Le Père Olivier de Rubercy, recteur du Séminaire pontifical français de Rome | © Hugues Lefèvre I.MEDIA
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Le Séminaire français de Rome, une institution unique

Le Père Olivier de Rubercy, prêtre du diocèse de Versailles, achève sa première année en tant que recteur du Séminaire pontifical français de Rome. Cette institution unique située au cœur de Rome compte une trentaine de prêtres, diacres et séminaristes venant de toute la France.

Hugues Lefevre I-MEDIA

Alors que les effectifs sont à la baisse, le Père de Rubercy, lui-même ancien séminariste à Rome, explique la spécificité et la pertinence pour l’Église en France de bénéficier d’un séminaire national à Rome. Il dessine le profil des séminaristes d’aujourd’hui, encore marqués par le pontificat de Benoît XVI. Il raconte aussi la façon dont ils réagissent aux révélations d’abus au sein de l’Église. Entretien.

Quels seront les effectifs du Séminaire français de Rome à la rentrée prochaine?
Olivier de Rubercy: Nous comptions cette année 17 séminaristes, 4 diacres et 13 prêtres étudiants, soit une communauté de 34, sans compter les formateurs. Cet été, nous avons une quinzaine de départs et une dizaine d’arrivées (séminaristes et prêtres étudiants). Il serait bon de ne pas baisser davantage les années suivantes pour préserver la vitalité et la pertinence de cette maison. Dans les années 1990, lorsque j’étais séminariste à Rome, la communauté tournait autour de 75-80 personnes. Les effectifs ont donc largement baissé. Ils suivent la baisse du nombre de séminaristes en France.

Le Séminaire français de Rome occupe l’emplacement d’un ancien couvent de clarisses | © Séminaire français

Aujourd’hui, qu’est-ce qui pousse un évêque français à envoyer un séminariste à Rome? Face à la baisse du nombre de séminaristes, n’a-t-il pas plus intérêt à le former en France, proche de son territoire?
Plusieurs expériences d’Église se conjuguent à Rome. Ce séminaire national permet d’abord un brassage entre les séminaristes de France. Ici, une vingtaine de diocèses sont représentés: le Bordelais côtoie le séminariste d’Arras, les Parisiens ceux de Luçon. Ce brassage s’effectue aussi à l’échelle internationale via les universités où ils étudient. Là, les séminaristes français se retrouvent avec des jeunes des cinq continents.

«Rome est une ville merveilleuse de beauté, d’histoire et de culture. Y vivre permet de s’ancrer dans l’histoire de la chrétienté et de l’Église»


Par ailleurs, tous les séminaristes ont une mission pastorale dans le diocèse de Rome. La plupart sont en paroisse mais d’autres sont au service de la catéchèse dans des établissements scolaires ou bien encore dans des œuvres de charité, comme le service aux pauvres avec la communauté de Sant’Egidio. Ils y découvrent un autre visage de l’Église locale qui pourra leur être utile par la suite.
Il y a aussi à Rome la possibilité de participer aux célébrations pontificales et aux grands événements d’Église. La proximité du pape et de la Curie est un atout. Enfin, je crois que la proximité avec les saints et martyrs présents à Rome est une grande richesse dans la formation des futurs prêtres. Rome est une ville merveilleuse de beauté, d’histoire et de culture. Y vivre permet de s’ancrer dans l’histoire de la chrétienté et de l’Église.

On dit parfois que le Séminaire français de Rome est un séminaire d’élite…
Ce n’est pas juste. Je le dis : ce n’est pas un séminaire pour futurs évêques ! Je crois qu’il n’est pas sain de présenter le séminaire ainsi, ne serait-ce que pour le bien-être des séminaristes qui y vivent. Il ne faudrait pas que ce genre de discours leur monte à la tête. De très nombreux bons prêtres de terrain sont passés ici. Certains sont devenus évêques.

Sur quels critères les évêques envoient-ils leurs séminaristes à Rome?
C’est très variable et il faudrait leur demander. Mais je crois qu’un évêque veille à ce que le jeune dispose d’une certaine maturité, puisse travailler de façon autonome et apprendre rapidement la langue. D’ailleurs la norme est d’envoyer seulement des séminaristes qui ont déjà fait leur propédeutique et leur premier cycle de séminaire en France. Ainsi, tout le soin apporté au ›commencement’ a déjà été prodigué et nous sommes donc ici moins en prise avec le discernement initial.

