Suisse

«La guerre n’a pas fait éclater l’Ukraine, plus unie que jamais» 

Jacques Berset, pour Aide à l’Eglise en détresse ACN

Face à l’agression russe, les Ukrainiens sont plus que jamais unis, indépendamment de leur religion ou de leur langue, estime Mgr Bohdan Dzyurakh. L’évêque gréco-catholique ukrainien, exarque apostolique pour l’Allemagne et la Scandinavie était l’invité, le 15 mai 2022, de l’Aide à l’Eglise en détresse (ACN) à Einsiedeln.

«En Ukraine, depuis l’agression russe du 24 février 2022, des centaines de villes et de villages ont été réduits à l’état de ruines, comme la ville de Marioupol, qui n’existe pratiquement plus et où les occupants ont utilisé des crématoriums mobiles pour brûler les corps de milliers de victimes et ainsi faire disparaître les traces de leurs crimes», lance l’évêque gréco-catholique ukrainien Bohdan Dzyurakh.

Alors qu’en 1991, 92% des Ukrainiens s’étaient prononcés pour l’indépendance (de l’URSS), «depuis le 24 février, la proportion est encore plus grande !», précise Mgr Dzyurakh. Dès 2004, lors des élections, des politiciens ont cherché à diviser la population sur des critères de langues, de mentalités ou de confessions, voire de régions. Cette tactique date de bien avant la sécession du Donbass en 2014. «En principe, les différences sont normales, sans que cela ne doive nécessairement devenir de l’inimitié, voire de l’hostilité ou un danger pour l’intégrité du pays! Mais ceux qui voulaient diviser le pays ont aiguisé ces différences.» La guerre, qui dure effectivement depuis 2014, avait déjà provoqué une grande vague de réfugiés, soit bien plus d’un million et demi, déplacés tant du côté ukrainien (plus d’un million) que du côté russe.

Vladimir Poutine a effectivement misé sur ces différences pour diviser le pays et soutenir les séparatistes du Donbass, en leur livrant des armes et en envoyant clandestinement des hommes depuis la Russie. Cependant, relève Mgr Dzyurakh, 70% des soldats de l’armée ukrainienne parlent russe. En effet, pendant des siècles, nombre d’Ukrainiens ont été russifiés de force, notamment avec la conquête de l’Ukraine par les Russes. Et de relever que c’est la tsarine Catherine II qui a détruit la «République des cosaques» à la fin du XVIIIe siècle. 

La guerre n’a pas de fondement religieux

Ceux qui ont voulu jouer les religions les unes contre les autres n’ont pas réussi, assure-t-il, «car les Ukrainiens sont un peuple tolérant et la guerre n’a pas de fondements religieux!» Pour preuve, le Conseil pan-ukrainien des Églises et des organisations religieuses, (UCCRO) établi en 1996, réunit les deux Églises orthodoxes ukrainiennes et les Eglises et les communautés grecque-catholique, catholique-romaine, arménienne, luthérienne, protestante réformée, évangélique, baptiste, pentecôtiste, adventiste, ainsi que des représentants du judaïsme et de l’islam.

L’UCCRO n’a pas hésité, le 6 avril dernier, à dénoncer «des faits de génocide du peuple ukrainien commis par les troupes russes dans la région de Kiev». C’est un fait, la guerre a suscité une grande sympathie envers le peuple ukrainien au plan international, mais également un fort élan de solidarité au sein de toute la société ukrainienne. 

Refus de fréquenter l’Eglise orthodoxe russe

Avant la guerre, sur 200’000 Ukrainiens vivant en Allemagne, l’Eglise gréco-catholique comptait 70’000 fidèles. En deux mois, depuis l’invasion russe, 600’000 autres, essentiellement des femmes et des enfants, ont trouvé refuge dans le pays. Ce sont essentiellement des personnes de religion orthodoxe, ou des personnes sans confession, avec un arrière-fond orthodoxe, explique l’évêque.

