Levée de boucliers contre la bénédiction des couples homosexuels
Zambie, Nigeria, Malawi… ils sont nombreux parmi les évêques, notamment sur le continent africain, à prendre leurs distances quant à la déclaration doctrinale Fiducia supplicans publiée le 18 décembre 2023, autorisant la bénédiction des couples homosexuels sous certaines conditions.
Maurice Page avec I.MEDIA
Dans une déclaration doctrinale approuvée par le pape François, le dicastère pour la Doctrine de la foi ouvre la voie à la bénédiction de couples en situation irrégulière et de couples de même sexe, à condition que cette bénédiction ne soit pas ritualisée et qu’elle n’imite pas le mariage chrétien qui reste entre un homme et une femme. Le texte n’entend pas légitimer les unions irrégulières aux yeux de l’Église mais proposer une «charité pastorale».
Objections du cardinal Müller
Dans une longue déclaration, le cardinal Gerhard Müller, ancien préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) de 2012 à 2017, démonte le document et avertit les prêtres d’un risque de «blasphème» s’ils octroient les bénédictions à des couples en situation irrégulière.
Pour le cardinal Müller, l’enseignement de Fiducia supplicans est «contradictoire» et il n’exprime pas simplement «une évolution» de la doctrine mais «un saut doctrinal», qui s’oppose à la dernière déclaration magistrale à ce sujet. En mars 2021, le DDF avait publié une note qui rejetait catégoriquement la possibilité de bénir les unions de même sexe.
Le théologien allemand, connu pour ses vives critiques à l’encontre du pape, estime que ce qu’il appelle la «bénédiction pastorale innovante» est «créée ad hoc pour bénir des situations contraires à la loi ou à l’esprit de l’Évangile». En effet, note-t-il, ce ne sont plus «les personnes pécheresses» qui sont bénies, mais «en bénissant le couple, c’est la relation pécheresse elle-même qui est bénie».
Et le cardinal Müller de souligner que «selon le critère de ce type de bénédictions, on pourrait même bénir une clinique d’avortement ou un groupe mafieux». Il est «hasardeux d’inventer de nouveaux termes», prévient le prélat, qui conclut, péremptoire, que le prêtre qui donnerait ce type de bénédiction commettrait «un acte sacrilège et blasphématoire».
En Afrique, des évêques protestent
Si la déclaration de Rome a été saluée notamment par les conférences épiscopales d’Allemagne et de Suisse, il n’en est pas de même dans d’autres pays, qui ont manifesté leurs réserves, voire leur opposition frontale à la décision du pontife argentin. Des évêques africains notamment, dont certains se trouvent en porte-à-faux par rapport aux lois de leur pays, déplorent une «confusion» et annoncent qu’ils ne mettront pas en pratique ces bénédictions.
Le 20 décembre, les onze évêques de Zambie émettaient ainsi un communiqué de trois pages signé à l’unanimité, s’inquiétant des «confusions et craintes» soulevées par ce document parmi les fidèles. Fiducia supplicans »ne doit pas être comprise comme une approbation des unions de personnes de même sexe», affirment-ils, rappelant aussi les termes du Catéchisme de l’Église catholique, qui qualifie les actes homosexuels d’ « intrinsèquement désordonnés ».
Afin d’éviter «toute ambiguïté pastorale», en se prévalant de la loi du pays qui interdit les unions et les relations entre personnes de même sexe, ainsi que de leur «héritage culturel», les évêques préviennent qu’ils utiliseront Fiducia supplicans pour «une réflexion plus approfondie» et non pas pour être «appliquée».
De même, les évêques catholiques du Malawi ont interdit la mise en œuvre de la déclaration, mettant en garde contre «certaines interprétations erronées» et notant «des inquiétudes parmi les catholiques et les personnes qui attendent de l’Église catholique une orientation morale, spirituelle et doctrinale».
«Nous demandons que, pour des raisons pastorales, les bénédictions de toute nature et les unions entre personnes de même sexe ne soient pas autorisées au Malawi», déclarent les membres de la Conférence épiscopale de ce pays d’Afrique du sud-est.
Au Nigeria, les évêques ont également diffusé une note pour «clarifier» le contenu de Fiducia supplicans. Ils avertissent qu’il n’existe «aucune possibilité dans l’Église de bénir des unions entre personnes de même sexe», car «cela irait contre la loi de Dieu, les enseignements de l’Église, les lois de notre nation et les sensibilités culturelles de notre peuple». Sans toutefois proscrire les bénédictions, ils demandent aux prêtres nigérians de «ne rien faire qui détournerait de la sacralité du sacrement» de mariage entre un homme et une femme.
