des vêpres à 17h15, je sais qu’il me reste une heure et quart de travail» (cath.ch/bh)

Dans son atelier au monastère des Bernardines, Joy habille les prêtres et les mariées | © Bernard Hallet
12 avril 2023 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 5 min.
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