Le tribunal fédéral de Lausanne | DR
Suisse

«Juges étrangers»: «La démocratie a besoin d'une référence extérieure»

L’initiative dite des «juges étrangers», sur laquelle le peuple suisse votera le 25 novembre 2018, veut établir la priorité absolue du droit suisse sur les accords internationaux. Jean-Claude Huot, de la Plateforme Dignité et Développement, estime pourtant que la démocratie a besoin d’une référence extérieure à elle-même pour protéger la dignité humaine.

«Oui à l’autodétermination-oui à la démocratie», lancent des citoyens lambda au regard (auto?)déterminé sur les affiches de campagne de l’initiative lancée par l’Union démocratique du centre (UDC). Sur son site internet, le parti conservateur fustige l’extension toujours plus grande du champ d’application des traités conclus entre la Confédération suisse et des autorités internationales. De cela résulterait que «nos politiciens et nos tribunaux ont aujourd’hui tendance à n’appliquer plus que partiellement les décisions populaires, voire plus du tout». «Pour que notre démocratie directe fonctionne, il est essentiel que les décisions populaires soient respectées et appliquées», lit-on dans l’argumentaire en ligne.

La démocratie, plus que le pouvoir de la majorité

Jean-Claude Huot oeuvre au sein de la plateforme Dignité et Développement | © Jacques Berset

Une vision de la démocratie qui pose question à Jean-Claude Huot. «La démocratie doit être plus que le pouvoir de la majorité. Elle ne peut se concevoir sans le socle des droits humains», souligne l’ancien secrétaire général de la commission des évêques suisses Justice et Paix. Il est ainsi vital pour la démocratie qu’elle reste vigilante sur les limites de ses décisions. Est en jeu, par exemple, le respect de la partie minorisée par le vote de la majorité. «Le souverain qu’est le peuple a besoin d’un rappel qu’il ne se suffit pas à lui-même», affirme l’agent pastoral vaudois en charge de la pastorale œcuménique du travail et de la promotion de l’enseignement social de l’Eglise.

Des garde-fous pour la dignité humaine

«La Constitution fédérale protège bien sûr les droits fondamentaux, mais cette protection peut être mise en danger, y compris par des décisions issues de la démocratie directe». Pour l’agent pastoral vaudois, l’adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est précieuse, car elle agit comme une «charte fondamentale», un «garde-fou» pour la protection de la dignité humaine. «Les dérives que nous observons en ce moment dans des pays voisins démocratiques, notamment en ce qui concerne le traitement des migrants, montrent que ces instruments de préservation des principes de base sont nécessaires», relève Jean-Claude Huot. Il renvoie au pape Jean Paul II: «Une démocratie authentique n’est possible que dans un Etat de droit et sur la base d’une conception correcte de la personne humaine (…)» (Centesimus annus, ch 46). Selon lui, l’Etat de droit inclut les conventions internationales, en particulier les instruments de défense des droits humains qui concrétisent le caractère intangible de la dignité humaine.

Pour l’agent pastoral, cette dignité humaine trouve son fondement dans le fait que «l’humain est créé à l’image de Dieu. Dès lors, sa vie lui est donnée, il sait que sa liberté trouve son origine dans ce don premier».

Peur contre confiance

Jean-Claude Huot admet pour autant que le souci de souveraineté est important, dans le sens où il permet aux peuples, aux individus, d’être responsables de leur destinée. «Mais la souveraineté d’un Etat, comme d’un individu, est toujours relative, souligne-t-il. Un pays ne peut pas régler seul des problèmes qui se jouent à une échelle mondiale, surtout dans le monde actuel».

Il reconnaît que ces questions surgissent dans un contexte où existent des peurs «légitimes» résultant de la déstabilisation de nos sociétés. Et qu’il n’existe pas de solutions simples à certains problèmes, tels que l’immigration ou le changement climatique. «Mais le repli sur soi ne mène à rien». Il déplore que certains partis manipulent ces peurs à des fins électorales.

Pour Jean-Claude Huot, la vertu chrétienne de l’espérance aide les croyants à surmonter ces angoisses. «Nous savons que Dieu est présent à nos côtés». L’agent pastoral relève aussi que ces réflexes de repli doivent être mis en perspective avec la dimension universelle du christianisme. «Nos racines chrétiennes peuvent nous aider à refuser des solutions simplistes, rappelle-t-il. Si Dieu est Dieu, il donne Sa lumière à tous les hommes. C’est dans la confiance en Lui et en les autres que le chrétien peut avancer». Et il ajoute convaincu: «C’est fort de cette confiance et pour protéger la démocratie que je voterai non à cette initiative, le 25 novembre». (cath.ch/rz)

Le tribunal fédéral de Lausanne | DR
22 octobre 2018 | 17:10
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 3 min.
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