La cour du séminaire français de Rome | © Séminaire français

Existe-t-il un profil type du séminariste accueilli aujourd’hui?
Non, il n’y a pas de profil type mais une diversité des parcours et de générations. Au séminaire français, il y a un écart de vingt ans entre le plus jeune et le plus âgé. Ce que je remarque cependant, c’est qu’ils sont habités par une vraie préoccupation missionnaire, sans doute plus que de mon temps. Ils veulent rejoindre nos contemporains et entrer en dialogue avec eux.
Pour le projet d’année, ils ont opté pour une série de soirées d’évangélisation, à Saint-Louis-des Français, à la Trinité-des-Monts et puis au séminaire. On sent leur joie aussi d’accueillir des pèlerins de passage et de pouvoir les guider dans la découverte des hauts lieux de pèlerinage. Une douzaine de séminaristes sont d’ailleurs mobilisés pour faire visiter ces lieux toute l’année. Nous recevons des groupes scolaires, avec des jeunes qui peuvent échanger avec des séminaristes. Ces rencontres sont rares et précieuses aujourd’hui.

«J’ai été frappé de la façon dont les séminaristes ont été touchés par le décès de Benoît XVI. Il garde à leurs yeux une grande aura»


Sur les questions éthiques, ils sont fermes dans leurs convictions. Sur les questions dogmatiques, ils sont attachés au Magistère de l’Église. Ce ne sont pas des rebelles. Ils aiment l’Église, même ce qu’elle a de minoritaire. Ils voient bien la situation de l’Église aujourd’hui, la baisse du nombre de prêtres, de catholiques pratiquants. Ils veulent la servir généreusement. 
Sur les débats de société, ils exercent un regard critique sans tomber dans la condamnation du monde contemporain, sans en épouser non plus les travers. J’observe qu’ils sont aussi immergés dans la culture numérique et façonnés par elle.

Jean Paul II ? Benoît XVI ? François ? Par quel pape se sentent-ils inspirés?
J’ai été frappé de la façon dont les séminaristes ont été touchés par le décès de Benoît XVI, le 31 décembre dernier. Il garde à leurs yeux une grande aura. En janvier, j’ai proposé des lectures spirituelles sur Benoît XVI et j’ai vu l’intérêt qu’ils avaient pour lui. Un des collèges de séminaristes a d’ailleurs fait le choix de travailler les grands discours du pontife allemand. C’est étonnant de voir comment il a marqué cette génération alors que son pontificat s’est achevé il y a 10 ans déjà.

Et le pape François?
Il y a un grand respect pour la figure du pape. François a fait le choix des périphéries et des pauvres, une option qui ne les laisse pas indifférents. lls sentent qu’il se démarque de ses deux prédécesseurs, dans le choix de ses voyages ou bien des cardinaux. Ils voient l’âme d’un pasteur, son goût pour simplifier la fonction pontificale. Ils connaissent l’encyclique Laudato Si’ et la dimension d’écologie intégrale les interpelle. Les rencontres directes avec le pape François, les audiences, les messes, sont, pour les séminaristes, l’occasion de voir le pape en vrai et d’être impressionné par sa qualité de présence et sa liberté de parole. Une chose est le pape perçu par les médias ou lu dans le Magistère; autre chose est le pape en vrai, en chair et en os.

Le pape François a souvent eu des paroles dures envers le clergé. Les séminaristes en souffrent-ils?
J’entends surtout des prêtres de passage ici s’interroger sur ces critiques qui reviennent régulièrement. Les séminaristes se sentent moins concernés car ils ne sont pas encore prêtres. La lutte contre le cléricalisme est un des grands chantiers du pape François. C’est une bonne chose. Mais le mode d’action du pape déconcerte parfois. Je me souviens de l’effet provoqué par le discours des 15 maladies de la Curie… Cet examen de conscience public avait marqué les esprits. C’est le style de François qui nous bouscule.

Les séminaristes se sont-ils intéressés au Synode sur la synodalité?
Je suis étonné de constater qu’ils n’en parlent pas beaucoup. L’an passé, Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire au secrétariat du Synode des évêques, est venue rencontrer la communauté pour un temps d’échange. Mais de manière générale, ils n’ont pas été associés de près aux carrefours et aux débats qui ont eu lieu dans les paroisses durant la phase initiale du synode.
Ils devraient avoir plus de visibilité sur ce synode en octobre prochain, lors de la première session romaine. Pour l’heure, cela reste encore abstrait. Ils découvriront surtout l’expérience synodale lorsqu’ils seront sur le terrain.

«Chaque fois qu’un scandale d’abus sexuels sort dans la presse, cela représente pour eux comme un coup de poignard»

Avec ce synode, certains annoncent la venue du temps des laïcs dans l’Église. Les futurs prêtres ont-ils l’impression que leur vocation est moins reconnue et encouragée que sous les pontificats précédents?
C’est difficile de répondre à la place des futurs prêtres. Ils sont conscients de la mission des laïcs dans l’Église. Ils ne la remettent évidemment pas en cause. Ils attendent certainement que la mission du prêtre soit davantage mise en valeur, dans une juste articulation avec celle des laïcs, sans concurrence mais en vue d’une même mission. Le prochain synode y contribuera.