Cette déclaration n’approuve en aucun cas les «mariages entre personnes de même sexe» et ne cherche pas à reconnaître de manière détournée une telle union. Elle ne cherche pas à obtenir une ‘bénédiction d’union’ alternative pour remplacer un mariage sacramentel», affirme de son côté la Conférence des évêques catholiques du Kenya (KCCB) .»La situation sociale des mariages entre personnes de même sexe n’est pas acceptée dans notre culture». La KCCB soutient néanmoins la déclaration romaine: «En bénissant des personnes, nous ne bénissons pas les actions immorales qu’elles peuvent accomplir, mais nous espérons que la bénédiction et les prières offertes sur elles en tant que personnes humaines les inciteront à se convertir et à revenir dans les voies du Seigneur».
Des réticences frontales en Asie et en Europe
L’archevêque d’Astana, la capitale du Kazakhstan – que le pape François a visitée en septembre 2022 –, Mgr Tomash Peta, et son auxiliaire Mgr Athanasius Schneider, ont réagi dès le 19 décembre, taclant «la grande tromperie et le mal qui résident dans l’autorisation même de bénir des couples en situation irrégulière et des couples de même sexe». Sans mâcher leurs mots, ils voient la bénédiction de couples en situation irrégulière comme «un grave abus du très saint nom de Dieu» et une contradiction de la doctrine bimillénaire de l’Église catholique.
Les chefs de ce diocèse d’Asie centrale interdisent explicitement aux prêtres et aux fidèles «d’accepter ou d’effectuer toute forme de bénédiction de couples en situation irrégulière et de couples de même sexe». Et ils demandent au pape François «de révoquer (cette) permission».
Des réserves se font entendre également en Europe. Dans un communiqué publié sur Twitter, la Confraternité britannique du clergé catholique, qui regroupe plus de 500 prêtres et diacres d’Angleterre, d’Écosse et du Pays de Galles, déplorent eux aussi «la confusion» qui s’est créée, précisant que les relations homosexuelles ne peuvent être «en aucun cas» approuvées.
S’ils notent «le noble désir pastoral» du document, ils soulignent cependant que les bénédictions comporteraient toujours «un degré d’approbation» des unions irrégulières et mèneraient au «scandale». Et de conclure que «ces bénédictions sont théologiquement, pastoralement et pratiquement inadmissibles».
Une bénédiction de 3e classe
A l’autre bout du spectre, les réactions critiques ne manquent pas non plus. Simon Spengler, porte parole de l’Eglise catholique du canton de Zurich, reconnaît que ce texte constitue une ouverture mais «Fiducia supplicans dégouline d’homophobie ! Je n’ose pas croire qu’avec cette démarche, ‘l’Eglise prend désormais au sérieux les personnes vivant des situations relationnelles différentes’, comme l’interprètent les évêques suisses. Au contraire, ce qui ressort de ce texte, c’est surtout la peur de prendre vraiment les gens au sérieux, car leur sexualité en fait aussi partie. Sérieusement : si j’étais un homme gay et que je vivais avec mon ami, je me ficherais de cette bénédiction de troisième classe.»
Pour une autre chose compte: «Le fait que ce qui était encore interdit hier est valable aujourd’hui. La reconnaissance claire par l’autorité suprême que l’enseignement de l’Eglise n’est pas simplement rigide et immuable, mais qu’il est vivant, qu’il peut évoluer et s’adapter.»
Simone Curau-Aepli, présidente de la Ligue suisse des femmes catholiques, salue l’ouverture de la bénédiction également pour les couples homosexuels. Il semble toutefois qu’il s’agisse d’une «bénédiction de seconde classe». Elle pointe en particulier le paragraphe 39 de la déclaration qui dit que «cette bénédiction ne sera jamais accomplie en même temps que les rites civils d’union, ni même en relation avec eux. Ni non plus avec des vêtements, des gestes ou des paroles propres au mariage.» Elle regrette vivement que les ›personnes qui s’aiment’soient ainsi classées dans une deuxième catégorie
«L’homosexualité est donnée par Dieu»
«L’homosexualité est donnée par Dieu: Malheureusement, l’Eglise catholique ne le reconnaît pas», commente le diacre, lucernois Roger Seuret. «Non seulement la lettre est rédigée dans le langage habituel, pompeux et clérical, mais elle continue de penser qu’elle doit mettre sous tutelle les chrétiens adultes et responsables en matière de sexualité.»
«La sexualité vécue comme l’expression de l’amour entre deux personnes, vécue de manière respectueuse et responsable, (…) peut devenir l’une des plus belles expériences de Dieu. C’est ce que l’Eglise devrait inviter les gens à découvrir aujourd’hui, dans un langage moderne et compréhensible». (cath.ch/imedia/ak/mp)
