L’aumônerie de l’armée réagit à la polémique sur la prière musulmane

Pour le chef de l’aumônerie de l’armée suisse, Samuel Schmid, une prière musulmane au service militaire est «quelque chose de tout à fait normal». Il réagit aux remous politiques provoqués par une photo diffusée sur les réseaux sociaux montrant des soldats musulmans en train de prier.

Regula Pfeifer, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

«A quoi s’attendre maintenant? Des mariages d’enfants? Des tribunaux de la charia? Des lapidations? Celui qui veut que la Suisse reste la Suisse doit voter pour l’UDC le 22 octobre prochain». C’est ainsi que le parti conservateur a commenté sur Twitter une photo montrant un groupe de soldats de l’armée suisse en train de prier à la manière musulmane.

En tant que chef de l’aumônerie de l’armée, que pouvez-vous dire par rapport à cette photo?
Samuel Schmid: Les membres de l’armée en question ont exprimé à leurs supérieurs un besoin religieux. Ceux-ci ont vérifié si cela était possible dans le cadre de la marche du service. L’offre de prier a alors été faite – sur une base volontaire. C’était donc quelque chose de tout à fait normal.

S’agissait-il d’une autorisation exceptionnelle en rapport à la Fête du sacrifice (Aïd el Kebir- qui s’est déroulée en 2023 du 27 juin au 1^er juillet)?
Effectivement, l’occasion était la fête musulmane du Sacrifice, où le besoin s’est particulièrement exprimé. Mais ce n’est pas la première fois qu’une prière musulmane a lieu. Par le passé, des militaires musulmans avaient déjà signalé qu’ils souhaitaient effectuer une prière ou assister à une prière du vendredi. Dans la mesure du possible, cela est organisé. Comme c’est le cas pour les croyants d’autres religions.

«Tous les membres de l’armée ont le même droit d’exprimer leurs besoins religieux»

La prière était apparemment effectuée en plein air, et quelqu’un a pris une photo. Cette visibilité ne pose-t-elle pas problème à l’armée?
Nous ne recherchons bien sûr pas la publicité. Nous permettons la prière et souhaitons tenir compte de la protection de la personnalité et contribuer à préserver l’atmosphère personnelle d’un rituel religieux. Toutefois, il ne faut pas non plus cacher la prière. Car c’est quelque chose de tout à fait normal.

C’est aussi valable pour la prière musulmane?
Oui. Tous les membres de l’armée ont le même droit d’exprimer leurs besoins religieux. L’armée est une armée pour tous. L’aumônerie de l’armée est une aumônerie pour tous. Nous soutenons nos militaires qui accomplissent leur service pour notre pays. Et qui sont conscients qu’ils doivent le faire, dans certaines circonstances, au péril de leur vie.

Existe-t-il des prières similaires pour les chrétiens?
Bien sûr. Les rituels, cérémonies, services religieux et prières chrétiens ont justement une très longue tradition. L’aumônerie militaire fête cette année ses 140 ans d’existence dans l’armée de la Suisse moderne. Depuis le début, il y a toujours eu des prières et des services religieux chrétiens. Le bataillon dans lequel la prière a eu lieu a une tradition de rituels chrétiens.

«En principe, les rituels de toutes les religions sont possibles»

Y a-t-il eu récemment de telles cérémonies chrétiennes?
Il y en a régulièrement. Je peux donner un exemple qui remonte à l’époque de la pandémie: lorsque de nombreux militaires avaient dû rester à la caserne à Pâques, nous avions organisé diverses célébrations. Parmi celles-ci, il y avait des services chrétiens, par exemple des messes. Comme toujours, cela répondait à un besoin – et c’était effectué sur une base volontaire.

Y avait-il aussi des prières juives?
Pendant la pandémie, des membres israélites de l’armée ont également voulu célébrer Pessah (la Pâque juive, ndlr). Nous avons mis une salle à leur disposition pour qu’ils puissent le faire. Le souhait de prières juives est toutefois moins fréquent en raison du nombre nettement plus faible de personnes juives dans l’armée.

En principe, les rituels de toutes les religions sont possibles. L’aumônerie de l’armée accompagne tous les militaires et répond à leurs besoins religieux.

Des représentants de l’UDC ont critiqué cette cérémonie prière musulmane. Avec le sous-entendu: «Ce n’est plus notre armée». Qu’en pensez-vous?
La primauté du politique s’applique à l’armée. Nous travaillons selon les directives politiques, sur la base de notre Constitution. Cela signifie que tous les membres de l’armée ont les mêmes droits, quelle que soit leur religion. Nous ne pouvons qu’en tenir compte.

«En tant que chef de l’aumônerie de l’armée, mon rôle n’est pas de juger de la manière dont on se comporte en politique»

Qu’il y ait des discussions idéologiques en politique et dans la société, c’est normal et légitime. Mais dans l’armée, il n’y a pas de place pour l’idéologie. Nous sommes une armée pour tous et traitons donc tout le monde de la même manière.

Comment réagissez-vous à la critique contre l’aumônerie militaire?
C’est le jeu démocratique d’avoir et de défendre des opinions différentes. L’important est de conserver le respect et l’estime envers les personnes qui pensent différemment. La relation respectueuse constitue l’un des piliers de notre démocratie suisse.

Et malgré toutes les différences, nous devrions toujours nous souvenir de nos points communs. Dans l’armée, ce point commun est le suivant: nous sommes tous là pour nous engager en faveur de la sécurité et de la liberté de notre pays.

Pensez-vous qu’il devrait y avoir davantage de respect en politique?
En tant que chef de l’aumônerie de l’armée, mon rôle n’est pas de juger de la manière dont on se comporte en politique. Mon rôle est de veiller à ce que les valeurs de l’armée soient renforcées.

«Le débat sur cette photo est une tempête dans un verre d’eau»

La Suisse a toujours connu une grande diversité de population. Nous sommes une nation de volonté. Notre volonté est d’aller de l’avant ensemble. Le respect et l’estime en sont la base. Celui qui sert dans l’armée manifeste sa volonté de servir notre nation de volonté, voire de donner sa vie pour elle.

Allez-vous modifier quelque chose dans l’aumônerie de l’armée, suite à l’agitation autour de la prière musulmane?
Lors de cette prière, tout s’est déroulé correctement, conformément aux principes de l’armée et de l’aumônerie militaire. Il n’y a aucune raison de changer quoi que ce soit. Au contraire: ces derniers jours, nous avons reçu de nombreuses réactions positives de la part des militaires et de la population. Au sein même du bataillon, la prière a également été soutenue, elle était cohérente et juste pour les personnes concernées. Une photo peut être mal interprétée.

Que voulez-vous dire par là?
On peut faire de fausses associations avec cette image. On pourrait croire que tous les soldats se tiennent tout autour et qu’il y a quelques personnes en prière au milieu. Ce n’était pas le cas, ce jour-là. La plupart des militaires du bataillon – soit plusieurs centaines de personnes – se trouvaient justement en pause à ce moment-là. Seuls une vingtaine de militaires musulmans effectuaient leur prière d’une vingtaine de minutes dans ce moment de silence. Et une vingtaine de camarades les regardaient faire. Un petit groupe dans un grand bataillon, donc. Le débat sur cette photo est une tempête dans un verre d’eau. (cath.ch/kath/rp/rz)