Responsable des Pères Blancs de Suisse, Raphaël Deillon réside à Fribourg | © Jacques Berset
Suisse

Père Raphaël Deillon: «Les musulmans, il faut d'abord les aimer!»

«Les musulmans, il faut d’abord les aimer!», confie à cath.ch le Père Raphaël Deillon. Le Père blanc, qui a célébré le 27 juin 2020 le jubilé des 50 ans de son engagement missionnaire, a vécu 25 ans en Algérie. Spécialiste de l’islam, il défend depuis toujours une culture de la rencontre et du dialogue.

Samedi 27 juin 2020, l’Africanum, siège des missionnaires d’Afrique en Suisse, au 57 de la Route de la Vignettaz à Fribourg, a été en fête pour le jubilé des 50 ans du «serment missionnaire» ou de l’ordination sacerdotale de trois Pères Blancs suisses: les Pères Raphaël Deillon et Claude Maillard, ainsi que le Frère Karl Kaelin.

Bien que né à Saint-Julien-en-Genevois, en Haute-Savoie, Raphaël Deillon est originaire de Siviriez, le village de sainte Marguerite Bays. Ce qui lui a valu d’être nommé, en 2009, postulateur de la cause de «Goton de la Pierraz», afin de défendre le dossier de canonisation que l’évêché de Lausanne, Genève et Fribourg devait soumettre à la Congrégation pour les causes des saints. «Ils m’avaient aussi choisi parce que j’étais à ce moment-là à Rome en tant qu’assistant au Conseil général de la Société des missionnaires d’Afrique«.

J’ai pris goût à leur culture

Mais le curriculum vitae de Raphaël Deillon qui, dans son enfance, a connu la vie paysanne – son père fut vacher sur le domaine du comte de Viry, près de Genève – allait prendre une tournure singulière suite à la rencontre de familles d’ouvriers nord-africains vivant près du séminaire d’Annecy, où il était entré. «Ils vivaient dans des baraquements, un endroit pauvre, où personne n’osait aller. Nous, on allait les visiter, boire avec eux le thé à la menthe qui sentait si bon. J’ai pris goût à leur culture…»

«Ils vivaient dans des baraquements, un endroit pauvre, où personne n’osait aller. Nous, on allait les visiter, boire avec eux le thé à la menthe qui sentait si bon. J’ai pris goût à leur culture…»

Une annonce dans le journal La Croix

Au séminaire, tous partaient au service militaire, sauf lui, qui était Suisse. «J’avais lu une annonce  dans le journal La Croix: ‘Cherche Maître d’internat pour Centre de formation professionnelle à Ouargla au Sahara’. C’est ainsi que je suis parti en 1965, à l’âge de 22 ans, pour un an à Ouargla, dans la Sahara, à 800 km au sud d’Alger. J’étais maître d’internat dans une école professionnelle, où les élèves venaient pour la plupart des oasis environnantes. J’ai tellement aimé le lieu et les gens qu’un jour, je m’en rappellerai toujours, j’étais sous un citronnier, je me suis dit: ‘je reviendrai, il y a quelque chose de bon à vivre entre chrétiens et musulmans’». De retour au séminaire d’Annecy, Raphaël est contacté par le Père Jean-Pierre Sauge, chargé de l’animation missionnaire pour les Pères Blancs. Il fera son noviciat à Gap, dans les Hautes-Alpes.

Le sort en est jeté: il s’engagera avec les Missionnaires d’Afrique, avec l’intention de retourner en Algérie après son ordination sacerdotale à Viry en 1970. Il apprendra l’arabe dialectal à El Bayadh, un village à 400 km au sud d’Oran, en se rendant dans les familles algériennes, puis dès 1971, durant deux ans, l’arabe littéraire à l’Institut Pontifical d’Etudes Arabes et d’Islamologie (PISAI) à Rome. Ensuite, également après deux ans d’étude, il obtient une licence d’anglais à Strasbourg, avant de retourner pour trois ans à El Bayadh, où il enseigne l’anglais. En 1980, il part pour Sanaa, au Yémen du Nord, également pour enseigner la langue de Shakespeare dans un institut américain à des fonctionnaires qui voulaient étudier à l’étranger. De retour à Lyon, il y fera deux ans d’animation missionnaire avant d’être nommé professeur d’anglais en 1983 à Ghardaïa, à 600 km au sud d’Alger.

