Onction des malades et euthanasie: ce que dit l'Eglise

Le 4 décembre dernier, Mgr Vitus Hounder affirmait clairement l’impossibilité d’administrer le sacrement des malades aux personnes recourant au suicide assisté. Cette prise de position a fait réagir les réseaux sociaux. Que dit l’enseignement de l’Eglise en la matière? Et dans quel sens certains souhaiteraient-ils le voir évoluer?

Le sacrement des malades en cas de suicide assisté: pour ou contre? Quelque peu lapidaire, la question a suscité bon nombre de commentaires sur notre page Facebook. Parfois nuancés.

Ainsi Fréderic Monnin écrit: «Même si je ne partage pas les conclusions de Mgr Huonder, je vous rappelle que la miséricorde s’adresse avant tout aux pécheurs. Ne vous faites pas les complices d’un jugement qui en serait dépourvu!»

Alors que l’abbé Nicolas Buttet répond: «La grâce propre de l’onction des malades est l’union du malade à la souffrance de Jésus au moment de sa Passion et le réconfort, la paix et le courage pour supporter chrétiennement les souffrances de la maladie ou de la vieillesse. Si le malade choisit librement une autre voie que celle de la grâce de Dieu, elle n’a donc pas besoin du sacrement… Telle est l’exigence même de la liberté qui se doit de respecter le choix du patient».

«Sauf en cas de péché grave»

Quelles sont les règles de l’Eglise catholique en la matière? Il faut ici faire appel au Code de droit canon, qui régit la vie de l’Eglise et des fidèles.

Il stipule qu’il peut être administré au fidèle qui «commence à se trouver en danger pour cause de maladie ou de vieillesse» (Can. 1004). En outre, ce sacrement peut être réitéré et administré même si un doute subsiste quant à l’usage de la raison, quant à la dangerosité de la maladie ou même quant au décès effectif de la personne (Can. 1005). Des conditions larges donc, qui se heurtent toutefois à une «obstination», précisée dans le canon 1007: «L’onction des malades ne sera pas donnée à ceux qui persévèrent avec obstination dans un péché grave manifeste.»

«Je ne vois pas pourquoi un croyant qui a demandé et obtenu l’euthanasie ne recevrait pas ce sacrement-là?» Gabriel Ringlet

La réflexion autour de l’administration du sacrement s’établit sur cette base. Dans sa lettre publiée le 4 décembre en vue de la Journée mondiale des droits humains, Mgr Vitus Huonder écrivait: «La volonté d’un patient de recourir au suicide assisté met le prêtre dans une impossibilité complète de lui administrer l’onction des malades». Pour l’évêque de Coire, «dans de telles circonstances, les conditions de réception [du sacrement] ne sont pas remplies». Il est question ici de «la persévérance avec obstination dans un péché grave manifeste», mentionnée par le droit canon: la volonté de mettre un terme à sa propre vie.

«Chacun est responsable de sa vie devant Dieu qui la lui a donnée, précise le Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC 2280). C’est Lui qui en reste le souverain Maître. Nous sommes tenus de la recevoir avec reconnaissance et de la préserver pour son honneur et le salut de nos âmes».

Et la miséricorde?

Certes, mais Dieu n’est pas seulement le Créateur, diront certains. Il est aussi un Dieu qui sauve. Parmi les commentaires de l’article sur Facebook, Raphaël Pasquier écrit: «Humble servante des grâces divines, l’Eglise ne saurait mettre des limites à l’infinie miséricorde d’un Dieu Créateur-Sauveur«.

Le prêtre belge Gabriel Ringlet souscrirait certainement à ce propos. Commentant le document des évêques français Fin de vie: pour un engagement de solidarité et de fraternité [PDF], il écrivait au sujet de l’euthanasie: «Les évêques (…) se réfèrent le plus souvent à l’image de Dieu créateur. Mais le Dieu rédempteur? Le Christ sauveur? N’est-ce pas lui, surtout, qui m’accompagne de sa présence confiante à l’heure des responsabilités? Lui qui, face aux choix les plus difficiles, encourage ma liberté de conscience?» s’interrogeait le vice-recteur émérite de l’Université catholique de Louvain dans les colonnes de la Revue Choisir (No 667, mai 2016).

Ce déplacement de curseur conduit l’abbé Ringlet à envisager la possibilité d’administrer le sacrement des malades à des personnes ayant fait appel à des associations comme Exit ou Dignitas. «Il est heureux que des personnes en grande fragilité reçoivent ce sacrement de l’encouragement qui les aide à vivre une traversée parfois longue et difficile, écrit-il dans Vous me coucherez nu sur la terre nue (Albin Michel, 2015). Et je ne vois pas pourquoi un croyant qui a demandé et obtenu l’euthanasie ne recevrait pas ce sacrement-là, si heureux et essentiel, à un moment surtout où sa foi est peut-être mise à rude épreuve».

«Célébrer, c’est donner à l’humanité plus d’humanité (…). On ne célèbre pas que la réussite dans la vie, selon Gabriel Ringlet. On est appelé quelques fois à célébrer la limite, l’impasse. Je dirais même que c’est surtout dans cette complexité-là qu’il faut oser une parole à la hauteur de ce qui se joue».

La réflexion des évêques canadiens

Parmi «les grandes orientations de la Conférence pour l’année à venir», la question de l’euthanasie a pris une place centrale au sein de l’épiscopat canadien. Et ce n’est pas un hasard: le gouvernement concocte un projet législatif des plus permissifs en matière d’aide au suicide. Dans ce cadre, la prise de position des évêques est franche: une personne cherchant à se tuer elle-même «ne se trouve pas dans la disposition appropriée» pour recevoir ce sacrement, souligne Mgr Terrence Prendergast, archevêque d’Ottawa. L’évêque va même plus loin: «demander à un prêtre d’être présent à quelque chose qui est en contradiction directe avec les valeurs catholiques n’est pas juste». C’est donc l’accompagnement lui-même qui serait à proscrire.

Alors, le Dieu créateur entre-t-il en concurrence avec le Dieu sauveur? La responsabilité de sa vie devant Dieu interdit-elle le recours au suicide assisté, et donc au sacrement des malades? La simplicité d’une question en forme de «pour» ou «contre» ne suffit pas à résoudre un sujet aussi complexe et délicat. Elle permet cependant de dégager des perspectives de réflexion, dont une, fondamentale. L’économie sacramentelle est étroitement liée à la perception de l’identité de Dieu. (cath.ch/pp)

Les effets du sacrement des malades

Plusieurs effets sont liés à l’Onction des malades, reconnu comme un sacrement par l’Eglise catholique. Le Catéchisme de l’Eglise catholique en retient quatre:

1. «Un grâce de réconfort, de paix et de courage pour vaincre les difficultés propres à l’état de maladie grave ou à la fragilité de la vieillesse.» (CEC 1520)
2. «La force et le don de s’unir plus intimement à la passion du Christ.» (CEC 1521)
3. De cette association à la passion du Christ, «le malade (…) contribue à la sanctification de l’Eglise et au bien de tous les hommes». (CEC 1522)
4. «Une préparation au dernier passage. Si le sacrement de l’onction des malades est accordé à tous ceux qui souffrent de maladies et d’infirmité graves, il l’est à plus forte raison à ceux qui sont sur le point de sortir de cette vie». (CEC 1523) Raison pour laquelle on l’a souvent appelé «l’extrême onction».