Comment les séminaristes réagissent-ils aux révélations d’abus dans le clergé?
Je ne ressens chez eux ni peur ni colère. Mais chaque fois qu’un scandale sort dans la presse, cela représente pour eux comme un coup de poignard. Nous avons vécu cette année deux rencontres en communauté sur ce sujet. La première s’est déroulée après les révélations des affaires Santier et Ricard, en novembre dernier, avec le père Luc-Marie Lalanne, membre de l’équipe des formateurs du séminaire et official au sein de la section disciplinaire du dicastère pour la Doctrine de la foi. L’autre a eu lieu avec Mgr Thibault Verny, membre de la commission pontificale pour la protection des mineurs. Chacune de ces rencontres était précédée par un recueil de questions transmis aux intervenants. 
Plus largement, je crois qu’à la différence de ma génération, les séminaristes d’aujourd’hui ont toujours entendu parler des abus durant la formation. Durant leurs années de formation, ils ont de nombreuses occasions pour échanger en toute liberté sur ces sujets, de manière sereine et lucide, notamment avec des experts, des formateurs, des responsables d’Église mais aussi entre eux.
Cette année, ils ont vu les trois groupes d’évêques français venir en formation à Rome auprès des dicastères pour la Doctrine de la foi et pour les Évêques. Ils voient que cette question est prise au sérieux et que les responsables ont à coeur de faire de l’Église une maison saine pour tous. Au séminaire, il faut toutefois veiller à trouver le bon équilibre sur ces questions afin que les dispositifs mis en place ne fassent pas passer le séminariste comme un pervers en puissance.

Est-ce un poids pour les séminaristes d’être potentiellement perçus par certains comme des «abuseurs en puissance»? 
Peut-être… Je ne suis pas père spirituel et n’ai donc pas entendu cette angoisse. Dans les séminaires aujourd’hui, on propose des formations humaines à l’affectivité et à la sexualité dans les premières années. On offre la possibilité d’entretiens personnels pour qu’un jeune qui porte dans son histoire une blessure dont il n’ose pas parler puisse le faire librement et recevoir des conseils. À Rome, nous avons consacré deux jours en février à ces questions liées à la chasteté, l’affectivité et aux relations humaines.

La chapelle du Séminaire français de Rome | © Séminaire français

Le réfectoire et la chapelle du séminaire sont décorés par les mosaïques du père Marko Rupnik, aujourd’hui accusé d’abus spirituels, psychologiques et sexuels sur des femmes adultes, dont des religieuses. Faut-il les enlever?
Pour l’heure, il n’y a pas eu de débat au sein du séminaire et je dois dire que les questions à ce propos me viennent plutôt de l’extérieur. Je n’ai pas reçu de remarques particulières de séminaristes et ne suis pas très avancé dans ma réflexion pour le moment. Je suis prêt à tout, et s’il faut les retirer, on les retirera.
Dans le diocèse de Versailles, un chantier de décoration d’une nouvelle église a été interrompu en décembre. Ici, les mosaïques sont déjà présentes. Je vois les débats dans la presse concernant l’opportunité ou non de distinguer l’artiste de son œuvre. Si cette distinction n’était plus opérée, il faudrait décrocher bon nombre de tableaux, à commencer par les toiles du Caravage. Je pense qu’il faut prendre le temps de la réflexion. Je ne déciderai pas tout seul. (cath.ch/imedia/hl/mp)

Le Séminaire pontifical français de Rome

Le Séminaire pontifical français de Rome est né de la volonté commune du pape Pie IX et des évêques de France de permettre à des séminaristes ou à des jeunes prêtres de bénéficier des richesses qu’offre une formation à Rome.
Il a été fondé en 1853 par la Congrégation du Saint-Esprit qui en a assuré le suivi jusqu’en 2009. Le Séminaire est depuis pris en charge par la Conférence des évêques de France.
A sa fondation, le séminaire s’installe d’abord dans l’ancien Collège des Irlandais, via degli Ibernesi. Il dépasse vite la trentaine de séminaristes et les bâtiments se révèlent trop étroits. En 1856, le Séminaire s’installe dans l’ancien couvent des clarisses, au 42 de la Via Santa Chiara, où il réside encore. La chapelle est reconstruite et achevée en 1881. De 1883 à 1890, les vieux bâtiments sont progressivement remplacés par l’immeuble actuel. MP

Le Père Olivier de Rubercy, recteur du Séminaire pontifical français de Rome | © Hugues Lefèvre I.MEDIA
23 juillet 2023 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 9 min.
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