L'Eglise orthodoxe serbe au Monténégro dans le collimateur du président Djukanovic

L’Eglise orthodoxe serbe au Monténégro est dans le collimateur du président Milo Djukanovic. Son projet de loi sur «la liberté religieuse» aurait pour but d’exproprier les églises et les biens de la plus grande confession religieuse du pays.

Ce scénario est perçu comme une grave atteinte aux droits de l’Eglise serbe dans cette petite république multiethnique de 660’000 habitants au cœur des Balkans.

Le président monténégrin promeut l’autocéphalie (auto-administration dans les affaires ecclésiastiques et pastorales) de l’Eglise orthodoxe monténégrine. Cette Eglise nationale non canonique n’est reconnue par aucune autre Eglise orthodoxe.

Des motivations nationalistes

Rétablie à partir de 1993 comme un projet politique autant que spirituel, avec l’appui total des milieux indépendantistes, cette Eglise monténégrine a son siège à Cetinje, l’ancienne capitale royale du Monténégro.

Le projet de loi ratifié par le gouvernement monténégrin envisage la nationalisation de toutes les églises orthodoxes construites avant 1918, ainsi que des biens ecclésiastiques. Ils seraient alors transmis «à un groupuscule schismatique dirigé par le clerc défroqué Dedeić», dénonce le patriarche de Constantinople Bartholomée, qui a vivement interpellé le président Djukanovic.

Patriarcat œcuménique versus Djukanovic

«Le Patriarcat œcuménique, avec toutes les autres Eglises orthodoxes, reconnaît comme seule juridiction orthodoxe canonique au Monténégro celle qui se trouve sous la juridiction du métropolite Amphiloque, hiérarque de la très sainte Eglise de Serbie. L’Eglise du Monténégro n’a jamais été autocéphale, et l’actuelle soi-disant Eglise orthodoxe du Monténégro sous l’obédience de Miraš Dedeić n’appartient pas à l’Eglise orthodoxe. M. Dedeić n’est pas un évêque de l’Eglise orthodoxe, mais une personne défroquée par le Patriarcat œcuménique», écrit le patriarche œcuménique Bartholomée.

Le patriarche de Constantinople évoque le risque que «le peuple bien-aimé du Monténégro en arrive à un état d’isolement ecclésial et de séparation du corps de la communion entière des Eglises orthodoxes, étant donné qu’aucune Eglise parmi elles ne reconnaîtra ou soutiendra l’invention anti-canonique de Dedeić».

Pas de répétition du «modèle ukrainien»

Même si les autorités de Podgorica, la capitale, ont déclaré chercher à obtenir l’autocéphalie pour l’Eglise orthodoxe non canonique du Monténégro, la répétition du «modèle ukrainien» – la tentative de réunifier les Eglises a intensifié les divisions dans le pays – semble difficile à réaliser dans les Balkans.

La Métropole du Monténégro de l’Eglise orthodoxe serbe estime, elle aussi, que la nouvelle loi est dirigée contre elle, car elle vise à nationaliser tous les biens qu’elle possède s’ils sont antérieurs à 1918, «dans la probable intention de les céder à un groupe schismatique».

Une Eglise «schismatique»

La polémique sur la légitimité de l’Eglise orthodoxe serbe au Monténégro, assez récente, est due aux mouvements nationalistes qui secouent la région. Elle apparaît au début des années 1990 avec l’affirmation ou la réaffirmation d’une Eglise orthodoxe autocéphale monténégrine autoproclamée.

Cette dualité entre deux Eglises orthodoxes dans ce petit pays des Balkans accompagne un processus plus général de division identitaire entre des populations se considérant comme serbes et d’autres se revendiquant plus spécifiquement comme monténégrines.

Trop pro-serbe et pro-russe ?

Le principal évêque orthodoxe serbe au Monténégro, Amphiloque Radovic, a convoqué un conseil de l’Eglise le 15 juin 2019 à Podgorica pour protester contre ce qu’il a appelé l’ingérence du gouvernement dans les affaires de l’Eglise.

Dans un communiqué, la Métropole du Monténégro de l’Eglise orthodoxe serbe, s’adressant au président Djukanovic, rappelle que le «président d’un Etat séculier, qui en outre se déclare athée, non baptisé» n’a pas à s’ingérer dans les affaires internes de l’Eglise. Elle estime qu’elle ne doit pas être «la servante des intérêts idéologiques de son parti et de ses partisans».

«L’Eglise, peut-on lire dans le communiqué, ne sera la servante ni du Monténégro, ni de la Serbie, ni du serbisme, ni du monténégrisme, ni de quelque autre idéologie que ce soit, de quelque projet ou ‘infrastructure’ étatique, car elle ne serait plus l’Eglise».

Le patriarche orthodoxe serbe Irénée a averti le président Djukanovic que ses actions pourraient conduire à une malédiction formelle, ou anathème. Le gouvernement de Podgorica considère que l’Eglise orthodoxe serbe a toujours été hostile à l’indépendance du pays, et qu’elle est généralement trop pro-serbe et pro-russe. (cath.ch/orthoxie.com/be)

Milo Djukanovic, président du Monténégro, reçu au Vatican par le pape François | © Vatican Media
3 juillet 2019 | 14:17
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
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