Dans la diaspora, nombre d’orthodoxes cherchent une Eglise «ukrainienne», évitant de fréquenter une Eglise orthodoxe-russe où l’on mentionne durant la liturgie le nom du Patriarche Cyrille de Moscou, lui qui a justifié la guerre contre l’Ukraine avec des arguments théologiques et s’est aligné sur les arguments de Poutine. «Au niveau des simples fidèles, nombreux sont ceux qui quittent cette Eglise.»

Les orthodoxes ukrainiens unanimes pour condamner l’agression

Rappelons cependant que le métropolite Onuphre, primat de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, rattachée au Patriarcat de Moscou, dès le début de l’agression russe, a exprimé son soutien aux soldats ukrainiens «défendant notre terre et notre peuple». Il a directement interpellé le président Poutine et lui a demandé instamment de mettre fin immédiatement à cette «guerre fratricide». Le chef de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine a souligné que la guerre entre les deux peuples est «une répétition du péché de Caïn qui a tué son propre frère par jalousie». (cath.ch/be/mp)

Mgr Bohdan Dzyurakh
Mgr Bohdan Dzyurakh, religieux rédemptoriste né en 1967 dans l’oblast (région) de Lviv, en Ukraine occidentale, a été durant quinze ans secrétaire du synode des évêques de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne et évêque auxiliaire de Kiev. Il a été nommé par le pape François, en février 2021, exarque apostolique pour l’Allemagne et la Scandinavie, avec siège à Munich. 
Entre 1,5 et 1,7 million de fidèles gréco-catholiques vivent en diaspora en temps normal. Ils sont répartis, avant tout en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’en Australie. En Ukraine, près de 10% de la population se déclare gréco-catholique, soit 4,5 millions de croyants, regroupée principalement dans la partie occidentale. JB

Magda Kaczmarek, en Ukraine, en September 2019, lors de la reconstruction du Sanctuaire de la Mèree de Dieu de Berdichev | © ACN

3 millions de soutien d’Aide à l’Eglise en détresse
L’Ukraine vit actuellement «le plus grand chemin de croix de son histoire depuis la Deuxième Guerre Mondiale», lâche Magda Kaczmarek, responsable des projets pour l’Ukraine au siège international d’Aide à l’Eglise en détresse à Königstein, près de Francfort. Magda Kaczmarek, qui a visité les points d’accueil des réfugiés en Ukraine occidentale la semaine avant Pâques, a relayé l’appel du chef de l’Eglise gréco-catholique demeuré à Kiev, qui a expliqué que 50% de l’économie du pays était déjà en ruines.
Face à la vague des réfugiés venant des zones de guerre à l’est et au sud, les paroisses, des séminaires, des communautés religieuses féminines et masculines ont ouvert toutes grandes leurs portes aux personnes déplacées, sans distinction. «La plupart viennent des régions orientales, et ce sont des orthodoxes ou des personnes qu’on peut qualifier ›d’orthodoxes athées’, et ces déplacés sont accueillis les bras ouverts par les communautés gréco-catholiques de l’ouest de l’Ukraine, mieux organisées que les orthodoxes. En ce moment, l’Evangile y est véritablement vécu!» , témoigne-t-elle.
Mais cet accueil représente un important défi financier. Les transports d’aides provenant de l’étranger s’arrêtent à Lviv. Des véhicules de transport sont également nécessaires pour les acheminer plus loin. Dans de nombreux cas, l’aide humanitaire doit être transportée sur de longues distances, sur des routes en très mauvais état ou détruites. De plus, les institutions ecclésiales qui accueillent les déplacés doivent faire face à des charges qui augmentent fortement: eau, électricité, gaz… «Les prix ont explosé, le gaz coûte ainsi quatre fois plus cher!»
Depuis le début de la guerre, ACN a déjà versé une somme de 3 millions d’euros pour l’Ukraine. JB

17 mai 2022 | 15:55
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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