A Ghardaïa, durant les années noires

Le Père Deillon allait vivre, dans les années 1990, la «décennie noire» de la guerre civile opposant le gouvernement algérien et son Armée Nationale Populaire (ANP), et divers groupes islamistes armés de tendance salafiste djihadiste, notamment l’Armée Islamique du Salut (AIS) et le Groupe Islamique Armé (GIA). Cet épisode sanglant a fait plus de 150’000 morts, essentiellement des musulmans algériens.

Il sera fortement secoué par l’assassinat, le 27 décembre 1994, de quatre confrères, massacrés par des hommes armés dans la cour de leur maison de Tizi Ouzou. Mais réconforté par la présence de nombreux amis musulmans lors de leur sépulture.

Les Pères Raphaël Deillon et Claude Maillard à l’Africanum | © Jacques Berset

Les jubilaires
Les deux autres jubilaires fêtés le 27 juin à Fribourg sont le Père Claude Maillard, à Fribourg. Il a travaillé au Sud-Kivu (RD Congo) de 1970 à 1993, puis dans le domaine de l’information missionnaire en Suisse. Auxiliaire au service des paroisses de Saint-Pierre et Villars-s-Glâne, il est en lien avec plusieurs associations engagées dans le développement humain et chrétien de l’Afrique qui se réunissent à l’Africanum, notamment l’Association de soutien à l’Hôpital de Monvu – Idjwi, Bukavu (RDC), et la Fondation Solidarité tiers-monde STM –SDW.
Le Frère Karl Kälin, de Sursee (Lucerne), imprimeur de profession, a travaillé dans des imprimeries au Burkina Faso, en Ouganda et en RD Congo. Il a été économe provincial de Suisse. Puis économe de la Province d’Afrique australe, qui comprend la Zambie, le Malawi, le Mozambique et l’Afrique du Sud. Actuellement, économe provincial en Irlande, il vit à Dublin. JB

De drôle de mages en armes s’invitent à la Fête de l’Epiphanie

Quelques jours après, le dimanche 8 janvier 1995, Fête de l’Epiphanie, «de drôle de mages en armes nous ont rendu visite dans notre maison de Ghardaïa…» Quatre inconnus armés de mitraillettes tentaient de défoncer la porte, tandis que le religieux et son confrère, accompagnés de deux amis béninois venus à la messe, ont pu s’enfuir par les toits, sur un itinéraire de repli préparé en cas d’attaques. A cette époque, plusieurs religieux et religieuses  avaient déjà été assassinés, et les pressions étaient fortes pour que tous les étrangers quittent le pays.

Tombe de Pierre Claverie, évêque d’Oran assassiné pendant les ‘années noires’ en Algérie. Cathédrale d’Oran. | © B. Hallet

Durant cette période, la toute petite Eglise catholique en Algérie comptera 19 martyrs,  assassinés entre 1994 et 1996, et parmi eux Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran et les sept moines de Tibhirine. Ils ont été reconnus martyrs par le pape François le 26 janvier 2018, ce qui conduit à leur béatification le 8 décembre de la même année en Algérie.  

Raphaël Deillon, qui n’a pas voulu quitter le pays pendant la sanglante guerre civile,  reprend volontiers une sentence d’une religieuse qu’il connaissait, Sœur Odette Prévost: «la première chose, dans le dialogue avec les musulmans, il faut les aimer». Elle disait aussi qu’»entre la prudence et l’Evangile, je choisis l’Evangile!» La religieuse française des Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Charles de Foucauld, âgée de 63 ans, a été assassinée le 10 novembre 1995 à Alger.

