Milo Djukanovic, président du Monténégro, reçu au Vatican par le pape François | © Vatican Media
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Monténégro: la nouvelle loi sur la «liberté religieuse» fait polémique

La loi sur la «liberté religieuse» au Monténégro, adoptée le 27 décembre 2019 par une majorité du Parlement monténégrin à Podgorica, après l’expulsion des députés de l’opposition, suscite toujours de nombreuses réactions. L’Eglise orthodoxe serbe du Monténégro craint la confiscation de ses propriétés.

La nouvelle législation, selon l’Eglise orthodoxe du Monténégro relevant du Patriarcat de Serbie, aurait pour but de «spolier les églises et les biens ecclésiastiques» de la plus grande confession religieuse du pays.

Cette loi, portée par les milieux nationalistes monténégrins, est perçue comme une grave atteinte aux droits de l’Eglise serbe dans cette petite république multiethnique de 660’000 habitants au cœur des Balkans. Le président monténégrin Milo Djukanovic promeut l’autocéphalie (auto-administration dans les affaires ecclésiastiques et pastorales) de l’Eglise orthodoxe monténégrine. Cette Eglise nationale non canonique n’est reconnue par aucune autre Eglise orthodoxe.

Députés excommuniés

«La promulgation d’une telle loi ne sert pas l’honneur et n’attire pas la bénédiction, ni sur ceux qui l’ont proposée, ni sur ceux qui l’ont votée et promulguée. Ce faisant, tous ceux qui sont orthodoxes […] se sont eux-mêmes exclus de l’Eglise orthodoxe, et par voie de conséquence sont excommuniés. Aussi, nous ordonnons à notre pieux clergé, de ne leur administrer ‘aucun rite ecclésial’», écrivent Amphiloque, archevêque de Cetinje, métropolite du Monténégro et du Littoral, et les autres évêques de l’Eglise canonique du Monténégro.

Monastère de Cetinje, au Monténégro © wikipedia Koroner CC BY-SA 3.0

La nouvelle législation a été voulue par le président monténégrin, favorable au «renouveau» de l’Eglise autocéphale orthodoxe du Monténégro, une Eglise minoritaire non canonique officiellement «restaurée» le 31 octobre 1993. Elle prévoit de nationaliser les biens dont les Eglises ne peuvent pas prouver qu’ils leur appartenaient avant 1918. A cette date, le Monténégro perdait son indépendance et était intégré au Royaume de Yougoslavie créé à la suite de la Première Guerre mondiale.   

Confiscation des biens de l’Eglise serbe

Fortement opposée à la loi, l’Eglise orthodoxe serbe du Monténégro craint qu’elle ouvre la voie à la confiscation de ses biens, dont des centaines de monastères et d’églises et de nombreuses terres qu’elle possède au Monténégro, où plus de 70 % de la population est orthodoxe. Depuis l’indépendance du Monténégro en 2006, les relations entre l’Etat monténégrin et l’Eglise orthodoxe serbe sont tendues.   

En novembre 2011, l’Eglise serbe avait déjà porté plainte contre le Monténégro pour obtenir la restitution de certains de ses biens qu’elle considère toujours comme usurpés. Dernier incident en date, en janvier 2019, lorsque la petite république avait refusé de reconduire les permis de séjour de dizaines de prêtres. Le ministère de l’intérieur du Monténégro avait refusé de reconduire les permis de séjour de 50 prêtres, moines, moniales et familles membres de l’Eglise orthodoxe serbe.

Considérations nationalistes

Rivale de l’Eglise serbe, très minoritaire, l’Eglise autocéphale monténégrine a été «reconstituée» en tant que projet politique autant que spirituel, avec l’appui total des milieux indépendantistes. Elle a son siège à Cetinje, l’ancienne capitale royale du Monténégro. Elle entretient depuis des années des relations suivies avec l’Eglise ukrainienne du Patriarcat de Kiev, devenue, après le «Concile d’unification» de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du 15 décembre 2018, la nouvelle Eglise autocéphale d’Ukraine (EOAU). Cette Eglise non canonique a tourné le dos au Patriarcat de Moscou et a été reconnue par le Patriarcat œcuménique de Constantinople.

