Rita Famos, présidente de l'EERS, entend faire la lumière sur les abus au sein de l'institution | © Raphaël Zbinden
Suisse

L’Eglise réformée veut lancer une enquête sur les abus

Le Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) demande à son Synode (Parlement) de réaliser une étude sur les abus sexuels au sein de l’institution. Rita Famos, présidente de l’EERS, confirme la prise de conscience, dans le milieu protestant, de la gravité de la situation.

Rita Famos entend parler de cas d’abus «presque chaque semaine, depuis le début de l’année», assure-t-elle dans la NZZ du 28 avril 2024. «Il s’agit de cas graves, comprenant des viols et de la contrainte». Dans l’interview, la présidente de l’EERS annonce la demande de lancement d’une enquête de la part du Conseil (exécutif) de l’institution. La proposition sera discutée lors du synode d’été de l’EERS, qui se déroulera à Neuchâtel du 9 au 11 juin 2024.

Enquête représentative

Une démarche confirmée par l’Eglise dans un communiqué détaillé du 29 avril. L’étude s’étendrait sur trois ans. Le Conseil souhaite la confier au Centre pour la religion, l’économie et la politique (Zentrum für Religion, Wirtschaft und Politik – ZRWP), de l’Université de Lucerne.

Trois axes ont été fixés: une enquête représentative auprès de 20000 personnes de la population suisse. Elle doit présenter des estimations de l’étendue des abus sexuels dans le milieu ecclésial et les comparer avec d’autres domaines de la société. Un second point sera le recensement de la forme et de l’intensité des actes, les auteurs et les circonstances spécifiques dans lesquelles des abus sexuels se produisent dans les Églises ainsi que les séquelles pour les personnes concernées. Il s’agira en outre de recueillir les expériences de toutes les personnes concernées qui le souhaitent dans le cadre d’une étude participative non représentative.

Prise de conscience

«Cette démarche a pour but de révéler des faits et des cas encore inconnus, non documentés dans un quelconque dossier», note l’EERS. «Nous avons besoin de cette étude pour pouvoir identifier et empêcher les abus sexuels dans l’Église et la société», ajoute le communiqué. Le Conseil demande à cet effet un budget de 1,6 million de francs.

«Il n’est pas possible de se reposer sur ses lauriers et de désigner des boucs émissaires, comme l’a pu l’être Église catholique»

Rita Famos

L’EERS avait annoncé en janvier 2024 la mise en place d’une task force sur le sujet. Comme Rita Famos le confirme dans la NZZ, la publication d’une enquête dans l’Eglise évangélique d’Allemagne (EKD), fin janvier, a montré que la sphère protestante n’était pas épargnée par la problématique des abus. Le rapport a en effet révélé que près de 9’400 enfants et adolescents ont été victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise protestante et de ses services de diaconie depuis 1946. «Dans l’Eglise réformée, nous avons longtemps eu le sentiment que le sujet ne nous concernait pas plus que le reste de la société, note Rita Famos. Contrairement aux catholiques, nous ne sommes pas une Eglise d’hommes, nous n’avons pas de célibat ni de morale sexuelle rigide.»

L’Eglise catholique romaine en Suisse a en effet lancé un projet pilote sur les abus en milieux ecclésiaux en 2021. Ses résultats, publiés en septembre 2023, relevant plus de 1000 cas depuis les années 1950, avaient été très médiatisés, provoquant de vives critiques de l’institution.

Méthode du sondage

«Nous voulons lever le tabou sur ce sujet, précise la présidente de l’EERS dans le journal zurichois. L’étude se penche sur la question de savoir où les abus se produisent partout et à quelle fréquence: dans les églises, mais aussi dans les familles, dans les fédérations sportives, à l’école. Il n’est pas possible de se reposer sur ses lauriers et de désigner des boucs émissaires, comme l’a pu l’être Église catholique.»

Mais contrairement à la démarche catholique, l’EERS n’entend pas passer au crible les dossiers et utilisera la méthode du sondage. «Cela s’explique par le fait que nous sommes une Église participative, construite à partir de la base, souligne Rita Famos. Nous avons une structure fédéraliste avec 25 Églises membres. Un traitement des dossiers serait donc beaucoup plus complexe pour nous que pour les catholiques.»

«Cultures d’Eglise» vulnérables

L’EERS compte également se pencher sur l’abus spirituel, souvent corollaire de l’abus sexuel, précise la représentante réformée. Quant à l’indemnisation, elle affirme partir du principe que «nos Églises membres trouveront les moyens d’accorder une reconnaissance financière aux victimes sans que cela nécessite des procédures complexes qui peuvent entraîner un retraumatisme.» Outre la mise en place d’une culture de l’observation, l’EERS compte uniformiser ses normes en matière de prévention.

Rita Famos relève par ailleurs l’existence de deux «cultures d’Eglise vulnérables». «D’une part, les cercles évangéliques et conservateurs, dans lesquels la sexualité est à la fois exaltée et tabouisée par une morale sexuelle rigide. D’autre part, certains cercles progressistes qui, dans leur conception libérale de la sexualité, confondent limites personnelles et pruderie.» (cath.ch/com/nzz/arch/rz)

Rita Famos, présidente de l'EERS, entend faire la lumière sur les abus au sein de l'institution | © Raphaël Zbinden
29 avril 2024 | 11:34
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 3 min.
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