«Malgré ces ‘années noires’, je puis dire qu’ayant passé un quart de siècle au Sahara, j’ai réalisé mon rêve: celui de la rencontre islamo-chrétienne. J’ai vécu des années formidables d’amitié avec les professeurs, les élèves et les familles des élèves où j’ai enseigné: Ouargla, El Bayadh, Ghardaïa. J’avais raison, à 22 ans, quand j’étais sous le citronnier: c’est possible de dialoguer entre chrétiens et musulmans, à condition de respecter l’autre qui nous est différent, de ne pas se lancer à la figure des passages de Bible et des passages du Coran, de ne pas s’affronter sur des articles de foi différents chez l’un et chez l’autre, de ne pas généraliser à partir de cas extrêmes, de savoir apprécier chez l’autre ce que l’on trouve de bon. «Et surtout de l’aimer!» (cath.ch/be)

Vingt-cinq ans dans le Sud algérien
Né en France en 1943, de parents suisses, le Père Raphaël Deillon a vécu plus de vingt-cinq ans dans le Sud algérien, au sein d’une communauté de Pères Blancs. Son séjour en Suisse comme Provincial des Pères Blancs, puis à Rome comme conseiller, lui a ouvert, de 2000 à 2010, d’autres horizons, en particulier ceux de l’Afrique noire, par ses visites de communautés où vivent des confrères. Actuellement responsable des Pères Blancs de Suisse, Raphaël Deillon réside à Fribourg.
Il est l’auteur de Des Roses dans le sable, journal d’un curé au Sahara, paru en juin 2003, aux Editions St-Augustin. Il a également publié en 2013 auprès des mêmes éditions Par la bouche des enfants, des tout-petits… (prières, méditations). Spécialiste des relations avec le monde musulman – il était encore en 2018 le délégué diocésain pour les relations avec les musulmans du diocèse de Marseille, où il a travaillé dans deux paroisses des quartiers nord de la cité phocéenne – Raphaël Deillon témoigne volontiers du quart de siècle passé dans le Sud algérien avec ses frères et sœurs missionnaires et la communauté chrétienne locale. Dans ce contexte, il a tissé des liens très forts avec le peuple musulman d’Algérie. JB


Africanum à Fribourg Fresque montrant l’engagement des Pères Blancs en Afrique | © Jacques Berset

La Société des Missionnaires d’Afrique
Fondée en 1868 par le cardinal Charles Lavigerie, archevêque d’Alger, la Société des Missionnaires d’Afrique, qui a marqué en 2018 les 150 ans de son existence, a eu dès le début la volonté de tisser des liens de fraternité dans le monde musulman divisé par de nombreux conflits. Les missionnaires d’Afrique sont persuadés que l’avenir de la planète est dans la rencontre et la prise en compte respectueuse des diverses traditions religieuses.
Si dans le passé, la Société des Missionnaires d’Afrique a regroupé jusqu’à 4’000 membres, la relève est garantie en particulier dans les pays du Sud. Elle rassemble actuellement 1224 prêtres missionnaires, 107 Frères et 11 évêques, pour un total de 1342 membres. La Société est engagée dans 42 pays, dont 22 en Afrique. Actuellement 250 jeunes confrères sont originaires des pays du Sud (Afrique, Asie et Amérique latine).  En Suisse, les «Pères Blancs» ne sont plus que 14, majoritairement âgés, sans compter trois autres confrères suisses travaillant à l’étranger (Jérusalem, Irlande et Mexique).
Plus de 500 étudiants sont en formation dans les centres au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en RDC, en Ouganda, au Kenya, en Zambie et en Afrique du Sud. JB

Responsable des Pères Blancs de Suisse, Raphaël Deillon réside à Fribourg | © Jacques Berset
28 juin 2020 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 7 min.
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