Le Conseil épiscopal de l’Eglise orthodoxe serbe au Monténégro s’est réuni à Podgorica les 28 et 29 décembre 2019. L’évêque de Dioclée Méthode n’a pas pu participer à l’assemblée.  Au cours de la manifestation contre la nouvelle loi, durant la nuit du 26 décembre sur le pont de Djudjervića Tara, dans le nord du Monténégro, il a été battu par la police et hospitalisé.

Loi «ouvertement anti-ecclésiale et discriminatoire»

Au cours de sa session, le Conseil épiscopal de l’Eglise orthodoxe serbe au Monténégro a dénoncé l’adoption par le Parlement du Monténégro de la loi sur «la liberté religieuse ou confessionnelle et la situation juridique des confessions religieuses», qu’il a qualifiée «d’anticonstitutionnelle, ouvertement anti-ecclésiale et discriminatoire».

Les évêques ont estimé que la promulgation d’une telle loi et ce sans dialogue préalable, avec des incompatibilités avec les normes internationales, est indubitablement dirigée contre l’Eglise orthodoxe serbe. Pour preuve: les autres Eglises et confessions religieuses traditionnelles ont déjà pu régler au moyen d’accords les questions litigieuses avec l’Etat monténégrin, «ce qui n’a pas été accordé à l’Eglise orthodoxe serbe», les autorités du Monténégro refusant d’accepter toute solution proposée par l’Eglise majoritaire.

«Depuis des jours déjà, nous sommes témoins de la jubilation de tous ceux qui haïssent l’Eglise orthodoxe et des nationalistes néo-monténégrins acharnés, pour la plupart des athées militants, qui fêtent la victoire sur l’Eglise du Christ», écrivent les évêques de l’Eglise canonique du Monténégro.

Menaces sur l’Eglise serbe au Kosovo 

Le Conseil épiscopal affirme que des dispositions très similaires à celles visant la spoliation des biens ecclésiastiques au Monténégro sont également en instance de procédure devant les organes des autorités de Pristina, au Kosovo. L’intention est d’ôter au diocèse orthodoxe de Ras et Prizren, relevant du Patriarcat de Serbie, ses droits de propriété sur ses anciens lieux saints et églises au Kosovo et en Métochie.

De son côté, le patriarche de Serbie Irénée a appelé les autorités de l’Etat du Monténégro, particulièrement les membres du Ministère de l’intérieur, «à mettre fin immédiatement à la terreur brutale exercée à l’encontre de l’Eglise orthodoxe serbe, son clergé et son peuple fidèle. Les coups infligés [par la police] à l’évêque de Dioclée Mgr Méthode, aux prêtres et aux fidèles orthodoxes, pour la seule raison qu’ils sont serbes et orthodoxes, est un acte sans précédent en Europe depuis la chute du fascisme et la fin de la terreur bolchévique».

Sans précédent en Europe depuis la fin de la terreur bolchévique

De son côté, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou (DREE), a qualifié la loi sur les confessions religieuses au Monténégro de «grossière violation de la volonté de la majorité des habitants du pays» et d’un «regrettable précédent d’ingérence d’un Etat laïc dans les affaires de l’Eglise».

Le «numéro deux» du Patriarcat de Moscou rappelle que la majorité des orthodoxes du Monténégro appartient à l’Eglise orthodoxe serbe et que plus de 100’000 citoyens avaient signé une pétition contre le projet de loi, dont des personnalités connues et influentes. (cath.ch/mospat/orthodoxie.com/be)

Milo Djukanovic, président du Monténégro, reçu au Vatican par le pape François | © Vatican Media
30 décembre 2019 | 16:07
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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