L'Eglise en première ligne contre la mafia

En 2014, le pape François condamnait sans appel la mafia. Trois ans plus tard, le Père Luigi Ciotti, qui a fondé l’organisation catholique antimafia «Libera», assure que les choses ont bougé en Italie et que l’Eglise s’affirme de plus en plus face à l’organisation criminelle.

«Repentez-vous, arrêtez de faire le mal.» Trois ans se sont écoulés depuis que le pape François a lancé cet appel aux mafieux, suite à une rencontre avec les familles des victimes de l’organisation, dans l’église Saint-Grégoire VII de Rome. Le Père Ciotti a évoqué le 7 février 2017 sur Radio Vatican en italien, les progrès enregistrés sur le terrain, suite à cette exhortation du pape.

Luigi Ciotti: Dans cette église Saint-Grégoire, le pape François a frappé l’opinion publique. Recevant un millier de proches de victimes innocentes de la violence criminelle mafieuse, il a soudainement retourné le discours en s’adressant aux «grands absents» de cette rencontre: «les hommes et les femmes de la mafia». «Changez et convertissez-vous», leur a-t-il lancé. Le pape François a répété ce grand geste déjà réalisé par Jean Paul II à l’adresse des Brigades rouges: «Je vous le demande à genoux: changez et convertissez-vous». Certaines choses ont ainsi changé, surtout depuis que François, dans la continuité de sa pensée, a déclaré dans la plaine de Sibari (un bastion de la mafia en Calabre): «Ceux qui adorent le mal sont excommuniés».

Dans un discours prononcé devant le Bureau anti-mafia, il y a quelques semaines, le pape François a déclaré que «nous avons besoin de favoriser une prise de conscience de la moralité et de la légalité»; ce qui implique non seulement de dénoncer le mal, mais – et c’est peut-être beaucoup plus difficile – de cultiver le bien. Quel rôle peut jouer en cela l’Eglise (…)?
Beaucoup de choses sont en train de changer. Il y a encore cependant des poches (de résistance). Sur le plan culturel, nous voyons parfois des choses qui nous déconcertent. Mais la conscience et le sens de la responsabilité ne cessent d’augmenter. Nous avons aussi des évêques plus courageux, plus forts, plus capables. Ce sont quelques bons signes. Je veux cependant rappeler que, dans le passé, même s’il y avait des contradictions, il y a aussi eu des gens qui ont cru à cette lutte et qui y ont même laissé la vie. C’est le cas notamment de Don Peppino Diana ou de Don Pino Puglisi. (…)

Dans son message pour la Journée des communications sociales, cette année, le pape François a appelé à se concentrer sur la logique de la Bonne Nouvelle, sans superficialité, ni optimisme facile. Comment s’exprime, de votre point de vue, cette Bonne Nouvelle, sur ce terrain si dur, parfois froid et compliqué, où «Libera» exerce son action depuis tant d’années?
La Bonne Nouvelle est cette merveille: les garçons, quand ils rencontrent des espaces, des opportunités, des paroles vraies, se prennent en charge, se forment une volonté. Une seconde merveille est cette expression d’une Eglise courageuse. Nous avons l’obligation de mettre en avant la responsabilité, la beauté, les choses positives; de les améliorer, de les soutenir, de les encourager. Il s’agit d’une dimension importante de l’éducation. Cela commence par donner la main à nos garçons, à distinguer les différents cas et à ne pas tout confondre, à accueillir le positif qui commence par de petites choses: par exemple à la maison, à l’école, dans le voisinage, dans la paroisse. Mais nous sommes toujours bombardés avec la négativité. Nous devons mettre en avant le positif. (…) La mafia a confisqué des biens que personne n’ose reprendre, par crainte des représailles. Moi, je veux qu’ils soient rendus, parce qu’ils peuvent servir à créer des activités pour les jeunes, les enfants, les familles. (…) Nous devons lutter contre cette corruption qui nous appauvrit tous: c’est un cancer qui nous ronge! Mais le pape François ne baisse pas les bras! Pas une semaine ne passe sans qu’il n’élève la voix contre ceux qui se sont enfermés dans la prudence du silence.

Don Luigi Ciotti

Don Luigi Ciotti est engagé depuis les années 1960 dans l’aide aux populations en situation de grande précarité, et tout particulièrement les toxicomanes. Proche du pape François, il est devenu célèbre en Italie pour la lutte qu’il mène depuis le milieu des années 1990 contre la mafia, notamment en fondant l’ONG «Libera». Le réseau s’occupe en particulier de la gestion des biens saisis aux mafias. (cath.ch/rv/rz)