Mgr Paul Hinder, vicaire apostolique d'Arabie du Sud  (Photo:  Jacques Berset)
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Mgr Paul Hinder: «Bahreïn a une histoire de tolérance religieuse»

A la veille de la visite du pape François au Bahreïn, du 3 au 6 novembre prochains, Mgr Paul Hinder, confie à I.MEDIA ses attentes. Bien qu’évêque émérite, le capucin suisse, âgé de 80 ans, demeure en responsabilité comme administrateur apostolique du vicariat d’Arabie du Nord. Un territoire qui inclut l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar et le Bahreïn.

propos recueillis par Cyprien Viet I.MEDIA

Mgr Paul Hinder a été vicaire apostolique d’Arabie de 2005 à 2011, puis vicaire apostolique d’Arabie du Sud de 2011 à 2022, après la création de cette circonscription ecclésiastique incluant les Émirats arabes unis, Oman et le Yémen. En février 2019, il a accueilli le pape François à Abou Dhabi pour la première visite apostolique d’un pontife dans un pays du Golfe arabo-persique. Le missionnaire suisse demeure en responsabilité comme administrateur apostolique du vicariat apostolique d’Arabie du Nord, une charge qu’il assume depuis le décès du précédent titulaire, Mgr Camillo Ballin, en 2020.

Quelle a été votre réaction après l’annonce de cette visite? Quels en seront les principaux enjeux?
Nous sommes ravis de cette annonce, d’autant plus qu’elle intervient trois ans et demi après la visite inédite du pape François aux Émirats arabes unis en 2019. Cette visite a été une très forte manifestation de la volonté du Saint-Père de construire des ponts entre chrétiens et musulmans. 
Comme les Émirats arabes unis, le Bahreïn est un royaume dominé par les musulmans (70 % de la population est musulmane), mais il existe des liens chaleureux et cordiaux entre le Bahreïn et le Vatican. Le pape François a accepté l’invitation du roi du Bahreïn moins d’un an après qu’elle ait été lancée.
C’est un rêve devenu réalité pour le Bahreïn et le reste du Vicariat d’Arabie du Nord, qui comprend le Qatar, le Koweït et l’Arabie saoudite. Je suis personnellement ravi de cette annonce, car elle renforcera non seulement la foi des catholiques de cette région, mais fera également apparaître le pape comme un artisan de la paix, puisqu’il réitérera son appel à l’harmonie interreligieuse et à la fraternité de l’humanité. C’est très important dans cette partie du monde déchirée par les conflits. 

Combien de catholiques vivent au Bahreïn? Bénéficient-ils d’une reconnaissance institutionnelle?
On estime à 80’000 le nombre de catholiques au Bahreïn, dont beaucoup sont des migrants venus d’Asie, notamment des Philippines et de l’Inde. Dans l’ensemble, les chrétiens, au nombre d’environ 210’000, représentent 14 % de la population, suivis par les hindous (10 %). Bahreïn compte deux paroisses, ainsi que la cathédrale Notre-Dame d’Arabie, récemment construite. Elle peut accueillir jusqu’à 2’300 fidèles, ce qui en fait la deuxième plus grande église catholique romaine du Golfe persique.

«Depuis plus de 200 ans, le Royaume permet aux non-musulmans ou aux personnes d’autres religions de pratiquer leur culte.»

Les catholiques du Bahreïn jouissent d’une liberté totale de pratiquer leur religion. Comme dans d’autres pays de la région, cette liberté se limite aux lieux de culte accordés aux chrétiens. Par exemple, on ne peut pas simplement louer une salle quelque part et célébrer la messe. Cependant, les chrétiens peuvent pratiquer leur foi sans être dérangés. 

Le Bahreïn est-il plus avancé que les autres pays du Golfe en matière de liberté religieuse? Les conversions sont-elles possibles?
Le Bahreïn a une riche histoire de tolérance et d’harmonie religieuse. Depuis plus de 200 ans, le Royaume permet aux non-musulmans ou aux personnes d’autres religions de pratiquer leur culte. Cela s’est traduit par le geste du souverain du Bahreïn qui a accordé une licence pour la construction d’un temple hindou en 1819. En 1893, les représentants de la mission américaine sont venus au Bahreïn, ont rencontré le souverain Shaikh Isa bin Ali Al Khalifa, et ont reçu l’autorisation d’établir une église, une école et un hôpital.
Il n’existe aucun obstacle juridique à la conversion à une autre religion, même pour les musulmans. Cependant, il faut tenir compte du fait que le réseau social, religieux et culturel est si fort que la plupart du temps, une conversion entraîne de fortes sanctions de la part du clan familial. Pour cette raison, il est conseillé de s’abstenir de toute forme de prosélytisme à l’égard des musulmans.  

