Le cardinal John Henry Newman a d'abord été prêtre anglican avant de se convertir au catholicisme | © EVERETT COLLECTION/Keystone
Vatican

«Newman enseigne un sens de l’Église fondé sur une obéissance vivante»

Léon XIV proclamera le 1ᵉʳ novembre 2025 «docteur de l’Église» le cardinal britannique John Henry Newman (1801-1890). Hendro Munsterman, spécialiste néerlandais de théologie mariale et d’œcuménisme, brosse quelques traits de cette figure complexe et souligne ce que cette proclamation met en lumière des papes du XXIe siècle.

Anna Kurian, I.MEDIA

Quelles dimensions de la pensée de Newman justifient aujourd’hui sa proclamation comme docteur de l’Église? Qu’a-t-il apporté de significatif à la théologie et à la spiritualité catholique?
Hendro Munsterman:
Pour la théologie catholique, le XIXᵉ siècle n’a pas été une période particulièrement marquante. Seuls deux ou trois théologiens ont véritablement apporté quelque chose de nouveau et approfondi la pensée chrétienne. Newman en fait partie, et il représente sans doute même la plus grande lumière du côté catholique à cette époque.

Sa pensée comporte plusieurs éléments intéressants. On a souvent dit que Newman était un précurseur du Concile Vatican II. Bien qu’ayant vécu un siècle plus tôt, on considère qu’il a «participé» à cette assemblée par sa pensée, notamment sur la place des laïcs, sur le sensus fidei. Newman estimait que les fidèles avaient, eux aussi, quelque chose à apporter activement – même quand il s’agit de la défense et de l’approfondissement de la doctrine. Pour cette idée, il ne puisait pas seulement dans sa propre histoire anglicane, mais surtout dans l’Église des premiers siècles. Il refusait une vision cléricale de l’Église. On retrouve là les intuitions qui inspirent aujourd’hui la synodalité promue par le pape François.

Dans le contexte actuel de l’Église catholique, qui cherche à renouveler la réception du concile, sa promotion apparaît comme un grand signe.

Si cette proclamation a lieu au début du pontificat de Léon XIV, elle était déjà certainement préparée par ses prédécesseurs. Le cardinal Newman a été béatifié par Benoît XVI (2010), puis canonisé par François (2019). Quelle était la relation de chacun de ces papes avec cette figure?

Les deux derniers papes ont chacun eu une forme d’attachement à Newman – mais pas pour les mêmes raisons. Benoît XVI l’appréciait sans doute parce que Newman croyait profondément en la Vérité. L’idée postmoderne selon laquelle la vérité n’existe pas, que chacun se construit la sienne – le relativisme – a été vivement critiquée par le pape allemand.

Chez Newman, la vérité existe, il faut la chercher et la défendre. Mais notre compréhension de cette vérité n’est pas figée: elle est une réalité que l’on découvre sans cesse à nouveaux frais, et dont la compréhension progresse au fil de l’histoire de l’Église. Ainsi Newman pense que la doctrine n’est pas statique mais dynamique, qu’elle se développe, se déploie.

«Newman applique à la théologie ce que Darwin appliquera à la biologie: l’idée d’un développement vivant»

Chez le pape François, c’est justement ce dynamisme qui retient son attention: l’idée que tout n’est pas immobile. Le pape argentin apprécie la pensée de Newman selon laquelle la vérité doit être sans cesse approfondie. On peut également souligner l’importance que Newman donne à la conscience personnelle de chacun: un thème que le pape François affectionnait particulièrement.

Léon XIV a-t-il aussi une histoire, une proximité avec Newman?
De par son nom, Léon XIV s’inscrit dans l’héritage de Léon XIII. Or c’est ce pape qui avait créé Newman cardinal à la fin de sa vie, posant un geste un peu à contre-courant. L’ancien prêtre anglican devenu catholique était alors mal vu par une partie des cardinaux et des hauts dignitaires, qui le trouvaient suspect.

Sa manière de faire de la théologie, critique et originale, dérangeait. Il ne pensait pas que le catholicisme devait être partout une copie conforme de Rome. Pour lui, on pouvait être profondément anglais et pleinement catholique sans imiter les formes italiennes de piété, comme certaines dévotions populaires.

«Déjà comme prêtre anglican, Newman s’était passionné pour les Pères de l’Église»

Pour ces raisons, certains se méfiaient de lui, doutant même qu’il fût vraiment devenu catholique. Mais Léon XIII l’appréciait profondément et parlait de lui avec affection comme «il mio cardinale».

Il existe aussi un autre lien avec Léon XIV: Newman était très marqué par les Pères de l’Église, notamment saint Augustin, et le nouveau pape, étant religieux augustin lui-même, partage cette affinité.

Quelle était l’approche de Newman envers saint Augustin?
Déjà comme prêtre anglican, Newman s’était passionné pour les Pères de l’Église. Leur lecture l’avait convaincu qu’il fallait réformer l’anglicanisme et le réorienter dans un sens plus «catholique». C’est dans cette perspective qu’il entreprend son grand ouvrage sur le développement du dogme. En étudiant les origines chrétiennes, il découvre que tout ce que l’Église catholique de son temps enseigne existait déjà en germe dans l’Église primitive: les semences étaient là, et elles ont simplement grandi.

«Newman est clairement une figure qui rapproche les Églises catholique et anglicane»

Dix ans avant Darwin, il applique à la théologie ce que Darwin appliquera à la biologie: l’idée d’un développement vivant. À une époque où l’histoire devient science, Newman en vient à la conviction que l’Église catholique est la continuité organique de l’Église ancienne, tandis que l’anglicanisme est en quelque sorte resté figé au XVIᵉ siècle. Avant même de terminer son livre, il se convertit. Rebaptisé – les baptêmes n’étaient pas encore reconnus entre Églises –, il est ordonné prêtre catholique et rejoint l’Oratoire de saint Philippe Néri.

Le prince Charles devrait venir fin octobre au Vatican. Pourrait-il parler de Newman avec le pape? Est-ce un sujet de rapprochement entre les deux Églises catholique et anglicane ou au contraire est-ce un thème délicat?
Newman est clairement une figure qui rapproche les deux Églises. Tous les grands noms de l’œcuménisme du côté catholique étaient des spécialistes de Newman. Mais Newman est aussi considéré comme un saint dans l’Église anglicane et certains des chants religieux qu’il a écrits sont toujours chantés dans les églises anglicanes. Newman n’a jamais renié ce qu’il avait reçu de ses origines. Il a rencontré le Christ dans l’Église anglicane, puis a trouvé une plénitude dans l’Église catholique, mais sans rupture totale. Ce n’était pas une conversion en noir et blanc: il a apporté à l’Église catholique tout ce qu’il avait reçu de sa tradition anglicane, en l’intégrant dans un cadre plus vaste.

«Pour Newman, conscience et obéissance vont de pair»

Mais sa figure a aussi pu représenter une pierre d’achoppement. Sur le calendrier des saints de l’Église anglicane, il est inscrit à la date de son décès (11 août). Or quand Benoît XVI l’a béatifié, il a choisi la date de son baptême catholique, le 9 octobre. À l’époque, Rome avait expliqué vouloir éviter toute concurrence avec sainte Claire, fêtée le 11 août. Mais ce choix a pu être perçu comme peu œcuménique.

Dans ce contexte, si le roi Charles, qui comme le pape, est à la fois chef d’État et chef d’Église, participait à la célébration en l’honneur de Newman, ce serait un signe fort de communion entre les deux traditions.

Newman a beaucoup réfléchi à la conscience personnelle, la loi la plus fondamentale à laquelle il faut obéir. Comment conjugue-t-il cet impératif avec l’obéissance à l’Église?
Pour Newman, conscience et obéissance vont de pair: ce sont deux aspects d’une même réalité. Pour lui, être catholique, c’est vivre en communion avec le pape dans une tradition enracinée dans les apôtres, avec confiance dans l’Esprit Saint. Mais cette obéissance elle-même relève de la conscience: si elle entre en tension avec ce que l’on comprend de l’Évangile, il faut suivre sa conscience.

«La théologie de Newman est une théologie de confiance»

Ce dialogue entre conscience et obéissance s’illustre par exemple sur la question de l’infaillibilité pontificale: Newman a refusé de se rendre au Concile Vatican I comme expert, car il pressentait la proclamation de ce dogme, qu’il ne jugeait pas opportun. Une fois le dogme proclamé, il l’accepta loyalement, mais avec sobriété, sans culte de la personnalité. On connaît sa célèbre formule: «Je porterai un toast au pape, […] mais d’abord à la conscience, et ensuite au pape.»

C’est aussi sa conscience qui l’a conduit à se convertir au catholicisme, alors qu’il avait toutes les raisons de ne pas franchir le pas – car les prêtres anglicans avaient une vie confortable par rapport aux prêtres catholiques. Il écrira un jour: «Quand j’étais prêtre anglican, j’avais une vie merveilleuse et une foi médiocre; depuis que je suis catholique, j’ai une foi merveilleuse et une vie misérable.»

Peut-on dire qu’au début de son pontificat, avec cette promotion, Léon XIV met en lumière une figure qui peut parler à tous les courants catholiques?
Oui, c’est une figure qui parle à tous, pas pour les mêmes raisons. On pourrait dire: «à chacun son Newman». En cela, il y a une ressemblance avec Léon XIV, qui cherche au début de son pontificat à rassembler largement. Quoi qu’il en soit, Newman enseigne un sens de l’Église fondé sur une obéissance non pas aveugle, mais vivante, qui pousse à aller toujours plus en profondeur. Tout ce qui nous bouscule dans l’Église peut devenir l’occasion de creuser davantage, pour laisser place à l’Esprit Saint qui guide l’histoire. C’est une théologie de confiance, une théologie tournée vers l’avenir. (cath.ch/imedia/ak/rz)

Le cardinal John Henry Newman a d'abord été prêtre anglican avant de se convertir au catholicisme | © EVERETT COLLECTION/Keystone
23 octobre 2025 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 6  min.
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