«En tant que migrants, les chrétiens n’ont aucune influence politique sur la législation du pays»

Outre le culte, des activités sont-elles possibles pour l’Église locale, notamment en faveur des travailleurs migrants?
Les activités de l’Église qui pourraient avoir un impact majeur dans la société du pays sont limitées. Nous avons l’école du Sacré-Cœur qui jouit d’une grande estime, même parmi les citoyens bahreïnis. Le soutien aux travailleurs se fait discrètement par des groupes paroissiaux actifs à travers des visites aux camps de travail (zones résidentielles réservées aux travailleurs migrants). En tant que migrants, les chrétiens n’ont aucune influence politique sur la législation du pays, mais ils peuvent contribuer, de manière discrète et prudente, à une prise de conscience majeure des problèmes sociaux spécifiques.

La cathédrale inaugurée dans ce pays en 2021 est-elle aussi celle des catholiques d’Arabie Saoudite?
L’église Notre-Dame d’Arabie qui a été inaugurée en décembre 2021 est la cathédrale du Vicariat d’Arabie du Nord, qui comprend le Bahreïn, le Koweït, le Qatar et l’Arabie saoudite. Les catholiques vivant en Arabie saoudite la considèrent donc également comme leur cathédrale, notamment ceux de la province orientale d’où ils peuvent facilement se rendre au Bahreïn.


Le voyage du pape à Abou Dhabi en 2019 et la signature du Document sur la fraternité humaine ont-ils eu un effet durable sur la façon dont les gouvernements des pays du Golfe considèrent les chrétiens?
Cela a certainement été le cas. La plupart des gouvernements de la région ont salué le Document sur la fraternité humaine signé en 2019 par le souverain pontife et le Dr Ahmed Al-Tayyeb, grand imam d’Al-Azhar en 2019, comme un geste historique visant à favoriser le respect de toutes les religions. Le roi Hamad du Bahreïn a également approuvé le Document sur la fraternité humaine et a déclaré qu’il contribuera à rassembler les gens dans un esprit de respect et de tolérance.
En outre, l’accueil cordial et exceptionnel que les dirigeants des Émirats arabes unis ont réservé au pape au plus haut niveau est le reflet du profond respect et de la vénération qu’ils ont pour le Saint-Père. Cela a certainement infusé à tous les niveaux dans le pays et dans la région.
Il y a aussi le projet de la Maison Abrahamique qui a été annoncé lors de la visite du pape François à Abou Dhabi. Ce centre comprenant une mosquée, une synagogue et une église est considéré comme un symbole et un point de rencontre des trois religions monothéistes, sans pour autant diluer leurs identités spécifiques. 

«Le pape François est très apprécié, même parmi les musulmans qui écoutent attentivement ses messages.»

Les médias locaux donnent-ils une perception équilibrée du rôle du pape? Les programmes scolaires ont-ils évolué dans le sens d’une approche plus bienveillante à l’égard des chrétiens?
Je vis depuis 18 ans à Abou Dhabi et j’ai constaté une ouverture croissante des médias aux nouvelles de l’Église et à l’enseignement du pape, notamment en ce qui concerne la paix et la sauvegarde de la création. Le pape François est très apprécié, même parmi les musulmans qui écoutent attentivement ses messages. Le Document sur la fraternité humaine a été établi comme un sujet obligatoire dans les programmes scolaires, et conduira certainement à un respect mutuel majeur entre les membres des différentes religions.

Le Qatar attirera l’attention des médias internationaux avec la Coupe du monde de football en novembre et décembre prochains. Quelle est la situation des chrétiens dans ce pays? Suit-il le même mouvement que ses voisins en termes de tolérance relative pour la pratique religieuse des expatriés?
Il y a 18 ans, j’ai pris la responsabilité des catholiques du Qatar et j’ai eu la chance de construire la première église du pays. C’est la plus grande de la péninsule, avec une capacité de 2’700 places. Bien que l’État du Qatar ait été moins ouvert par le passé que le Bahreïn, la situation s’est considérablement améliorée.
Je ne peux que souhaiter que certaines des personnes qui se rendent à la Coupe du monde prennent également le temps de visiter les différentes églises, car l’un des stades se trouve à proximité. On peut espérer qu’il y aura plus d’ouverture à l’avenir. (cath.ch/imedia/cv/mp)

Mgr Paul Hinder, vicaire apostolique d'Arabie du Sud
19 octobre 2022 | 09:51
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 6 min.
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